Tant et tant de carnets transbahutés. Petits, moyens, grands, lignés, vierges, quadrillés, à spirales, à la reliure cousue, agrafée, unis ou à motifs. Parmi. Il y a le tout petit carnet vert usé à la corde, couvertures première et quatrième effilochées usées grattées frottées, relique nostalgique de temps révolus de villes passées de gens perdus. Parmi. Il y a les petits cahiers d’écoliers récupérés parfois à la fin des années scolaires, à peine entamés : tu y consignes l’état du monde au fil de prises de note d’articles émissions conférences, des cahiers d’écolière appliquée sourcils froncés, numérotés sourcés référencés stabilotés, de ces carnets qui font enfler ta colère, ta révolte. De carnet en carnet, l’écriture change, la couleur du stylo varie aussi, parfois c’est écrit au crayon à papier. Ce sont des cahiers souvent gros d’autres papiers articles cartes, des carnets où gronde le monde. Parmi. Il y a les cahiers répertoires de mots. Tous bleus, tu t’en fais la réflexion. Trois nuanciers de bleus. Consigner les mots c’est bleu. L’un d’entre eux te suit depuis le lycée. Tu écrivais au stylo plume noir les définitions, les mots au feutre, une couleur différente par lettre. Glissées à la fin du cahier, bien plus tard, les feuilles arrachées d’un autre cahier, probablement d’un des carnets-où-gronde-le-monde : des mots en espagnol, en anglais, en créole, des notes sur Haïti. Le répertoire a quitté la province natale, la table aux rimes dans la chambre perchée, le cartable sur le porte-bagage ; il a franchi les frontières, transbahuté de sacs en valises et cartons. Un carnet nomade en somme comme tant d’autres. Le carnet est nomade. Voilà pourquoi tu les choisis le plus souvent petits ou moyens. Pour les glisser facilement dans un sac. Dans ces carnets-répertoires, les mots que tu ne comprends pas. Les mots que tu aimes. Dans l’un d’eux, exclusivement, les mots experts, les mots du littéraire des études et des concours, consignés dans un cahier répertoire oxford. Bleu donc. Les spirales sont rouillées grippées. On a du mal à tourner les pages. Sur le bord droit, du côté des lettres, les petits carreaux s’effacent. Comme les cahiers du monde, l’écriture change au fil du temps. Parmi. Il y a les carnets d’atelier d’écriture. Soigneusement choisis où tu écris et colles, une fois rentrée, les textes tapés à l’ordinateur car tu écris sur traitement de texte mais il faut qu’à la fin il y ait un carnet des jours d’écriture, de ce temps suspendu à toi et rien qu’à toi. Le carnet écru à pois gris avec des rabats à l’intérieur pour y glisser des petits papiers, des notes, des images. Le petit cahier à bandes jaune foncé et clair, et ses petits ovales noirs, un carnet girafe dont on aurait aligné les taches. Six spirales en haut. Six en bas. Juste ce qu’il faut pour tenir les pages et les lignes du cahier ensemble. Un carnet élégant. Parmi. Il y a les carnets à peine commencés. Les carnets achetés dont on ne sait pas encore à quoi ils serviront mais beaux ô tellement beaux qu’ils en deviennent de purs objets où rien ne sera jamais assez beau pour y être consigné. Un jour tu commences l’un deux. Repentir. Tu arraches la mort dans l’âme les premières pages, consciente de commettre un sacrilège. Les pages arrachées…tant et tant aussi. Parmi. Pour les cahiers reliés, tu prends garde d’enlever symétriquement les pages correspondantes de part et d’autre des agrafes sous peine de faire des orphelines. Ça tu n’aimes pas …Parmi. Les cahiers à spirale, de toutes les couleurs, fluo rose, jaune, vert, couverture cartonnée, couverture plastique, légèrement transparente et rainurée horizontalement. Choisir le carnet choisir la couleur. Les rêves en orange à portée d’oreiller. Parmi. Les carnets fantasmés. Carnets de vie. Carnets de collages. Parmi. Les journaux intimes. Les carnets de l’adolescence. Détruits un jour de tri. Regrettés. Mais de carnet en carnet, finalement la vie s’écrit. Le carnet est journal. Le carnet est mots. Le carnet est trace.
« Le carnet est nomade Le carnet des mots consignés est bleu. »Le lien ténu têtu entre contenant et contenu . Quelle richesse dans ces évocations de carnets/ cahiers qui ont voyagé et voyagent … ces spirales grippées rouillées nous retiennent . Merci Émilie !
quelle écriture…
charme – et
pardon
charme et admiration pour la variété de ce qu’is contiennent, et pour le flux du texte