Dans le train qui se remet en marche, l’homme voit que des places se sont libérées, hésite un instant, et puis descend son sac, le pose résolument sur le siège que la femme occupait, se renfonce contre le moelleux tissu de son dossier, allonge ses jambes, jette un coup d’oeil aux nuques devant lui, aux arbres qui glissent le long de la fenêtre, dresse mentalement une frontière protégeant son monde personnel, regarde sa montre, ouvre son portable, se demande ce que lui réserve la ville terminus, la Préfecture où il doit passer les deux prochains jours pour cette histoire ennuyeuse, baille, révise les notes qui s’affichent sur son écran…
Il a déjà oublié le nom de la station, de la ville où le train s’est arrêté, où sa voisine, dont il n’a guère plus souvenance, est descendue, ville qui gardera secrets pour lui ses quelques vieux hôtels, ses maisons d’importants qui s’affirment par quelques recherches simples, des avant-corps, des fenêtres cintrées, des linteaux, des lucarnes dans leurs toitures travaillées, parmi la simplicité des toits à deux pentes, des façades presque nues, la ruine très restaurée de son château, la splendeur du choeur d’une église, les entrelacs des eaux qui la parcourent, l’inondent parfois, et cruellement, ses ponts et les paniers de fleurs attachés à leurs rambardes, et cette histoire que cherchent à connaître les plus curieux de ceux qui la découvrent, qui, au sortir de la gare, avant la longue rue-allée qui mène au centre, s’étonnent en découvrant sur la place un long monument orné d’un bas-relief alignant de jeunes corps aux complets sages, aux visages discrètement exotiques comme les corsages des deux femmes figurant dans leur groupe, et s’interrogent un instant en lisant les quelques mots gravés sur la stèle ou le nom figurant sur une plaque, avant de saluer ceux qui les accueillent ou, pour la plupart, d’interroger un passant pour trouver le chemin de leur hôtel ou de chercher des yeux une station de taxi.
A lire ce texte – centré sur l’homme qui a aidé la femme du texte précédent à descendre sa valise – me viennent des Polaroïd dans la tête : un pour la femme (du texte d’avant), un pour l’homme… Belle galerie de portraits qui s’ébauche. Ce texte m’a aussi fait réfléchir à tous ces endroits où l’on passe sans jamais s’arrêter, et qui vivent sans nous, sans nos yeux pour les voir, mais pour d’autres qui eux, s’arrêtent. Et nous, peut-être au retour. Le voyage comme autant de possibles. Merci, Brigitte.
et merci à vous
Quelle belle écriture et cette phrase,sa douceur, sa lenteur, je suis jaloux.
Brigitte, ces trains croisés me ravissent.
Quel plaisir que ce tissage des vies sur les rails
Laurent, Philippe merci mais moi y en a être ébahie 🙂
Brigitte, je prends enfin le temps de vous lire… Je vais suivre ce voyageur dans le périple qui l’attend (peut-être) au coeur de cette ville qui tait encore son nom.
merci… désolée d’avoir si peu de temps
Un plan séquence absolument somptueux… quelle marche agile, elle surpasse ici le regard, on marche dans les mots
Françoise ! un peu exagéré tout de même 🙂