Après avoir bataillé avec la mise en page des blocs, colonnes et paragraphes, voilà quelques pages (de la page 12 à la page 17) du bouquin, né d’hier.
Elle n’est pas venue au monde
elle a chu
(on tombe en naissant)
venir au monde, image d’une éclosion parfaite, florale
elle fut longtemps sans prénom (bien qu’il fût consigné dans l’acte de naissance) et c’était comme si la déception née du rêve abandonné (c’était lui et non elle qu’on attendait) avait œuvré – inutilement ! – pour la renvoyer dans les limbes qu’elle venait de traverser, emportant de surcroît avec elle le petit nom de Jean-Michel, petit nom, c’est ainsi qu’on disait
on comprend bien plus tard que c’est cette première chute qui – à la toute fin – nous casse le cou
elle a su qu’il faisait nuit
ou bien que le lieu était sombre ou que ses yeux étaient clos, elle a su qu’il y avait des bruits, de pas d’halètement de chuchotement, elle a entendu les cris qui ont précédé le sien elle a senti la chaleur, même si là-bas
c’était l’hiver, elle a senti avant que des mains ne la touchent que des voix ne se rapprochent, elle a senti la chaleur caresser sa peau, envelopper sa chair mâchée par l’effort, elle a compris que la chaleur avait cogné aux vitres toute la journée, personne ne voulait la laisser entrer puisqu’on ferme les vitres en hiver – il faut bien respecter les saisons – parce qu’elle est une fée qu’on refuse résolument d’inviter mais qu’on ne peut chasser, elle ne l’a pas vue se pencher, elle a pressenti sa toute première moiteur quand l’autre l’a reniflée et l’a estampillée au poinçon du Sud sur tout son humble corps déjà à peine calciné, des petits pieds ridés jusqu’à la tête jusqu’aux doigts minuscules à l’intérieur des poings serrés, des lèvres en boutons de rose au cœur en son battement léger
la nuit s’éveillait, et alors que le regard de l’enfant était encore éteint, elle l’avait ébloui – sans retrousser ses paupières – du rai de sa grande lune pleine qu’elle venait d’accrocher à la paroi d’un scintillant ciel d’hiver
là-bas est d’un autre côté de la mer, ce côté que l’exil seul a créé, emprisonnant dans son sombre filet l’ancienne terre au-delà des flots
que dire du Sud sinon qu’il héberge des terres et des terres et que parmi ces terres, la sienne, dans son filet, sans signal sans lueur, étouffée, violentée, (plus tard on saura comment) s’est arrimée à un vague rocher que recouvre la mer
la fraîcheur stationnait au sol, et le miracle de nos journées, pesantes de soleil, et de nos nuits, impuissantes à chasser la chaleur (peut-être même s’employaient-elles à la stocker pour que le lendemain soit plus terrible, plus étouffant, plus accablant encore, car c’est ainsi qu’on disait C’est accablant, accablant
mot qui n’a plus qu’un sens, acquis au temps de mon enfance longue de neuf années dont je parlerai après, et désigne le poids de l’air blanc, solide, ardent, qui semblait ne pas arriver jusqu’au sol, d’où naissait le miracle, permanent, combat toujours gagné, celui de la fraîcheur du ciment coloré en traits géométriques)
c’était de pouvoir y coucher les enfants, pendant les siestes longues de l’après-midi, dans la maison aux volets clos mais persiennés qui laissaient un rai blond s’infiltrer – vers lequel nous, ma sœur et moi, nous, les enfants, avancions la main, tentions de saisir les poussières qui lui naviguaient dessus, mer étroite et toujours fréquentée, dorée comme pouvait l’être l’autre, la vraie, tout en éclats étoilés de verre, sans une once d’écume en l’absence de vent, contenue par la baie, ample, lointaine, mais qui pourtant, en épousant le ciel, toile scintillante dénuée d’horizon, semblait se rapprocher dangereusement de notre terrasse
s’imposaient à la fois la répétition et la plainte, et chacune naissait et de l’une et de l’autre
les carreaux de ciment, largement dessinés en traits rouges et noirs, figuraient les étoiles, ainsi le ciel commençait par le sol
Superbe mise en page qui redouble le plaisir de lecture !
Voilà le commentaire le plus gentil et le plus revigorant que je pouvais recevoir ! Ce fut une galère tôt ce matin de mettre en page sur le site, alors que sur word, la partie écrite en noir et celle en bleu se répondent en pages doubles, en face à face, sur la totalité du bouquin, et ce fut bien plus simple à mettre en oeuvre !
Quelle formidable trouvaille, ces deux colonnes ! J’ai adoré chalouper de l’une à l’autre, rester, glisser, revenir et me nourrir des évocations croisées. Résonne aussi avec ce thème du double qui traverse certains de vos textes (la conscience Nymiji, mais pas uniquement). Plutôt le deux que le double d’ailleurs, puisqu’on est très loin du miroir, la voix en écho fait plutôt contrepoint. Alors merci Chantal pour ce plaisir de lecture !
ps : merci itou pour votre commentaire sensible de mon texte, reçu par mail ce matin mais pas affiché sur le site (c’est le troisième dans ce cas, no comprendo).