#46 | 05/04/23 | Aujourd’hui, j’écris la #13. C’est très court. Ca saisit un geste. L’arrête dans le flux d’une marche. Mots qui capturent tout vif un instant, arraché à la course folle et quotidienne de la petite dame du Carmel. Lui prêter voix pour la deuxième fois dans ce carnet alors même qu’à la boulangerie, je comprends qu’elle ne parle pas. Quelques sons seulement. Des gestes. Elle était pimpante aujourd’hui. Pas alerte et coloré.
#45 | 04/04/23 | Sur ma gauche : un verre d’eau presque vide et le bois de la table dans sa transparence ; deux petites pièces rondes de lego grises un peu plus haut, de celles que l’on perd facilement ; un casque noir et les méandres de son fil ; un smartphone ; une tasse de café vide ; la tablette où s’écrit l’inventaire du jour ; à droite, un cahier à spirales et des notes où il est question de listes et d’inventaires ; des feuilles de brouillon avec des chiffres, des montants, des calculs, des frais, des additions ; une trousse ouverte, tissu délavé et gorgé d’encre turquoise ; un tout petit carnet bleu marine aux motifs à plumes de paon ou éventails qui évoqueraient des plumes de paon ; dessous, une chemise cartonnée grise à élastiques rouges ; ici et là, autour, un stylo, un bout de règle cassée, deux autres stylos, un fluo orange ; à droite, une première pile de quatre livres et un carnet, un autre, à spirales là encore ; à droite encore, une autre pile de carnets vierges sur les vestiges du Monde Diplomatique du mois de mars découpé dépecé déchiré ; à droite encore, une autre pile de porte-vue, de liasses de feuilles et de livres ; et à droite encore une dernière pile de chemises cartonnées et de livres ; au-dessus de cette ligne de piles tout le long de la table en bois, c’est plus foutraque : une boite de trombones, un emballage d’adaptateur HDMI, un autre d’airbox ; une multiprises et des chargeurs ; une enceinte bose ; un sac en tissu ; un sac d’ordinateur et dessus un chat qui respire et s’étire. Voilà ma table de travail aujourd’hui. Table où l’on mange aussi. Où l’on discute. Il faut pousser les piles parfois, les réorganiser. Face au letchi, aux manguiers et au soleil qui se couche. Dans le bruit de la route pas loin, du coq et des poules et de la vie de tous les jours. Table nomade ces deux dernières années. Table de travail qui cherche un lieu à soi pour s’extraire du bruit.
#44 | 03/04/23 | Aujourd’hui, j’écris la #12. Ca tombe bien on est lundi aussi. Je ne l’avais pas comprise alors. Je la trouvais intimidante. Et puis ce soir, j’ai une réponse à apporter. Alors j’ai posé mon aplat de gris. Je vais reprendre le voyage aussi. C’est les vacances. Là encore, ça tombe bien. Je vais poser le fracas du monde, le laisser un peu de côté et raccrocher le wagon. Comme je peux. Tenter de me réaccorder.
#43 | 10/01/23 | Aujourd’hui, j’écris la #9. Ne pas s’attarder sur la difficulté de trouver un espace et un temps à soi. Pour écrire. Ne pas s’attarder…S’attarder dans les creux, les interstices…
#42 | 09/01/23 | Aujourd’hui, j’écris la #8. Je réécris plutôt. La première version, trop personnelle, est restée dans l’ordinateur. Aujourd’hui j’ai choisi les noms propres de lieux de la Prose du Transsibérien de Cendrars. Pour me lancer dans le nouvel atelier. J’ai choisi finalement de prendre les lieux dans l’ordre et de retenir les répétitions, d’accepter le voyage alors même que, je l’espère, je m’apprête à m’ancrer enfin dans un lieu à moi. Il semblerait en tout cas.
#41 | 29/12/22 | Je comble les trous de mon carnet individuel pour que ça continue et vive. Aujourd’hui, la #4 et la #6. Pour la #4, une envie de collectionner ces phrases du réveil, exercice très difficile dans la saisie du langage de ce fragment de réel si balbutiant mais absolument passionnant.
#40 | instructions pour que continue le carnet
Treize conseils pour que vive le carnet !
1. Pas un soir sans une note. Lourde du jour traversé. Même un mot !
2. Oser le malfini, le pas encore abouti, la note insatisfaite, encore balbutiante et trébuchante.
3. Carnet papier ou bien numérique, la question n’est pas tranchée. S’adapter. Faire comme on le sent. Ne pas craindre la dispersion.
4. Larguer les amarres.
5. Embrasser le fragment. Le multiplier.
6. S’imaginer le carnet comme un filet à papillon : capturer le réel, accrocher la matière. Le carnet, effraction dans le réel.
7. Ne pas oublier d’écrire la date, et si possible le lieu.
8. Ne pas craindre le vrac : note de lecture, bribe de réel, bouts de conversation, impressions, sensations, citations, cris de colère, fragments du dehors, fragment du dedans, fragment de rêves….
9. Ne pas hésiter à l’augmenter à le faire grossir : feuillets, feuilles volantes, collages, griffonnages, images, photos…
10. Emporter toujours un carnet avec soi. Qu’on sente, à force, le passage du temps et des espaces traversés. Frottements, taches, pages cornées…
11. Multiplier les carnets : carnet de rêves, carnet de voyage, journal intime, journal d’écriture, carnet de l’état du monde, carnets de mots rares, bizarres, inconnus, nouveaux, chéris, qu’on trouve beaux…et parfois ça se mêle, se croise…
12. Relire (ou pas) ses carnets et voir le temps passer. Les années.
13. Dans son testament, bien stipuler quoi détruire (carnet papier ou fichiers numériques). Trouver pour cela une personne de confiance.
Lieux récurrents du rêve | villes labyrinthiques dans lesquelles je déambule je m’enfonce depuis sa périphérie au bord de rien, comme suspendues | immeubles à la hauteur improbable où je reconnais quelques-uns des lieux où j’ai vécu, concentrés là dans un même espace | villes de bord de mer à portée de hautes vagues sur le point de tout submerger mais qui restent en suspens tandis que je marche, ou bien, plus rarement, qui s’abattent et là, il faut fuir | vastes aéroports dans lesquels je cours contre le temps les contrôles les foules les files d’attente pour attraper un avion | gares et halls d’attente à la recherche de correspondances que je ne peux pas prendre
« Hors d’ici tout à l’heure, et qu’on ne réplique pas. Allons, que l’on détale de chez moi, maître juré filou, vrai gibier de potence ! »
J’ai dix ou onze ans, enfin je crois. Je ne sais plus si je suis encore à l’école ou bien déjà au collège. Dans mon souvenir, je suis sur la scène de la salle municipale. C’est rouge, c’est grand, c’est en hauteur. Sur le plateau, une table, des chaises. Le noir des coulisses. Et en même temps, j’ai l’impression que je confonds. On joue des petites scènes de L’Avare de Molière. J’imagine. Je joue Harpagon. En écrivant me reviennent d’autres bribes de la scène et les gestes avec : « Montre-moi tes mains. / Les voilà. / Les autres. / Les autres ? ». C’est drôle… mais j’ai peur. Je ne sais plus qui me donne la réplique. La panique d’alors semble vider la salle et le souvenir de tout maître ou professeur. Les autres élèves sont là sans être là. Juste des regards. Et encore. J’imagine. C’est flou. Tête à tête avec le texte et le personnage, et soi-même. La fureur d’Harpagon en boucle pendant longtemps, qui surgit encore parfois aujourd’hui. Dans mon souvenir, je sens que je suis terrifiée à l’idée de me mettre en spectacle. Je me sens toute nue. Harpagon emprisonné dans sa folie et moi dans ma timidité. Feu aux joues probablement. Je n’ai jamais compris pourquoi cette bribe de texte est restée jusqu’à revenir de temps à autre de façon comique et théâtrale comme ça ou quand les circonstances s’y prêtent, pour rire. Pour conjurer la peur d’alors peut-être. La faire détaler.
#36 | routines du lire écrire, et quoi faire de mieux
Tôt le matin. Saisir le smartphone. Avant les routines matinales. Tour d’horizon. Mails. Prioritaire. Autre. Whatsapp. Tour d’horizon. Prioritaire. Les imprévus surtout. Du matin du quotidien. Insta parfois. Et puis c’est tout. Polars Michaux Pessoa Franquin en bord de lit ou sur table de nuit. Sagement attendent le soir. Café. Tartines. Ecole. Boulot. Livres entamés : Edouard Louis, Annie Ernaux. Livre stabiloté, colorié, annoté. Lu et relu : Manon Lescaut. Repérages de passages à lire à voix haute. En classe plus tard. Et puis dans les trous d’attente dans les flottements de la journée : les gros titres quelques articles parfois selon les jours. Le pouce qui fait défiler. L’œil qui saisit. De haut en bas. Le pouce clique ou pas. Newsletter The Conversation. Newsletter Arrêt sur Images. Newsletter Basta. Newsletter Mediapart. Un jour, je me décide à lire les gros titres systématiquement. Avec promesse de le faire chaque jour. Promesse non tenue le jour suivant. Crise de désespoir face au non lu. Récurrente. Epuisante. Et la journée alterne comme ça. Ca picore, ça cogite, ça savoure, se délecte, s’enthousiasme de clic en pages cornées, crayonnées. Ca se promet de lire ça. Et ça. Passage à la librairie. On s’est promis que cette fois non. Et puis si Makenzy Orcel rejoint la pile. Manon à pleines mains lue à voix haute, analysée, interprétée, vidéo-projetée. Livres empilés et picorés. Et puis le soir après traversée de jour. Lecture du tome 5 d’Harry Potter à voix haute. Les cris quand je m’arrête. Le rituel. On est presque à la fin. Extinction des feux. Dans la nuit précoce, l’écriture et la lecture pour soi se fraient un chemin étroit. Ecrans lus et puis noircis. Atelier d’écriture. Ecriture de la proposition qui a mijoté une nuit et une bonne partie de la journée. Carnet individuel. Lecture de la suivante. Copier-coller dans le fichier consacré. Derniers picorages sur l’ordi et dans les piles de livres qui s’entassent sur la table. Et puis se coucher. Polar du soir. Michaux du soir. Avant de sombrer. Et de laisser mijoter.
#35 | la panne, l’embrouille
il est là…elle est là…sur le bout de la langue…tellement près d’être prononcé.e qu’elle il s’envole…mot…phrase…pensée…je ne sais plus ce que je disais…je disais quoi déjà…écran noir avant de…extinction des lumières… grand saut grand vide grand blanc grand noir black out… circulez y a rien à voir…je disparais avec les mots… paralysée autour de la béance qui se fait là… inattendue et terrifiante…plus rien à voir à dire à entendre…tête à tête avec son vide…
#34 | ah ça ce serait une histoire pour…
sur le rebord de la fenêtre ouverte au numéro 8, deux sacs plastique ; l’autre jour c’était une poêle ; de l’appartement obscur, dans le soir tombant, résonnent la radio et la solitude de René | elle erre en robe moulante noire dans le quartier du front de mer près du Leader Price, le visage ravagé | au lieu de déjeuner, assise sur son tapis de yoga en robe marron plissée volante et ceinture noire, elle respire, yeux fermés, avant de retourner au tribunal
#33 | faire le vide
faire le vide dans la marmite du quotidien faut que je pense à faut pas que j’oublie quelle heure mince encore ça à faire tant pis laisser éclore le vide dans le bouillon de l’ordinaire car quelque chose se dépose en feuilleté ni vu ni connu mine de rien une fois devant le clavier bulle d’écriture malgré les bruits de la maison à l’arrêt pister le feuilleté faire décanter à l’affût de ce qui s’est joué dans le trop plein et ça vient comme ça peut fleur de thé qui s’ouvre dans l’eau
#32 | les morts sont parmi nous
à E.
les sentiers du Mont Blanc foulés malgré sa douleur au genou et sa douleur tout court | son ventre arrondi sur un banc du jardin des plantes et son angoisse tapie | ses confidences dans le silence nuit d’un appartement lyonnais et son cri jusqu’alors étouffé |son écriture sur notre journal de bord de 2003, ses cartes postales dans les boîtes à chaussures, et ce conseil de lecture qui te hante dans ton petit carnet vert : Veronika décide de mourir
Nantes. Jardin des plantes. Jeux d’enfants. Quel banc déjà ? Cris. Poussettes. Course-poursuite. Chutes. Un ventre arrondi. Le bac à sable. Le salon de thé. Rien n’a changé. Apparemment. Inquiétude des mères. Le ciel est gris le soleil timide. Pas loin de l’entrée un homme en terre d’exil attrape comme il peut les regards des flâneurs du mois d’août. Comme alors. Rien n’a changé. Apparemment. Tout semble au ralenti en attente. Le banc est là. Dans l’air un creux une absence.
Deux versions. La deuxième, celle finalement envoyée, après relecture plus attentive de la proposition. Version plus troublante pour moi. Enfin compris et noté, ce que j’ai ressenti cet été. Quand l’on se rend compte que retourner dans certains lieux, c’est chercher la trace des absent.es
#31 | de l’état du monde
#30 | fait divers, tout petit fait divers
« Tenir solide les pieds posés malgré catastrophes naturelles à faire courir tomber nos jambes coton puis courants d’air je vous en prie restons debout. » (Albane Gellé)
Morne à Vaches. Effondrement d’un ancien pont militaire en travaux de déconstruction. Six victimes. Parmi les ouvriers. Blessure légère. Fracture du pied. Fracture à la jambe gauche. Pied gauche sectionné. Aucun communiqué pour deux des victimes. En attendant les secours, plusieurs heures dans le gouffre chaos de terre structure métallique pierre béton arraché. En bas, un ouvrier réclame de l’eau. Derrière lui la rivière suit son cours, indifférente au drame. L’accident a eu lieu à 14h45. A la même heure au lycée, quatre adolescents, penchés sur les tables rondes du CDI, écrivent leur « Tenir debout » grâce au recueil d’Albane Gellé Si je suis de ce monde. Oui, si je suis de ce monde, alors j’en traverse le drame et la beauté. Tenir côte à côte pont qui s’effondre cris gémissements des ouvriers pendant que lignes noircies couchées sur le cahier faits si divers et pourtant cris de vies pour tenter malgré tout jusqu’au dernier souffle de rester debout.
#29 | on n’aurait pas dû, voilà
Comme ton père…n’aurais pas dû prononcer ces trois mots aurais mieux fait de les ravaler tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler tiens…comme ton père…non n’aurais pas dû les laisser échapper regrettés déjà d’être formulés au moment même où ils trébuchaient sur le sol de la cuisine mots vipères mots crapauds des contes de fées mots échappés dans le vif de la colère…comme ton père…trois gros pavés dans la mare fétide de l’enfance…ce jour-là je n’aurais pas dû.
#28 | ruminé, rabâché, ressassé
quelque chose tracasse qui s’est posé là il y a quelques jours voile de nuit dans le grand soleil de décembre confusion dans la clarté du jour grain de chagrin qui crispe le visage fait qu’on n’est pas à ce qu’on fait à sa vaisselle à son repas à ses trajets à sa lecture aux conversations ça ronge tout l’air de rien alors on cherche ce que ça pourrait être ça qui fait ouvrir les yeux avant l’aube ça qui fait ruminer quand la nuit dort ça qui fait que quelque part ça cloche
#27 | pas moi, mais mon double
Matin extérieur jour | tu peines à te regarder à te séparer de toi et pourtant te voilà devant moi la courbure de ton dos quand tu marches le regard ailleurs tout plein de ce qu’il y a à faire de ce qu’il faudrait dire ce qu’il aurait fallu faire et dire tout ça dans le regard et puis le poids de la fatigue en montant les marches du lycée avant les sourires et saluts du matin à la loge puis à la grille d’entrée ton pied glisse sur un pavé. Midi intérieur-extérieur jour | tu es assise tout en noir sur ton zafu multicolore et ton tapis de yoga bleu face au paysage de canne et de mer tu es encore un peu essoufflée tu es arrivée en retard tu avais oublié dans le tout plein de ce qu’il y a à faire et puis tu fermes les yeux tu esquisses un sourire tu gonfles le ventre tu laisses la respiration aller et venir comme une vague on te demande d’être spectatrice de toi-même de ces espaces qui en toi respirent et qui le matin encore étouffaient sous le tout plein de ce qu’il y a à faire de ce qu’il faudrait dire ce qu’il aurait fallu dire et faire c’est difficile mais on dirait que tu t’en sors bien. Soir intérieur nuit | tu t’affaires comme chaque soir dans le tout plein défais un sac refais un lit réchauffes une soupe orchestres un coucher racontes une histoire caresses une joue éteins une lumière
#26 | choses nettes, choses floues
silhouette du jardinier dans les ruminations du lundi | corps sans vie d’un colibri dans les pattes du chat | l’horizon et le bleu de la mer dans les angoisses du matin | flou du dehors quand je me perds dans le dedans | flou du dedans quand je me mets à l’écoute du dehors | aujourd’hui lundi, atténuation des contrastes de la lumière de décembre | nostalgie d’hier : dilution des reliefs, des arêtes de couleurs et de lumière dans la toute beauté du volcan et de la mer comme une nappe d’huile bleue, aujourd’hui comme blanchie, écrasée, brouillonne
#25 | fragments du corps
déplier le corps – nuque lourde dans le petit matin – tout l’accompli et l’inaccompli du jour, logés là – tensions et crispations partout dans le corps, tapis, à la faveur de la nuit, dans l’immobile et le peu de souffle juste assez pour te maintenir – là au creux des reins, là au creux des lombes – la douleur a quitté le ventre – a fait le tour – pour se lover cristalliser irradier dans le bas de ton dos – grimace du petit matin car il va bien falloir – déplier le corps
#20 | la scène est muette (mais vaut son prix)
Je dépose les courses sur le tapis roulant, le frais avec le frais, le volumineux avec le volumineux, le fragile en dernier. Une ombre rouge s’affaire à l’autre bout tout entière au client précédent. Il paie par chèque. Je soupire. Il va falloir une pièce d’identité. Qu’il ne trouve pas. Ouvre sa sacoche, la vide, ne la trouve pas. La caissière attend. Me regarde et les clients suivants. Sourire compatissant contre moue rébarbative, nez plongé dans le portable ou calme placide. Pour ma part je choisis de lui sourire aussi. Car il lui en faut du courage. L’autre cherche. La caissière passe un sopalin sur le devant de sa caisse. L’autre finit par trouver. Le temps de noter les chiffres et les lettres. De faire signer après avoir fait vérifier. Chèque finalement rangé dans le ventre de la caisse. En échange un long ticket de caisse. C’est enfin mon tour.
#19 | Transaction
Salut à la maman de Lucas, policière municipale, sur le passage piéton de l’école ; voitures immobilisées par le flux des voitures aux heures de pointe et qu’on laisse passer car pour une fois on a le temps ; bonjour à la caissière du Super U qui ouvre la conversion des articles en euros sonnants et trébuchants ; pas de carte fidélité en revanche, échec de la transaction ; hochement de tête silencieux à celui qui en face me laisse passer voire salut de la main esquisse d’un sourire pour signifier cette présence à l’autre le temps d’un croisement dans la climatisation de nos habitacles
#13 | arrêter le monde
regard qui se tourne en robe rose vif et parapluie à fleurs
#12 | la grisaille, les dessous
Le gris des absences. Le gris originel. Primitif. Le gris des réveils dans le vide et le silence. Le gris du temps des ventres noués. Le gris des catastrophes enfantines. Le gris du temps qui ne finit pas avec au bout ce qu’on devine puis qu’on sait et que viscéralement on redoute. Le gris des creux à combler. Des yeux dans le vide. Le gris des cris jetés dans la nuit ou le petit jour. Dans le vide gris les cris. La voilà la grisaille avant les mots.
#11 | c’est dimanche
Tu te souviens. C’est un soir. Ta mère t’accompagne. Tu dois avoir 14 ans. Environ. Le souvenir est vague. Comme la plupart de tes souvenirs. Une auberge. Sur une colline. Un feu de bois. Dehors il fait froid. C’est l’automne ou l’hiver. Des tables et des chaises en cercles. C’est une veillée poétique. Les poètes lisent leurs textes. Tu lis les tiens. Pour la première fois. En public. Les mots ont un goût de terre mouillée, de forêt, de pluie, de vent.
#10 | pendant que
Pendant que je chante, je cherche ma voix. | Pendant que je danse, je ne pense pas. | Pendant que je vis, quelqu’un meurt. | Pendant que je ris, quelqu’un pleure. | Pendant que je dors, il veille.
#09 | ne pas s’attarder sur
ne pas s’attarder sur les angoisses qui saisissent le ventre au petit matin | ne pas s’attarder sur les coulures de peinture sur le carrelage, les fenêtres, les clayettes | ne pas s’attarder sur le jardin en friche troué de gravats | ne pas s’attarder sur les portes qui ne ferment pas | ne pas s’attarder sur les infiltrations les plafonds les murs qui pleurent quand il pleut | ne pas s’attarder sur le temps qui passe | ne pas s’attarder sur la poussière de chantier | ne pas s’attarder sur les promesses non tenues les belles paroles les silences | ne pas s’arrêter sur l’état du monde | ne pas s’arrêter et continuer vaille que vaille coûte que coûte envers et contre tout
#08 | les noms c’est du propre
Moscou Ephèse la Place Rouge de Moscou le Kremlin Novgorode Saint-Esprit Moscou Sibérie Amour Novgorode Sheffield Malmoë Kharbine Pforzheim Golconde Oural Chine Europe Flandres Baylone Bâle Tombouctou Auteuil Longchamp Paris Neaw-York Madrid Stockholm Patagonie Patagonie Patagonie les mers du Sud Montmartre la Butte le Sacré-Cœur Paris Sibérie Montmartre Montmartre Montmartre Tomsk Tcheliabinsk Kainsk Obi Taïchet Verkné Oudinsk Kourgane Samara Pensa Touloune Mandchourie Kharbine Montmartre Paris pays de Cocagne Montmartre Fidji Pacifique Phénix Marquises Bornéo Java Célèbes Japon Mexique Pérou Paris Berlin Saint-Pétersbourg Oufa Grodno Notre-Dame Louvre Bruges-la-Morte New-York Venise Moscou la Porte-Rouge Prague Syracuse Irkoustsk lac Baïkal Mongolie Extrême-Orient Talga Krasnoïarsk Khilok Port-Arthur Tchita Gobi Khaïlar Europe Asie Tsitsika Kharbine Paris France Saint-Germain Montmartre la Butte le Sacré Cœur Paris Italie Amérique Mandchourie France Paris
#7 | chaque visage un trait
rond du visage traits tirés yeux écarquillés de stupeur affolés d’étonnement d’interrogation happant l’air main tendue dans le grand vent et le soleil de midi | yeux rieurs elle a surgi toute vêtue de noir corps menu projeté et j’ai souri éclat de vie adolescente heureuse d’être là visage offert à la surprise du jour | baguette dans une main sandwich dans l’autre il marche et il a faim alors il mange oscillant mastiquant encombré de son corps et de son pain dans le petit matin
#6 | personne d’autre que moi n’aurait remarqué que
si je n’avais pas levé la tête pieds dans le vrac des bouts de bois flottés, des gousses de flamboyants, de fragments de coraux, de fibres de cocos si je n’avais pas levé la tête arrimée au sol ocre aux aguets à l’affût rôdant flairant le cadre maraudant nez en l’air, je n’aurais pas remarqué – et personne d’autre que moi n’aurait pu, l’un l’une l’autre affairé.e qui dans l’eau, qui dans le sable, qui dans les rires et les conversations, qui dans un livre, qui sur la ligne d’horizon – non à cet instant-là, personne d’autre que moi n’aurait pu remarquer la suspendue, la tremblante, feuille de raisinier bord de mer toute rougie, cœur palpitant doucement, petit battement dans le vent le soleil déclinant et le ciel feuillu vert bleu et blanc
#5 | ciel du lundi
6h45 (au réveil) | Courses d’épais nuages gris de vent de pluie à la Turner et au loin sur la mer ciel bleu délavé d’aube où reposent pachydermes blancs des grappes de gros nuages à la crête ensoleillée.
7h45 – Champ d’Arbaud (après l’école) | Ciel bleu ça et là des nuages blancs très légers d’autres plus épais certains gris certains immobiles d’autres avancent doucement tandis que le flux des voitures en bas va et vient en ce lundi matin et puis côté mer c’est beaucoup plus dense le ciel bleu a quasiment disparu les nuages sont à la fois très gros et semblent pourtant légers. Ils bouchent l’horizon.
8h45 | Ciel épais gorgé d’eau. Camaïeu gris et blanc. Taches de soleil. Trouées. A l’ouest ça s’apaise c’est bleu matin.
9h30 | Nappe grise. Disparition de la mer. De l’horizon.
#4 | phrase de réveil
29/12/22 | Ce bruit ? … L’escalier ? … Il n’est pas là.
#3 | il aurait fallu
Elle remonte la rue en pente, courbée, gestes désordonnés, paroles échappées en solitaire, vie affolée, happant le regard de qui veut bien de qui ose le croiser puis elle disparait dans le rétroviseur.
#2 | si loin, si loin
…le visage de Léontine…les odeurs des maisons d’enfance…le visage du garçon dans les vagues de la plage de La Parée…le soir où j’ai brisé la douceur de l’été : les graviers de la cour dans mes chaussons…la petite grille noire…les ombres à travers la porte-fenêtre des voisins d’en face… le visage et les mots de la voisine dans mes larmes … l’arrivée du père… le visage et le silence de la mère…la cavalcade dans l’escalier…l’immensité de la solitude dans la chambre…et la petite sœur dans tout ce fracas du soir d’été… le goût du bonbon à la menthe dans la chambre d’hôpital…le silence de la maison…la bibliothèque municipale…l’odeur des livres et des fiches de prêts…la maison d’E. à La Baule…vague souvenir de cassettes éparpillées au sol, d’airs d’opéras…le jardin de Plantes à Nantes de ces années-là…mon premier voyage en train avec ma grand-mère…
#1 | de l’imprévu
Fraicheur du carrelage sous le pied nu au petit matin le corps encore tout chaud des plis déplis et replis de la nuit. Dans l’encadrement de la porte, la découpe sombre des monts. La nuit s’accroche encore dans la pâleur de six heures.
oh c’est maintenant que je trouve le chemin après avoir aimé les ciels que je trouve le chemin…
j’espère que le retrouverai, en attendant saluer d’un sourire le surgissement de ces trois êtres
oh merci Brigitte de vous être arrêtée ! émue et touchée ! dès que le temps me laisse le temps je vais vous lire et trouver le chemin des carnets !
l’accompli et l’inaccompli dans le corps plié déplié peu de mots pour le dire et pourtant
Merci Cécile pour ta « note » de lecture qui aide à voir ce qui touche…
26 … que c’est beau : les images arrivent se posent et emportent
Merci Nathalie !!!! Moi qui admire tant ton œil photographique et tes mots. Hâte d’avoir le temps de vous lire Cécile, Brigitte, toi et les autres…
Lecture du matin de votre dernier texte, très beau.
Merci Françoise d’être passée par cette note de carnet.
En quelques mots, tu as situé ton double à l’exacte distance de toi même. Et tu disposes ces fragments de vie avec délicatesse et précision. C’est vraiment beau.
Merci pour ce retour JLuc ! Ca donne du cœur à l’ouvrage après les doutes.
Je passe souvent dans votre carnet, enfin je prends le temps de vous remercier pour ces textes sensibles.
Merci Isabelle…ce week-end je prends le temps de visiter les carnets…enfin…belle écriture à vous !
je découvre – magnifique – merci à vous
Merci Piero ! merci, merci…
je découvre aussi, scotché, et achevé par ce #31 qui… déménage/hache
Chapeau — le podcast promet du lourd, avec toutes ces voix dé-voix-lées ce soir
Merci pour ce retour g@rp (comme « Le monde selon Garp » ?). M’en vais vous écouter à mon tour. J’ai l’impression que cette proposition va nous faire grand bien !
J’ai ma réponse en 29 : Irving !
terrible et forte cette cette scansion, tension, dont les cris sont la respiration
Merci Caroline ! oui le cri de révolte comme respiration…
Nous crions avec vous.
Merci Betty ! Je vous ai écoutée à mon tour. O que oui. Crions. ENSEMBLE.
merveilleuse découverte, merci !
je pourrais rebondir sur chaque texte, mais alors les 28 et 29, si forte résonance… merci Emilie
Merci Gracia. Émue que vous me lisiez !
#32 v2 : troublante, émouvante
merci
#33 accélération, ralentissement — rien ne manque — me régale avec votre carnet — merci
Oh merci merci pour ces deux derniers messages g@rp ! touchée par vos retours !
Très belle panne. Et le monde s’arrête. J’aime beaucoup, merci.
Merci JLuc ! Du vécu et c’est terrible…
Très beau ton carnet. J’aime beaucoup l’idée du filet à papillons dans ta #40, à la fois pour ce qu’il capture (les papillons, des bribes de réalité) et pour ce qu’il laisse filer (l’air…). Un carnet, c’est bien ça, un filet à papillons. Merci Émilie.
Merci merci JLuc pour ton retour !
J’adopte la #40 (et tout le reste du carnet).
Mais le 13., le plus tard possible, si on a le choix 😉
Merci et à bientôt !
g@rp ! heureuse de te retrouver. Pas eu le temps d’aller lire ton carnet. Je me promets de te lire !
quelle(s) belle(s) reprise(s) merci Émilie !… j’aime à m’attarder ici, en fait 😉 !