Le cycliste pose sur son vélo, il tient d’une main l’énorme bouquet de fleurs qui repose sur le cadre et de l’autre une coupe dont il semble ne savoir que faire. Bij de 2 renners la devanture du café est placardée d’affiches et dans un interstice on distingue un homme assis qui tourne la tête dans la direction du photographe. La petite photo en noir et blanc est pour l’instant toujours au fond du sac à main, lui-même dans la garde-robe de la chambre du premier étage dont la porte n’a pas encore été ouverte. D’ici quelques jours, lorsque la maison aura absorbé complètement la nouvelle venue, la photo du cycliste sortira de l’obscurité du sac et comme toutes les autres photos trouvées dans la maison, elle sera posée sur la table de la salle à manger pour le grand inventaire qui l’a menée jusqu’ici. Photos de mariages, de baptèmes, pique-niques dans le jardin familial ou dans les grands prés, vacances à la mer, militaires joyeux et fiers devant des cafés disparus, grandes tablées endimanchées, enfants alignés par taille, … une vaste mosaïque noire et blanche recouvrira bientôt la grande table familiale.
Elle passera alors les jours qui suivent à classer et empiler les photos, séparer les familles du père et de la mère, rassembler les tirages par séries, par événements, par années. L’exercice ne sera pas toujours simple et dans certains cas il faudra faire appel à d’autres données que les visages ou les paysages fixés sur la pellicule, comme la texture du papier, le bord, cranté ou plat, des photos ou les inscriptions au crayon au verso. Chaque photo finira par trouver sa pile, à l’exception de deux paysages enneigés et d’une cabine de téléférique qui resteront sur le côté, inclassables à jamais et dont elle finira par se débarrasser.
Le cycliste prendra place sur la pile des photos paternelles, dans la Flandre en noir et blanc des années 50 et ses cafés sombres où des jeunes gens en costume se saoulaient chaque dimanche consciencieusement. Mais ce qu’elle ne sait pas, et ne saura jamais, c’est que ce petit cycliste n’a rien à faire dans la pile des photos du père, pas plus qu’il n’a à faire dans la pile des photos de la mère d’ailleurs. A vrai dire, le cycliste n’a rien à faire dans cette maison et, si plusieurs erreurs se cachent dans les piles de photos, le petit intrus à vélo sera au final le seul à enclencher un mouvement irréversible. Parce qu’elle se trouvera une ressemblance avec ce jeune homme posant seul dans une rue déserte, parce que la présence incongrue de la photo dans un sac à main fera de lui le héros d’un voyage à travers la flandre, parce que de découvertes en révélations -comme le vélo, bien réel celui-là, qu’elle trouvera dans le garage- l’histoire familiale prendra un détour fictionnel irréversible. Nous verrons plus tard que la réalité finira par retomber sur ses pattes, mais pour l’instant, nous en sommes encore au prémisses du malentendu.
La maison accueille la nouvelle venue sans réserve. Elle lui ouvre ses fenêtres, ses portes, elle révèle sans retenue le contenu de ses armoires, elle se laisse conquérir sans efforts. Le pompon rouge du porte-clé a retrouvé sa place, il balance doucement au crochet du couloir. Dans le lilas, la merlette a rejoint son nid de branchages, de feuilles mortes et de bouts de papiers dont certains portent encore des traces d’une écriture bleue délavée de pluie et de vent.
Oh c’est si intriguant. C’est déjà comme un feuilleton. On rêve d’être le mercredi soir pour avoir la suite. La suite la suite !
Oh, merci beaucoup Sybille, tu es tellement encourageante :-).