L’étang avec sa petite île centrale dédiée aux canards n’est pas au bout du monde, pas plus que les arbres, cèdres, saules, charmes qui bordent l’étang n’évoquent une forme de végétation du bout du monde, pas plus que les zones bétonnées aménagées en contrebas du talus offrant des plages stables pour l’installation des pêcheurs ne ressemblent à des morceaux de quais du bout du monde, pas plus que les deux structures de pique-nique avec bancs et table d’un même tenant ne rappellent une dernière aire de pause repas avant le bout du monde, pas plus que les villas quatre façades qui s’organisent les unes après les autres sur une moitié du pourtour de l’étang ne font songer à des habitations d’un quelconque village du bout du monde, pas plus que le château d’eau surplombant l’étang de toute sa décoration délavée par les pluies, le gel et le temps, ne pousse à confondre avec un certain phare du bout du monde cher à Jules Verne, pas plus que la baraque de chantier dont un des côtés s’ouvre à chaque fête de village pour accueillir les buveurs de bière et les mangeurs de frites ne figure une sorte de dernier restaurant avant le terminus du bout du monde, pas plus que la prairie où broutent de manière immuable une vache, un veau et un taureau devant une étable bancale rafistolée de tôles rouillées ne suggère une ultime ferme du bout du monde, pas plus que le camping aveugle au regard sur le bas-côté de l’étang avec ses caravanes défraîchies, ses mobil-homes abandonnés, ses sanitaires pleurant l’odeur d’eau de Javel ne relèvent d’une sorte de campement pour derniers survivants du bout du monde, rien en somme de cet étang et de ses environs ne provoque chez le promeneur ce sentiment d’être arrivé au bout du monde. A moi seul parle ce bout du monde qui, à chaque fois qu’il se présente à moi, me propose d’abandonner tout ce qui m’encombre du monde comme il va à son terme pour tenter d’entrer dans un monde qui n’est que commencement, éveil et possibilité.