Ce n’est pourtant pas la première fois qu’elle vient mais elle se perd à chaque fois. Carcassonne, Lézignan, Minerve et là, c’est foutu, elle ne se rappelle jamais à quel endroit il faut prendre à droite ou à gauche ni à quel moment, elle se trompe. Elle finit toujours par retrouver sans savoir comment, à l’intuition ; ça y est, elle reconnaît le petit pont, la route qui monte qui tourne, tout en haut au col, le grand tournant à gauche, le chemin prend à droite dans le coude, la pancarte est illisible mais c’est bien là. Le chemin descend, cahoteux. Bonjour les suspensions. Elle gare la 4L à côté de la Peugeot break, sort de la voiture, attrape les courses dans le coffre, rien que des trucs utiles, ici on ne va pas au supermarché tous les quatre matins ; de l’huile, du riz, des pâtes, du beurre, du gruyère, du café, des pommes de terre, des fruits, du chocolat aux noisettes pour C. Les poules se promènent en caquetant picorant comme font les poules. Le chat roux roulé en boule, ouvre à peine un oeil. La petite chatte isabelle – oui, ça ne peut être qu’elle, qu’est ce qu’elle a grandi – lui tourne autour. On entend bêler les chèvres au loin et le tintement de leurs cloches. Personne à la maison, la porte est ouverte. Ils doivent être encore dans les champs ou dieu sait où. Dans la cuisine, le bazar habituel : la vaisselle de la veille dans l’évier, la carcasse du poulet dans le plat rectangulaire ; sur la table, la cafetière, la plaque de beurre, le gros pain de la femme à barbe, des miettes, des torchons, des cendriers pleins. Ils n’ont jamais de temps pour s’occuper de la maison. Elle le fait quand elle est là. Comme elle ne sait ni poser les clôtures, ni traire, ni faire le fromage, ni conduire le tracteur, elle s’occupe de la maison et elle aide au jardin. Ça sent le feu de bois, la cheminée est pleine de cendres, il y a une bûche à moitié consumée. Un verre avec un fond de vin rouge traîne sur le rebord. A. arrive enfin, il rit, il la prend dans ses bras. Allez, on boit un coup, comment va , et toi ? il raconte les chèvres. Ce matin, il avait le cafard, il est allé dans l’étable pour la traite, il a offert un quartier d’orange à Chevrotine, une de ses préférées. Elle n’en a pas voulu. Il rit encore. Jamais entendu un rire pareil. On dirait qu’il fait semblant ; il rit fort en faisant ah ah ah, bouche ouverte, pommettes remontées, planté sur ses jambes de boiteux. Mais non, il rigole vraiment.
Je vous retrouve là, Béatrice, entre Minerve et Carcassonne (pas si loin du lieu où je demeure, du moins à vol d’oiseau). Car nous avons déjà partagé n’est ce pas ?
Et j’aime ces animaux qui aiment les oranges et le désordre de la maison. Mais que vient-elle y faire ?
A nous suivre encore…
Merci Françoise pour votre lecture. Oui, nous avons déjà échangé lors du cycle « Outils du roman ». vous posez la bonne question : que vient elle faire là ? peut-être qu’elle ne le sait pas vraiment au fond ; pourquoi se perd elle toujours en arrivant ? Merci pour ces pistes. Au plaisir de vous lire encore
Continuer à se perdre n’est-ce pas une réponse heureuse à la routine ?