Ça commence à l’enfance avec un « journal intime » offert par la meilleure amie : sa couverture de papier cartonné glacé aux couleurs de l’époque – Holly Hobbie, plus tard remplacée par Snoopy puis des windsurfeuses aux cheveux longs ou des paysages « de rêve » -, son titre en lettres dorées et son petit fermoir qui laissera son empreinte rouillée au creux des première et dernière pages, ainsi que sur la couverture étoilée du cahier d’essai « Constellation, 48 pages NF – cahiers scolaires Lic. 65 n° 004 » remisé trop longtemps à ses côtés dans la cave parentale.
Ça continue en mots déposés le long des lignes pointillées roses encadrées de décor floral d’un carnet sorti du vaste panier « tout à 10 F » d’un magasin Pier Import : sa couverture de tissu chamarré et son inscription en avant-dernière page « Student – Shangaï, China », probable traduction des idéogrammes adjacents, emmènent plus sûrement en voyage que tout ce qu’on pourra y noter.
Ça court aussi au gré de copies simples rayures seyès ou de feuilles de papier à lettre (bleu, toujours) achetées à l’unité chez Beaufreton, LA papeterie de Nantes, où les sorties du mercredi ou du samedi après-midi nous menaient invariablement, pour le plaisir de voir, sentir, essayer de s’approprier la magie de « ce qui fait livre ». Elles seront rassemblées bien plus tard dans des pochettes Canson, des classeurs quatre anneaux ou des chemises à élastiques aux couvertures agrémentées de photos de pub de parfum ou de vêtements de luxe.
Ça se poursuit en pages d’écriture dense ou parsemée de dessins et coloriages, dans des carnets ramenés de voyage : de Francfort, les premiers « Umweltfreundlich », au papier recyclé qui accroche la plume du Waterman et absorbe goulûment son encre bleu-noir ; de Berlin-Est, papier gris terne sous cartonnage kaki enserré d’une reliure tissu rouge ; de St. Vincent & the Grenadines, cahiers d’écoliers aux couvertures colorées, au recto la cartographie des îles, au verso les tables de conversion métriques et volumiques « made in England » ; du Québec ou des USA, grands notebooks à spirale d’où détacher les feuilles A4 lignées.
Ça se renouvelle dans des Clairefontaine avec ou sans spirales, grand ou moyen format, parfois petit mais moins, à grands carreaux le plus souvent, bleue toujours la couverture. Jusqu’à la découverte, aux jours premiers de l’écriture « pour de vrai», de la maison Calepino et ses carnets précieux, personnalisés selon les moyens, à spirale ou reliés de fil rouge, mais toujours à papier ligné, et accompagnés de la fiche de contrôle datée manuellement qui en fait toute la qualité.
Ça se prolonge dans des cahiers chinés en ressourcerie, rajoutés au panier de la ménagère entre rayons droguerie et jardinage, glissés dans le sac à dos en sortant du musée ou du Duty Free, pour ramener plus que le souvenir du dernier voyage.
Ça perpétue la fantastique possibilité d’un récit de soi, l’improbable tâche du souvenir, la lutte contre l’oubli, les éphémères sensations, pensées, idées ou lumières allumées ou éteintes, qu’on voudrait conserver, ou ne plus jamais ressentir, mais un jour, avoir voulu rendre possible de se relire ou d’être lue… tout en se demandant pourquoi, toujours.
Ça persiste, aujourd’hui comme antan, à aligner mots et pensées, pour le plaisir d’en remplir beaucoup d’autres, encore, de ces carnets.
En effet ! synchronie des pourquoi ! et le plaisir de l’encore !
voilà
Ça court tout au long d’une vie. Ça l’organise. Ça fonctionne.
J’aime ce « Ça ».
ravie que « ça » plaise, Claude, merci !
Quel beau texte avec ce cheminement dans le temps et dans les matières, la nécessité, aussi. Merci Gwen !
Nolwenn le partage me ravit tout autant que ton regard, merci !
quelle liste ! je vous admire de les avoir tous conservés
et encore davantage de les avoir remplis soigneusement et densément
Brigitte, en parlant d’admiration… je serais bien malhonnête d’en recevoir la moindre !!
les conserver est une pathologie, quant à les remplir… il me faudra d’autres vies.
mais continuer les présents, ça oui… ils ne sont pas sur la photo 😉 !
Quelle mémoire des lieux. Le texte m’a fait voyager dans le temps, et l’écriture à travers les années qui passent.
Fabienne, ravie de t’emmener ainsi dans mes souvenirs, ça me donne envie d’en raconter encore !
chouette ce rythme imposé par tes expressions – ça se renouvelle, ça se poursuit, ça se perpétue – qui nous lance à l’assaut de ton paragraphe
adoré « la possibilité d’un récit de soi »…
Merci Françoise,
C’est vraiment ça, ce flux et reflux, chal a dichal en breton, l’immense recommencement quotidien…