Pour commencer un cahier, tenu dans un tiroir du bureau en pin blanc dans ma chambre de lycéen, le soir y écrire ce que je croyais de la poésie, un cahier pour l’illusion de faire livre, un cahier de brouillon couverture rouge et grands carreaux avec sur la première page un titre.
Puis des carnets, avec ou sans spirales, progressivement sans, parce que la rugosité du tournis de fer sous les doigts, quand plonger la main dans la poche, carnets parce qu’écrire était voler du vif, aller se frotter au monde et tenter d’en rapporter matière, et toujours l’avoir avec soi dans le besoin de mimer l’urgence, sinon la nécessité de l’écriture, carnets à petits carreaux pour que l’écriture serrée paraisse moins flottante, gagne un semblant de consistance, mais tout le vain d’accumuler des instantanés et des projets.
Pendant un voyage aux États-Unis, un cahier aux pages lignées de bleu et marge rouge, sur les tables en bois des campings tenter d’y mettre en ordre le chaos d’un récit en gestation, ce n’était plus imiter le livre mais volonté d’organiser, ce n’était plus saisie de l’instant mais travailler un passé encore récent, ce n’était plus saisie du monde autour à défaut d’y trouver place mais dire ce que porter, et pour ce, cut up de ce qui dans les carnets en était matériau.
De tous ces cahiers et carnets n’avoir rien gardé, avoir tout jeté à différents moments, chaque fois le besoin de s’alléger pour permettre d‘écrire, la dernière destruction datant de peu, quand réorganiser la pièce de travail feuilleter ce qui s’entassait dans une caisse en plastique sous le bureau, et le besoin clair de s’en débarrasser, la certitude qu’à retourner dans ces pages le risque de perdre l’élan, qu’après tout ce qui était là, parce qu’écrit, demeurait en mémoire, immatériel et néanmoins présent, alors jeté tout ou presque, sauf un carnet où des collages, bouts de textes découpés, hors de ta graphie, dans et hors l’intime.
Aujourd’hui le téléphone où prendre des notes pour le journal, et la caméra pour travailler l’espace et les lumières, la part d’indicible.
Peut-être que tout est dit là : « carnets parce qu’écrire était voler du vif, aller se frotter au monde »
merci pour cette circulation du carnet à spirale jusqu’à l’écran du téléphone portable