Who knows ?

Ouch. Machinalement, il porte la main à sa jambe. Machinalement, celle-ci refait le chemin inverse. Du sang. Le buisson de ronces qui s’est offert un bout de sa chair n’a pas l’air de s’en émouvoir. Ses épines vermeilles se dressent comme autant d’épées en guise d’avertissement : ton quelque part à toi, c’est notre territoire à nous. Clear off ! Au loin Continuer la lectureWho knows ?

Une île dans la ville.

Chapitre 1 Il y arrive seulement, mais il a toujours été là autant qu’il s’en souvienne. Il est là depuis des années, des dizaines d’années, pourtant, c’est la première fois qu’il y vient. Le hasard l’a voulu ainsi. Cette fois ci, il n’a pas eu à prendre ni le train, ni l’avion. Les emplacements sont pris. Il tourne et retourne. Continuer la lectureUne île dans la ville.

#L2 | Tant de pièces vides

Escalier C / Appartement 197 / Di Maggio Le carrelage vert dans la salle de bain, décollé, effrité, en éclats sur le béton nu. L’armoire à pharmacie ne tient au mur que par une seule vis. Une plaquette de Citalopram. Une brosse à dents Pocahontas. Un tube de Titanoréïne. Un gant de toilette racorni. Des tongs portant une marguerite en plastique. Continuer la lecture#L2 | Tant de pièces vides

Ce que sait son frère

Greg a regardé le break Volvo s’éloigner avec un pincement au cœur, même s’il sait que ce déménagement ne modifie en rien les sentiments qu’il éprouve pour sa sœur ni l’amour qu’elle lui témoigne. Elle continuera à lui rendre visite avec la même régularité dans son studio de Green Street, à s’inquiéter de sa santé mentale et à lui proposer Continuer la lectureCe que sait son frère

Et ce n’est que le haut de l’iceberg !

Elle passe la nuit dans l’hôtel. Ce qu’elle ne pouvait savoir hier en longeant le boulevard du bord de mer et le jardin du 27, celui devant la maison blanche embellie de bougainvilliers — c’est que derrière la haie, un jeune homme d’une vingtaine d’années se vidait de son sang. Ce qu’elle ne pouvait savoir dans la gare en choisissant Continuer la lectureEt ce n’est que le haut de l’iceberg !

#L2 Traits incrustés de l’égarement

Il faut attendre, encore, attendre l’autorisation pour rentrer, sourire platement à la sécurité, écouter les soignants sans trop en dire. Dans les couloirs, c’est un drôle de vacarme entre le rentre-dedans des hystériques et les hallucinations des psychotiques, ça pu l’humanité désinfectée comme un essai de sublimation entre les prises en charges. La souffrance prend corps dans les échecs du mieux. On dirait vaguement les tintements des verres et Continuer la lecture#L2 Traits incrustés de l’égarement

#L2 | Là-bas

Le voyageur ne sait jamais à quoi s’attendre. Le voyageur voyage, il ne sait pas ce qui va arriver le jour suivant. À chaque étape, le voyageur se demande de quoi seront faits sa nuit son sommeil. Pas de rendez-vous, de lettre à porter, de marchandise à livrer. Il a rejoint une zone habitée par besoin de compagnie ou nécessité Continuer la lecture#L2 | Là-bas

#L2⎜Au port, les vies pleines

(Résumé de l’épisode précédent : Il est seul sur le quai. Il regarde autour de lui. Pour enfin avancer : trois pas, juste trois pas… Pour accéder à la première partie de ce récit, lire Au port, les mains vides) C’est toujours la même histoire avec les piliers de bars : les ivrognes répondent aux ivrognes. Il aura fallu que Continuer la lecture#L2⎜Au port, les vies pleines

L#2 Tout ce qu’il ignore


Il ne connaît le nom d’aucun des arbres gigantesques qu’il découvre, ni d’aucune de ces plantes flottantes d’où s’envolent en criant des oiseaux rouges, pas plus qu’il ne comprend la langue des Chinois qu’il transporte (il a l’impression qu’ils parlent tout le temps dans son dos et cela depuis des semaines de voyage). Mais il sait où il va, il a un projet, projet d’installation avec son beau-frère dans cette habitation pour laquelle il est allé chercher ces employés chinois. Il trouvera, avec l’aide de ce second qui parle quelques mots de français et auquel les autres obéissent. Ces gens-là sont malins, débrouillards, capables de supporter la faim, la soif et ils n’ont pas peur de l’inconnu. Il en faut de la misère pour s’embarquer ainsi au bout du monde pour quelques sous. Lui non plus, n’a pas peur, mais ce n’est pas la misère qu’il l’a fait partir, c’est autre chose qu’ils ne peuvent pas comprendre. Ils vivent au jour le jour sans but. Beaucoup sont morts en chemin, fièvres, dysenterie, éruptions étranges et toutes sortes de misères dues à leur faible constitution. Lui est fort et en bonne santé et son projet le porte, le protège du mauvais œil. Il ne croit pas au mauvais œil dont son second ne cesse de lui parler. Pour un blanc comme lui, bien né, dans une famille respectée (son père n’était-il pas médecin ?) le mauvais œil est un racontar de vieille femme ou de chinois. Il reviendra fortune faite, sera fêté adulé, respecté même par son père. Il le sait, il sent sa bonne étoile. Ce qu’il a déjà accompli est immense. Cette longue traversée dangereuse, il a su en venir à bout. Il viendra à bout de bien d’autres obstacles.
N’est-ce pas cela qu’il a voulu : s’embarquer, partir loin et faire fortune dans ce vaste pays qui possède tant de terres vierges. Comme tant d’autres qui ont réussi. Pourquoi pas lui ?


Ce qu’il ne sait pas, c’est que son beau-frère est mourant ; il devrait se douter de quelque chose en ne voyant personne au débarcadère, mais il est plein de ses espoirs, remplis de ses illusions et tellement heureux de toucher enfin la terre ferme. Il ne sait pas non plus que l’habitation est en friche et ne ressemble pas du tout à ce qui lui a été écrit. Les cabanes de bois construites rapidement n’ont pas résisté aux pluies diluviennes, on dort dans des hamacs par crainte des serpents et on peine à négocier sa pitance avec les indigènes qui préfèrent la vendre aux chercheurs d’or. Tout est à faire, à reconstruire et il faudra encore trouver des prêteurs pour les investissements de départ, ces plants de cannes que les colons installés ne cèdent pas facilement de peur de la concurrence des nouveaux arrivants. Ce qui ne sait pas non plus c’est que sa femme vient d’accoucher d’un garçon. S’il le savait, cela lui donnerait du courage. Il a tellement peur que ce soit une fille, une fille fragile et délicate. Il ne sait pas d’où lui vient cette angoisse tenace d’avoir une fille, un cauchemar qui ne le lâche pas depuis son départ, depuis qu’il a appris la grossesse de sa femme.


Fièrement campé sur le pont, il donne des ordres à son second. Les Chinois obéissent, se jettent à l’eau au péril de leur vie pour accoster et amarrer le bateau. Les boucaniers n’ont pas bougé tous à leur affaire de rôtissage au milieu de la fumée. Une famille en pirogue fait des signes aux Chinois qui nagent avec peine dans le courant violent et sauvent un malheureux qui se laissait emporter dans les eaux boueuses. Ces gens-là se comprennent pense-t-il avec mépris. Ce sera utile pour la suite.
« J’ai faim et soif », crie-t-il aux boucaniers qui le regardent arriver avec de grands sourires.