Lundi (0)
Ça y est, il est parti. Il est même arrivé. Réalise-t-on seulement l’absence que lorsque les habitudes se trouvent inhabituelles ? J’ai mangé seule, j’ai regardé seule la télévision. Avantage : j’ai pu choisir le programme débile qui me plaît (enfin qu’il me plaît de regarder en cachette pour me vider le cerveau). Inconvénient : à qui le cacher puisqu’il n’est pas là ?
Dimanche (-1)
La valise ouverte sur le parquet du salon n’a pas encore avalé tous les objets à sa portée. Ça traîne par terre, ça s’amoncèle par paquets semi-organisés, semi-pensés, au gré de la projection qu’on se fait des jours de vacances. Plein de livres pour avoir le choix d’en acheter d’autres, plein de papiers à dessin alors que seul le petit carnet tient dans la poche pour les balades, plein de petits trucs à prendre « parce qu’on ne sait jamais » … plein de signes qu’on reviendra à son port d’attache, pour retrouver ce qui fait notre quotidien et qui ne tient pas dans la valise. Qui ne tient nulle part ailleurs que chez soi.
Samedi (-2)
Une terrasse au bord de la rue. Deux verres sur la petite table ronde au bord métallique, posés sur des sous-bocks fatigués. Pourquoi boire un verre en terrasse est-il si libérateur ? Pourquoi se sentir libre d’avoir déboursé un billet pour si peu d’élixir d’ivresse ? La saveur est différente, je ne saurai jamais pourquoi. Peut-être l’ambiance, peut-être ce ravissement d’être seuls parmi tant d’autres. Peut-être juste parce que c’est possible et qu’on peut se le permettre.
Vendredi (-3)
Rester dans son bureau au calme, quand d’autres s’agitent de l’autre côté de la porte, ne supportant plus les approximations des uns, les incompréhensions des autres. Chacun a ses propres urgences et ne tolère pas celles des autres. Chacun veut passer devant, chacun veut qu’on entende sa souffrance sans avoir besoin de la dire. Je vois tout ça. Je sais tout ça. Mais je suis fatiguée d’y aller, de passer la porte pour leur expliquer. Aujourd’hui je fais comme eux : ils n’ont qu’à deviner.
Jeudi (-4)
Jeudi c’est réunion. Jeudi c’est « je dis qu’on parle de ça » et je note ce qu’on se dit. Jeudi c’est melting pot d’observations balancé par le porte-parole qui en oublie parfois. Jeudi c’est « il faut faire tourner la parole » (à défaut de pouvoir faire tourner les tables, les rôles, les sentiments). Jeudi c’est devenu fade. Avant on s’engueulait, on organisait la dispute, on confrontait les opinions et on réconciliait les paradoxes. Jeudi maintenant c’est remplir le tableau qui met tout le monde d’accord en nous permettant de rester à la surface. Jeudi lisse, jeudi sans sel et sans additif. C’est bon pour la santé, mais celle de qui ?
Mercredi (-5)
Les mercredis sont chargés. Beaucoup de gens à voir. Parfois les mêmes, parfois pour les mêmes choses. Pourtant mercredi quelque chose a été repensé pour la énième fois mais avec enthousiasme. Avec lien. Avec cœur. On ne peut pas savoir si ça marchera mieux, mais on sait que l’élan y était. C’est comme une course de vitesse : meilleur l’élan est, plus la suite s’annonce bonne. Mais ici c’est une course de fond. Rien ne sert de partir à fond de train, à fond de cale, à fond perdu… il faut soigner son élan, le ciseler comme un bijou pour un jour en percevoir peut-être l’éclat. C’est ça : façonner des diamants qui n’ont même pas conscience de leurs fascinantes facettes.
Mardi (-6)
Les feuilles de thé se déploient dans la tasse chaude. Le tamis s’est coloré aussi, à force. Ça sent bon, hâte de retirer le masque pour humer et absorber le breuvage. L’eau lave quand elle pleut, l’eau nettoie quand on frotte, mais l’eau qu’on avale adoucit le travail. Je le crois. Je l’espère. J’en ai besoin. On sourit, même sous les masques. Un peu de la douce effluve nous relie. Le correcteur d’orthographe me dit qu’effluve est masculin. C’est donc le doux effluve qui nous relie. Mon fleuve mémoriel féminiserait-il les moments les plus lointains ?
Lundi (-7)
L’écran est noir parfois. Figé d’autres fois. La connexion est intermittente. Ma mémoire aussi. Mes neurones marchent-ils en wifi ?