Entre un poteau le long de la route et un arbre isolé, qui prendra la foudre ? Les nuages d’orage montent aussi vite que les vautours fauves sur les courants d’air chaud, l’herbe sèche et jaunie sera bientôt oubliée derrière les odeurs de pétrichor.
Je sortais des gorges du Tarn, le long de l’itinéraire appelé Grande Traversée du Massif Central (signalétique triangle à côté de deux points rouge et l’acronyme). Une étape qui était annoncée facile sur le guide de référence s’était avérée éreintante : de la chaleur, des sentiers pierreux et étroits avec une alternance de raidillons. J’arrive enfin à Sainte-Énimie, je prends le temps d’une longue discussion à un stand proposant à boire et à manger, attirant le chaland et le touriste pour discuter et promouvoir une initiative départementale en faveur des voitures électriques en Lozère. Je prolonge par une pause en terrasse pour aviser du chemin à prendre. Si je contemple le vieux pont, je ne vais pas voir la fontaine de Burle. Un vélocipédiste, Ducroux, la décrivait ainsi dans un récit de voyage fait en 1890 : « elle jaillit derrière le jardin du père Saint-Jean, d’une vasque de calcaire bleuté qu’ombragent des acacias en fleur et mille plantes odoriférantes. C’est un laquet d’azur d’une transparence parfaite dont la surface est à peine ridée par le léger bouillonnement de la source ; deux ou trois roches anguleuses qui en tapissent le fond servent de retraite à de magnifiques truites au corsage d’argent qui s’y réfugient à tire de nageoires dès que paraît le touriste ». Je choisis plutôt de rejoindre simplement le Causse Méjean par la route, évitant la fatigue supplémentaire des pierriers. Au fur et à mesure de la montée, des nuages d’orages apparaissent au loin. Je ne sais pas encore où je dors, ils avivent la tension de la fin de journée. Pour l’instant, je les scrute avec admiration. Les efforts passés aiguisent les perceptions, comme si la respiration et les autres rythmes du corps engrenaient le paysage à l’espace vécu, donnaient le là. Arrivé sur un arrondi herbeux et des pourcentages plus doux annonçant le plateau, je profite de ces visions pour faire une pause-photo, me déportant sur le rebord de la chaussée. L’appareil est dans la sacoche avant, à portée de main. Prises rapides, pas besoin de descendre de vélo, le cadre reste calé entre les jambes. Après plusieurs jours de randonnée les objets sont de plus en plus en vrac, je me penche dessus, je farfouille. Je n’ai pu m’empêcher d’amener de vieux objectifs trouvés aux puces, d’un poids peu adapté à la quête de légèreté en itinérance. Comme je suis seul, peu importe. Je prends je crois le flektogon 35mm, avec l’adaptateur m42 pour l’utiliser sur le boîtier numérique APS-C. Je place aussi un filtre dégradé à glisser dans un support plastique vissé sur l’objectif, pour avoir le ciel et le paysage. La sueur, la lumière, la fatigue rendent parfois maladroits les prises en mains, les vissages et dévissages, et les réglages. Je m’inflige une certaine torsion du tronc. Je déclenche, plusieurs fois, plusieurs luminosités. Je range le tout en prenant garde de ne rien faire tomber, le tasse presque pour faire glisser la fermeture éclair. Je garde un œil sur les voitures passant de temps en temps. Je bois. Je repars. Ducroux, déjà cité, qui avait visité les gorges du Tarn en vélocipède en 1890, parfois embarqué sur les barques des bateliers, notait « Un site vous plaît-il, vite on met son véloce dans le fossé et on s’installe sur l’herbe : si on est artiste, on le dessine ; si on est photographe, on fait marcher la petite boîte…». De retour de ce périple, une semaine plus tard, j’utilise les options des réseaux sociaux pour améliorer à mon (mauvais?) goût d’amateur l’image obtenue. Un commentaire suggère en un clin d’œil une superposition de photos. Loin d’avoir encore essayé cette technique, j’explique comment j’ai obtenu ce résultat. J’apprends maintenant que Gustave Legray, dont une photo m’avait déjà retenu l’œil dans l’océan du web, procédait ainsi, avec des ciels rapportés ! Je suis toujours admiratif des efforts, du soin, de la méthode et de la créativité des premiers photographes. J’aurais je crois préféré pour obtenir la même image utiliser volontairement ce procédé de superposition, oui, encore plus que l’étincelle du hasard (cf. W. Benjamin). Avec de la méthode plusieurs étincelles auraient ainsi pu se rencontrer.
Bonjour Laurent
Voilà une belle description des conditions de réalisation de l’image.
Merci pour cette lecture.
Merci pour la lecture. Je suis tenté d’en faire d’autres sur cette proposition.
salut Laurent
quelle force dans ces nuages, on dirait qu’ils ont été peints
puissance des contrastes et cavale
et je t’ai parfaitement suivi dans les chemins autour de St Enimie et plus loin encore à travers le causse…
Quelles images ! (la première surtout), et cette interrogation qui donne de l’électricité à la description : qui prendra la foudre ? Merci !
la beauté de cet endroit – et merci pour le récit qui chemine dans la souvenir que l’on a de la rousseur de l’image