#40 | Instructions pour continuer un carnet
Du coup je sais pas si j’ai bien tout compris, mais voilà
– Jour 1 du mois « Une note par jour dans un carnet » – mardi 20 décembre :
Cherché Cortazar, Benjamin et Baudelaire en ligne – pas trouvé l’accès aux textes sur Patreon, pas grave, flirté avec BNF, http://dormirajamais.org/cortazar/ et recopié à la main 9 des treize thèses de la technique de l’écrivain dans Défense d’afficher transmis par email (si on peut avoir la page suivante ce serait chouette).
– Jour 2 du mois « Une note par jour dans un carnet » – mercredi 21 décembre :
Retrouvé le post FB de solstice d’hiver 2021, écrit celui d’aujourd’hui, publié. Regardé une carte postale punaisée au mur, écrit un texte à son sujet, pris une photo pour illustrer le propos, publié sur mon blog https://deizlevr.blogspot.com/2022/12/les-visages-vont-naitre-de-linstant-ou.html. Entre-temps posté l’extrait de Cortazar à l’attention des camarades de jeu du Tiers Livre, me rendre compte qu’une phrase de ce texte m’a incitée sans que je le comprenne à tout ce qui précède. Partagé cette page de blog aux ami·es de l’atelier, voilà.
– Jour 3 du mois « Une note par jour dans un carnet » – jeudi 22 décembre :
C’est devenu plus compliqué, la vie en dedans du monde me happe, l’insomnie et le manque de sommeil font leur œuvre créatrice et émotive. Extraits d’un post FB qui dit cela, et d’autres choses tues ici.
Je lis je m’émeus je parle dans ma tête. Je trouve des synchronicités partout dans le monde sur la toile dans les airs. Même les murs de ma chambre contiennent l’avenir et le passé.
Un texte sur Colette et ses amies amantes au destin tragique à quelques pas d’ici quand ma propre mère entamait son deuxième été. Deux photos d’une maison aujourd’hui disparue que je crois reconnaître et des noms déjà entendus me donnent envie de raconter encore.
Un programme de ministre demain faire un far aller chercher courrier mal posté lunettes égarées rencontrer des gens vendre des livres les signer en parler se réjouir de Noël qui vient taire son silence face au monde exsangue. Alors ce serait ça vieillir ne pas aimer plus de la même façon se garder d’exister pour autre chose que l’imprévu. Et tourner en rond les phrases des dizaines de fois dans son lit entre les dents en travers de la gorge ne pas savoir comment se défaire de l’emprise qui soudain se relâche mais jusque quand, reviendras-tu ?
– Jour 4 du mois « Une note par jour dans un carnet » – vendredi 23 décembre :
En dédicace, la dernière de l’année, où suis allée à reculons et en grandes enjambées tout pareil, sachant que la promo n’avait pas été faite correctement, mais quand même, y être et savourer. En attendant le lecteur-la lectrice, écrire, encore, sur le cahier ligné qui ne quitte pas le sac cabas :
« Quand tu n’as plus trop envie de faire de la retape, que tu t’assoies, désabusée, que tu te relèves dans un élan qui te pousse à revenir sur le pas de la porte, haranguer quand même un peu les passants, regarder le ciel en cavalcade jouer à nous cacher le petit bout de soleil qui essaye de percer. »
– Jour 5 du mois « Une note par jour dans un carnet » – samedi 24 décembre :
S’apercevoir qu’il est trop tard pour envoyer sa contribution, lire quelques unes de celles des collègues des 40 jours, y trouver tant de synchronicités, bravo et merci à toutes et tous, nous sommes en phase, j’en ai des pages entières moi aussi, j’y reviendrai, promis.
#39 | ce dont on ne peut parler
ben justement. ici ou là-bas, je ne peux pas. ou alors sans le dire vraiment. le laisser penser, tout juste. l’évoquer un peu, entre des lignes qui ne seront pas lues. voilà.
#38 | stratégies du rêve
Les voyages oniriques, fondateurs ou révélateurs, je les ai longtemps notés, chaque matin ou quand m’en revenaient en mémoire des fragments au cours de la journée suivante, et le fais encore de temps à autres. À relire parfois les carnets dédiés – plusieurs à ce jour – je vois une résurgence de quête, recherches (d’un enfant, d’une voiture mais sur quel parking ?, d’une maison à acheter, emménager, décorer, d’un livre à lire ou … à écrire), souvent dans des paysages ressemblant aux lieux connus, aimés ou regrettés. Hantise de ne pouvoir aboutir, parfois grand soulagement au réveil de me rendre compte que non, je n’ai pas repris la cigarette, renié des décisions ou manqué de respect à un être cher. Mais surtout, j’ai souvent le sentiment d’avoir parcouru des contrées réelles, interagi avec des personnes existant vraiment quelque part, que nous sommes toutes et tous, êtres sensibles et « connectés », en vadrouille sur le même plan à un moment de notre sommeil. Et, pour comprendre cela, lire et écouter Hélène Cixous, qui en parle si bien dans son « Rêvoir » et d’autres entretiens !
Mignonne allons voir si la rose
Qui ce matin avait éclos
Sa robe de pourpre au soleil
Et nos années qu’en reste-t-il ? Voilà qu’en 2022 Ronsard, Trénet et Villon semblent se rencontrer, du moins dans mon esprit embrumé de cinquantenaire. Je me revois enfant (8 ou 10 ans ?) apprenant — répétant — humant les mots — mâchant les phrases — me délectant de la musique — décorant mon cahier selon les images mentales de ces fleurs trop vite fanées — devinant le regard de l’amoureux bientôt blasé — m’attristant du poète au gibet esseulé…
Et là maintenant monte cette amère sensation d’incomplétude du monde, si âpre pour les beautés éphémères, si rude avec les âmes sensibles — mais aussi une tendresse atemporelle pour ces paroles transformées en écrits passés de bouche en oreilles et d’esprits fins en rotatives pour nous les transmettre aujourd’hui.
Petite nostalgie de la découverte aussi, quand un vieux buffet, un dormeur dans le frais cresson bleu ou le ciel par-dessus le toit, me sont apparus dans la lumière de la première écoute, ou la première lecture…
et tous ces textes qui défilent en pensée : Apollinaire et son espérance violente, enfin compris en passant le pont Mirabeau pour de vrai pendant un voyage scolaire ; Lucy in the Sky dont j’envie les diamants, assise sur la moquette dans la chambre du grand frère, première leçon d’anglais ; plus tard, « Take a jumbo, cross the water, like to see America », je prends le p’tit déj avec Supertramp et découvre la Californie en chantonnant pendant le cours d’anglais sur les pilgrims of New Orleans – que faites-vous Abgrall ? j’apprends l’anglais madame ! – plus tard encore wer reitet so spät durch nacht und wind, quand je m’efforce de comprendre quelque chose à la poésie d’outre-Rhin, pour mieux m’en détacher à tout jamais en retournant vers ma Bretagne…
36 | routines du lire écrire, et quoi faire de mieux
Au petit matin ouvrir les yeux sur un écran, commencer par relever les mails, checker les spams pour ne rien rater. Parfois, quand des potes sont en mer, en course, je scrute avant tout leurs dernières infos, le classement et la météo des zones traversées. Ensuite, après un coup d’œil aux applis scolaires de mes loupiots ou aux pages FB d’ami-es ou famille proche, la vraie vie m’accapare un peu plus d’une heure.
L’autre monde, le vaste, attend que j’ouvre les newsletters de Mediapart, The Conversation ou France Culture, parfois Télérama, pour cliquer sur un lien et mettre de côté pour plus tard. J’essaie de ne pas me laisser distraire, d’attendre le moment propice pour disséquer un sujet ou l’autre. Je musarde sur d’autres sites d’infos ou un magazine en ligne, Le Monde.fr ou franceinfotv.fr en accès libre, pour me souvenir de la dégénérescence de ce qu’on appelait autrefois le journalisme et constater que la planète continue de (mal) respirer sans moi. Pour m’en consoler, j’irai approfondir sur AOC, Reporterre, Usbek & Rica, Le Comptoir ou Diacritik ce qu’a dit untel ou trucmuche sur un sujet aimé (littérature, bien sûr, mais aussi écologie, politique, voyages ou ethnologie, éducation ou psychosociologie). Parfois je refuse ce retour au réel et préfère glaner un texte poétique ou philosophique dans l’un des recueils à mon chevet, de Milène Tournier à Marc Aurèle en passant par Christian Bobin. Souvent pioché au hasard, ce bout de pensées donnera (ou pas) le ton de la journée.
Ensuite redémarre la lutte perpétuelle pour me remettre au boulot ou ne pas décrocher du travail en cours (écriture, dactylo, relecture, recherche documentaire…). Il est si tentant de repartir surfer de réseaux en articles en ligne… quand je ne suis pas happée par une revue papier qui traîne sur la table basse (Le Matricule des Anges, Causette ou Society) ou le roman en cours que je m’accorde de rouvrir. C’est un délice de grappiller le temps d’une dizaine de pages, plus si le texte m’entraîne.
Le soir, s’il me reste de l’énergie avant de m’endormir, je replonge volontiers pour une brève apnée ou quelques longueurs qui s’étirent en une heure ou deux, soit dans ledit roman, soit en ouvrant un autre de tous les livres qui attendent sagement leur tour sur ma table de nuit retrouvée avec joie. Un·e auteur·e conseillé·e ou découvert·e récemment, de plus ancien·ne·s pour relecture ou approfondissement de leur œuvre, parfois une correspondance délaissée avec une amie chère ou un·e parent·e esseulé·e, voilà les dernières lignes que je parcours en glissant lentement vers le sommeil, sûrement peuplé de feuilles éparses, voyages entre les mots et les phrases, miennes ou étrangères, à moins que son absence ne me donne l’envie de rouvrir un livre ou un cahier et saisir un stylo le temps de l’insomnie.
Cette journée-type de lectrice compulsive se déroulait bien entendu avant le 10 novembre 2022. Si l’expérience des trente-cinq derniers jours n’a pas modifié durablement ce rythme, je me souviendrai des heures de lecture-réflexion-écriture induites par ce formidable marathon des quarante jours du « Grand Carnet », intercalées parmi tous les moments décrits ci-dessus. Ou peut-être réclamerai-je au bonhomme en rouge de me déposer une vingt-cinquième heure voire un huitième jour hebdomadaire sous le sapin !
Quand la mémoire part en capilotade, le regard s’égare et les nerfs frémissent sous les phalanges fébriles. Pianotant au bord de la table, elle agite et observe ses doigts tout papillonnant, lissant la toile cirée en une glissade vers le sens et la raison qui lui échappent. « Je perds la boule ou quoi ? Bon dieu de bois passe-moi le râteau que je finisse d’éplucher les… Oh misère, ça recommence ! ». Regard ahuri, cœurs serrés et embrassades, on n’a plus que ça en stock.
#34 | Ah ça ce serait une histoire pour…
Ce contraste entre troncs illuminés par le jour qui se lève en rase-mottes et ciel sombre du grain qui monte de l’ouest — ces branches fines dépouillées par l’automne tordant leurs gris-vert-brun au-devant des nuages épais —comme une surimpression de vie sur fond de deuil à l’horizon — comme le récit d’une existence de lumière à travers la grande forêt du monde. Ça ferait une bonne nouvelle pour Jim Harrison ou son pote Pete Fromm, quelque part entre le Michigan et l’Arizona.
Et aussi, venu hier avant de connaître la consigne, quelques mots sur mes compagnes d’écriture – ces synchronicités de pensée qu’on a, quand même !!!
Des plumes. Trouvées sur le chemin, dans les bois ou la lande, en bord de grève aussi, parfois même entre deux rochers. Et trop de mots déjà surgissent avec elles, s’envolent en pensées, tournicotent mon esprit en farandole, tango ou requiem. Les phrases s’enguirlandent, autour de mes doigts trop pressés de leur donner vie, dans les artères de la grande épopée qu’est le corps de mes textes elles font comme un chemin, des avenues et tout un labyrinthe de rues, uniques ou multiples, parfois à contre-sens.
Les oiseaux ont déposé leur offrande le long de ma route, tout le temps que j’errais à tâtons, silencieuse et pensive. À chacune ramassée, une nouvelle voie s’ouvrait, un horizon se découvrait, brillant dans le lointain. À chacune ramenée, tenue serrée en poche ou entre pouce et index pour les derniers pas de la balade, une place dans la maison, en vase ou bibelot, pot à crayons ou bord de cadre. Plusieurs dizaines à ce jour, depuis le temps. Guettant impassibles un regard, soufflant une parole dans l’air immobile, murmurant les joies et les peines pour me les faire écrire.
#33 | Faire le vide
Le vide il se construit tout seul, je m’y engouffre quand je le vois passer furtivement au fond de la pièce, au détour d’une pensée, à la lecture d’une idée, à la contemplation d’un souffle dans les arbres. Cet « état de rien » cher à Colette, ou bien Virginia Woolf, peut-être Emily Dickinson ?, quand contingences matérielles ou tergiversation existentielle ne subsistent de ma présence au monde. Soudain, je pense à la parole d’évangile « laissez venir à moi les petits enfants ».
#32 | les morts sont parmi nous
Bien serrées, elles se tiennent chaud sous la pierre gelée. Je les salue, débarrasse les fleurs fanées, commence le monologue rituel au marbre et aux dorures. Je repars entre les stèles, continuant à leur dire le jour passé ou ceux à venir. Passant près du camélia, je leur partage mes doutes. Effleurant du regard le rosier de leur amie, leur envoie mes espoirs sur le monde. Là-bas derrière la grille, je laisserai se perdre dans le ciel mes derniers mots de tendresse esseulée.
#31 | de l’état du monde
Services publics : le grand malaise — Création artistique : ce qui n’est plus tolérable aujourd’hui — Apprendre à vivre sans électricité — Droit à l’IVG — de la présence du loup sur le territoire français — tant de titres et d’infos, relayées de TV en radio, de journaux en bouquins, glanées ici et là, trop présentes et sans réponse de qui pourrait… Trop blasée pour l’ouvrir, ma petite gueule d’Occidentale surinformée n’est que chambre d’écho d’un monde qui dérape en silence.
#30 | fait divers, tout petit fait divers
« Hier soir, un feu a pris dans une poubelle devant l’école primaire. Rapidement éteint, il a noirci la façade du bâtiment et abîmé un volet roulant. Les incivilités ont tendance à devenir récurrentes dans la commune. Récemment, un feu a été allumé dans les toilettes publiques. » France-Bleu.fr, 25/12/2019. Quelques semaines après, veille du premier tour des élections municipales, la médiathèque jouxtant le bureau de vote brûlera, privant la population de livres pendant un an.
Mais aussi, loin d’ici, entre là où je suis née et un pays voisin. Relayée par Marie Cosnay sur FB, cette histoire d’une femme enceinte qui prend l’avion de Casablanca vers Istanbul, demande un atterrissage d’urgence à Barcelone car prise par les douleurs de l’enfantement. Quand l’ambulance arrive sur le tarmac pour l’emmener à l’hôpital, vingt-huit personnes débarquent et se sauvent en courant pour demander refuge en Europe. Certaines sont rattrapées, douze restent introuvables. La future maman n’est pas du tout prête à enfanter, elle est accusée de trouble à l’ordre public. Elle n’a donné la vie, mais vingt-huit chances à d’autres que son enfant. C’est un fait pas si divers que ça dans le maelstrom des tentatives d’accéder à une existence digne de ce nom, dont on ne tient plus le compte. Ou comment garder foi en l’humanité, quand tant pourrait nous faire sombrer.
#29 | on n’aurait pas dû, voilà
Appuyer furtivement sur le bouton, on n’aurait pas dû. Cette petite icône rougeoyante conçue pour nous attirer, nous happer vers l’au-delà de nos murs, réels ou virtuels. Et voilà c’est mort, on a cliqué, l’univers entier est à notre portée — sous nos yeux — dans nos méninges. Ça ne fait pas un pli on est transportée — détournée de l’instant présent — de la réalité tangible qui nous attendait, offerte, disponible, maintenant ignorée, trahie, vexée. Sûr qu’on va le regretter.
#28 | ruminé, rabâché, ressassé
De bon matin avant de lire la consigne, il y a eu ça : Droit au confort à la vie juste et agréable aux lettres bien tracées sur le cahier d’écolier à la liberté de paroles et d’écriture où quand comment bon me semble suivre des guides ou arpenter seule les étendues arides de nouvelles contrées avec pour boussole ressentis doutes et certitudes pour affronter craintes et faux-semblants éviter les impasses faire court.
Alors ensuite voilà ce qui est venu : Les mots les phrases les lettres ça commençait toujours par ce clavier imaginaire où les doigts courent et on ne peut plus les retenir le texte naît là sous les yeux cette litanie qui n’a aucun sens du moins au début après à la fin on voit bien où elle voulait nous mener à travers noms adjectifs verbes et cætera elle formait phrase idées pensées et en chemin de paragraphes en pages tournées c’est au grand tout à l’impossible à définir à l’immense tâche d’écrire qu’on arrivait.
et puis les deux textes sont apparus dans la compile, alléluia… alors je continue !
#27 | pas moi, mais mon double
Il aurait fallu le temps qui s’étire, comme on regarderait un film tourné avant sa naissance, un scénariste omniscient qui aurait placé très judicieusement lieux, meubles et paysages autour de gens qui vont et viennent, rient et meurent, bougent ou dorment, observent et oublient. Au milieu d’eux je regarde celle qui pense, essaie et rate encore, curieuse de comprendre, sans relâche tâtonnant entre le vide anxiogène de la destinée et le néant des questions existentielles sans réponse.
Donc, ma journée en spectatrice de moi-même : Sortir des méandres du fleuve onirique, il était sombre et charriait masse d’objets hétéroclites jetés en amont par les années de souvenirs qui se délestent régulièrement de leur fatras d’images et de pensées. Se hisser sur la berge du jour qui ne point pas encore, trop tôt pour le soleil. C’est l’heure des réveils qui sonnent dans le noir, des frimousses à câliner du regard avant de les hisser à ses côtés de caresse en baiser, pour remonter la rive vers la réalité tangible d’une journée d’école. Poser les marques d’un agenda un brin trop rempli, préparatifs de déjeuner entre amies en même temps qu’étendage de linge, coup d’œil et signatures sur des cahiers de collégien, affranchissement de courriers en partance ou écoute d’un podcast sur d’autres femmes aux vies esseulées, elles aussi en regard caméra subjective sur leur existence passée… (merci Jen H pour le partage !). S’engager un peu vite au stop en bas de la rue pour ne pas arriver en retard au premier rdv de la journée, pester contre le feu tricolore sur le dernier boulevard avant l’arrivée, qui fait perdre entre tractopelles et marteau-piqueur l’avance gagnée dangereusement. Refaire le chemin inverse une heure après, heureuse d’avoir cette fois la couleur orange clignotante pour accompagner le retour-maison, maintenant que rien ne presse plus. Remettre l’eau à chauffer, le cahier sur la table, les idées en ordre, empoigner le stylo, aimer cette vie et remercier le ciel d’être gris et froid, les arbres de lui tendre leurs branches encore garnies de vers, bruns, rouille et ors pour en éclaircir la tristesse. Repartir au fil des pensées, de l’eau qui bout et appelle la tasse et la boule à thé, sentir monter dans les parfums de la menthe poivrée et du thym mélangés la douceur et les forces d’une belle session d’écriture.
et, à l’heure de réduire tout ce brouet en un fumet de 480 signes, voilà ce que ça donne :
Celle qui sort des méandres du fleuve onirique — se hisse sur la berge du jour pas encore né — remonte la rive vers la réalité d’un agenda trop rempli — prépare un déjeuner entre amies — étend le linge — jette coup d’œil et signature sur un cahier d’écolier — affranchit du courrier — écoute un podcast — met de l’eau à chauffer, le cahier sur la table, les idées en ordre — empoigne son stylo — repart au fil de ses pensées — essaie de les rattraper — rate encore — rate mieux ?
#26 | Choses floues, choses nettes
Comprendre quelque chose du monde, dans l’instant même la voir se perdre dans la brume de mes pensées. L’envie de toucher à l’essentiel, croire l’effleurer enfin, le voir s’estomper derrière le quotidien et les sentiments. L’idée de pouvoir dire le réel, mais regarder s’enfuir la réalité. Puis la légende dans le livre d’histoire, sous la photographie d’un chemin d’antan « dont on ne sait quasiment rien et c’est tant mieux tant ce flou lui permet d’incarner un monde de rêve ».
#25 | Fragments du corps
La main évidemment –– outil astucieux –– fascinante amie des jeux –– des découvertes –– depuis le premier jour –– touchée –– effleurée –– empoignée –– heurtée –– parfois abîmée –– toujours protégée –– sans laquelle rien pas de connaissance –– de l’autre –– du monde –– de son propre corps –– qu’elle explore –– attentive –– timide –– trop empressée –– peut-être violente si le cœur –– l’esprit l’oublient pour transmettre émotions –– sentiments –– réflexions –– pour l’action –– la palpation –– les tâtonnements –– les caresses.
#24 | Salle d’attente
Encore gourée, pris la mauvaise route, tourné trop tôt à gauche ou trop tard à droite. Entre ces ronds-points qui défilent sans mon attention, à l’approche de ces fourches trop nettes sur le GPS masquant la petite ruelle qui s’en va en parallèle au chemin à prendre, le mauvais choix aboutit sur la fausse piste. Du coup les secondes passent autant que les roues tournent dans la mauvaise direction, ce temps qui s’écoule lentement, où patienter avant de reprendre la bonne route.
#23 – Exercice avec dénombrement
À l’entrée du centre culturel un éditeur une médiatrice deux libraires trois bibliothécaires. Sur le bar deux douzaines de viennoiseries trois litres de café une bouilloire deux-cents gobelets. Dans la salle trois fois plus de femmes que d’hommes. Sur l’écran mille-et-une bibliothèques cent-onze maisons d’édition sept-cent-six autrices/auteurs cent-soixante-treize librairies. À l’arrivée sur le compteur trois-cent-quatre-vingt-cinq kilomètres en quarante-huit heures.
#22 – On remet ça, mais avec un livre (à perdre)
Déjà fait, cet exercice périlleux de détachement de soi d’un texte aimé, qui m’a construite ou déroutée, enivrée ou laissée exsangue. Cette fois c’était hier, tenant fermement mais avec arrière-goût d’amertume à m’en séparer, « de Marquette à Veracruz » de Jim Harison. Viatique de mes jours sombres, compagnon de l’âpre et lumineuse route des brafougnes conjugales, offert après qu’il me l’ait été, puis racheté relu réoffert retrouvé en ressourcerie où je le ramenai hier, donc.
#21 | Faire bouger les choses
Aujourd’hui c’était une loooongue liste de to-do, alors là avant de tout éteindre et prendre la route, ce qui fut fait n’a pas correspondu à l’attente, au prévisible, mais qu’en serait-il advenu si ? Écrit en trombe, à l’heure où chien et loup vont bientôt se rencontrer, quand la tentative de rattraper le temps modifie le planning, c’est mort pour partir à l’heure prévue, mais au moins cette consigne-là fut respectée. Quatre-cent-quatre-vingt signes max avant 18h, trop forte.
#20 | La scène est muette (mais vaut son prix)
Il m’a montré ce qu’il voulait j’ai appuyé sur l’écran choix 1 il m’a montré la case CB et puis l’autre touche où déclencher le paiement on ne parlait pas la même langue inutile de discuter j’ai suivi les instructions c’était pas si compliqué même par signes et d’un hochement de tête j’ai réussi à lui indiquer combien il m’a tendu la monnaie qui faisait le prix en centimes il a pris le gobelet fumant c’est comme ça qu’il a eu son café dans la station de la grande autoroute.
+ ce dimanche une petite reprise de la #07 hors consigne à l’époque… cette fois ça tient en 480…
- Sur son épaule tatouée deux volutes entrelacées, elle ôte son sweat : depuis la paume de sa main jusqu’au creux de sa nuque frémit un immense serpent. | Lèvres fermées regard silencieux, l’enfant attend déjà le soir, son petit sac serré bien fort et dans les plis de l’écharpe nouée serrée le parfum de maman. | La fille derrière le comptoir cheveux lissés piercing discret un teint truqué à la crème Éclat prodigieux yeux mascara. Combien de visages aura-t-elle vus aujourd’hui ?
#19 | Transaction
Au petit matin, farfouiller dans la malle à déguisements et tendre au loupiot hilare son habit de saltimbanque, adapté au thème choisi par l’instit’ pour la photo de classe : « pour une fois qu’on me demande faire le clown à l’école ! ». Ce midi, servir plat, fromage et verre de vin à celui qui rentre pour sa pause déjeuner. Tout à l’heure, accueillir les frimousses de fin de journée, échanger nos pensées du jour, recevoir des nouvelles du monde extérieur.
#18 | Recopier c’est facile
« chemins de traverse, refluant vers des terres inédites, toutes ces pages peaufinées, arrangées, lues et relues, écrites et réécrites encore, obstinément, sans relâche, à espérer, désespérer, dans une transe rageuse et volontaire, tant d’efforts […], tout ce travail acharné, mais alors pourquoi ? comme si cela ne suffisait pas les livres lus, déjà écrits par d’autres, empilés, accumulés, classés, relus au besoin et si affinités, quelle nécessité d’ajouter d’autres mots aux mots, quel impératif ? »
Scroller les photos dans l’IPhone pour retrouver un texte lu, d’un poète, un anarchiste ou une féministe, enfin ces lignes, voilà. Le matin pendant que les kids étirent ce dimanche pluvieux entre lits défaits et canapé, traînant en pyjama, me regardant, attablée en cuisine, passer du minuscule écran aux feuilles d’un vieux cahier à grands carreaux, puis aux pages lumineuses et plus vastes du laptop, lire et dactylographier, relire et réécrire, poster avant le rôti de midi.
pas si facile, en effet, mais si riche, encore une fois se plonger en lecture sur l’écriture, puis dans l’écriture, avec rebonds dans le réel et mises en perspective, j’adore.
#17 | Petits embellissements bienvenus
Arrêter de prendre les prés pour le jardin des paysans : mettre les vaches à paître autour des mairies, dans les cours des préfectures | Débétonner tout le littoral et enfouir sous la plage les pavés autobloquants des parkings de zone commerciale | Pour chaque naissance, chaque mariage, offrir aux parents un âne et le foin pour les prochains voyages d’agrément – pour aller bosser, calèche et tombereau dans chaque quartier.
G. A-S
#16 | Il fait froid, couvrons-nous !
Le pantalon tergal pattes d’eph qui gratte à l’entrejambe et fait la peau toute froide les jours de neige – mais on est à la mode comme les grandes. La cravate parfaitement alignée entre les pointes du col amidonné, boutons de manchette nacre et or, Papy le jour de mon mariage. Le vaste pull tricoté main pure laine vierge, les Shetlands auraient traversé la Manche pour me tenir chaud. Les robes à fleurs bien ajustées de ma mère, pour ressembler aujourd’hui à une photo d’antan.
Gwenn, qui ne sort pas de chez elle et se souvient seulement… et justement, avant pendant après il y a aussi ça, là.
#15 | Cut up moi ça
Les moineaux qui luttent contre le vent brouillon en se planquant dans la haie « merci de ne pas avoir taillé notre abri à l’automne », les nuages qui chevauchent de sud-ouest en nord-est « on a faim de fraîcheur après tout le chaud qui nous a empêché de voyager cet été », la pluie qui tombe à l’oblique « mieux que le parapluie, sors ton bon vieux ciré », voilà les seules phrases entendues aujourd’hui.
#14 | rien qu’une seconde
De la fenêtre du salon où l’horloge berce ma méditation, j’observe les assauts du vent sur le jardin. Soudain, dans une brusque bourrasque, une feuille morte trace un éclair roux entre les arbres et le ciel hirsute, tandis que les nuages noirs en cavalcade confient au suroit une goutte de pluie qui s’écrase sur la vitre encore sèche, comme une larme sur le reflet de mon visage immobile.
#13 | arrêter le monde
La voiture arrêtée au croisement, prioritaire puisqu’à ma droite. Sur la chaussée, la lumière crue d’entre deux averses. Conducteur ébloui ? Non, il regarde ses jambes, sûrement un téléphone. Telle la vapeur de l’échappement, nos pensées diffusent dans l’air humide des réalités éparses. Lui, absent tout en étant là, moi, pressée de son retour concret dans cette rue baignée de soleil. Soudain, ailleurs et présent se distendent et se percutent : il lève les yeux, il redémarre.
Bonheur que cette session, vraiment. Les lumières du jour, les instances convoquées pour y donner miroir, cet entrelacs de pensées et gamberge pour avancer – sur les rails d’hier 😉 – vers le meilleur des mots, youpi.
et l’exercice pour germaniste que j’ai été en de (bien) plus jeunes années, quel bien ça fait ! ressortir le Wahrig, un brin empoussiéré, tordre les images intérieures jusqu’à leur faire rendre substantifique moelle, tout ça en deux heures de temps, merci François.
donc, ma propal de traduc (à retravailler sans doute) :
La représentation de l’insatisfaction offerte par une rue, cet endroit d’où chacun lève les pieds pour s’en éloigner.
et, au détour de ma boîte aux lettres, la vraie, Thomas Vinau en couv’ du Matricule des Anges… quelle journée formidable !!
#12 | la grisaille, les dessous
Ma grisaille du dessous : des lignes (l’histoire) comme un rail qui part vers le lointain, qu’on saura peu à peu distinguer du ballast (souvenirs de lectures, de rencontres ou d’ailleurs, visions des dernières heures, bribes de rêves évaporées au réveil). Un chemin donc, de fer (stylo-plume) ou de graphite (crayon), esquissant le prochain départ du train : aligner les mots en phrases, les idées en pensée, autant de certitudes à questionner, malaxer, pour le voyage en lettres.
et sinon l’inconnu qui se détache au loin, encore dans la brume, qu’on va aller chercher découvrir, comme on creuse un tunnel pour protéger ses acquis, mettre à l’abri son trésor de savoir, avancer à couvert, progresser lentement sous la terre des ancien-nes, ne pas trop s’attarder mais renforcer sans cesse, quand même, la fragilité des piliers qui s’effritent dans le temps, les cahiers qui se piquent d’humidité aux tréfonds de la cave ou s’éliment sous la fine couche de poussière du grenier des oublis.
et puis apercevoir la toute petite lueur qui vacille mais grandit, là-bas en contrejour on en voit les contours, au fil des phrases elle s’affermit, on atteindra bientôt sa chaleur et la vision plus claire de ce qu’on a écrit, mais c’est une autre histoire.
#11 | C’est dimanche
Le mercredi on pouvait rester au lit. Maman préparait le petit-dej, pour une fois calme et pas pressée. La Comtesse de Ségur, Fantomette ou Claude, ma favorite du Club des Cinq, après leur nuit sur ma table de chevet, revenaient se glisser entre draps et oreiller. Un jour de CE1, il a fallu écrire un conte, j’ai aimé l’exercice, eu les félicitations de la maîtresse, pensé que je pourrais faire ça, comme métier. Après j’ai oublié, maintenant je me souviens.
#10 | Pendant que
Pendant que je réponds je pense à me taire. Pendant que la chouette hulule je vais m’endormir. Pendant que je rêverai l’orage gronde en Iran – femmes et hommes pleurant leurs enfants morts et leur pays exsangue. Pendant que ne baissent pas d’un cran leur dignité et leur courage je chantonne Moustaki. Pendant que Black Friday je ne dépense que des mots, des signes. Pendant qu’il est encore temps je perds le mien dans l’immensité du web.
#9 | ne pas s’attarder sur
Ne pas s’attarder sur le temps qui manque, le flux d’énergie qui recule, les nuances du coucher de soleil qu’on a ratées car trop de choses à faire avant. Ne pas se mettre en retard pour d’autres que celle-eux qui n’ont pas su nous donner le meilleur, du moins on ne l’a pas reçu. Ne pas attendre que cela arrive, la grande apothéose de la compréhension immédiate, quand un regard au bureau de poste, un sourire un brin méprisant, un dos tourné à l’heure du besoin d’affection, toutes ces instants n’ont été qu’une question sans réponse. Ne pas s’attarder là, sur ce quai à présent désert, à moins de vouloir prendre froid.
#8 | noms propres
Les noms seront bien assez nombreux dans la compile pour que j’éprouve besoin de les figer aussi dans mon carnet – prend de la place du temps de l’énergie, basta
màj le lendemain, en constatant que les spams ont été les plus forts, cf. mon envoi d’hier, non compilé donc :
Expéditeur: Gwenn Servettaz <abgrall.gwenn@wanadoo.fr>
Date: 17 novembre 2022 à 07:03:49 UTC+1
Destinataire: fbon@tierslivre.net
Objet:Rép. : *** SPAM *** [carnet] FW: la #08
Samantha Davies Vincent Lavandier Clothilde Rio Timothée de Fombelle Yann Rouzic Tugdual de Rosambo Amélie Grassi Guillaume Verdier Virginia Woolf David Morcrette Evelyne Rioux Alain Mansuy Daphné du Maurier Hubert Tanguy Virginie Despentes Amédée Largoet Nancy Huston Yann-Fanch Quemeneur Carmen Bouchard André Le Bihan Victoire Bainvel Charles Baudelaire Amanda Bourel Martin Keruzoré Ange Bassi Valerie Lemercier Maurice Nadeau Beatrice Chupin Marie Fontanel Tristan Le Meut Ève Le Maguer Carl Mouroux Nathalie Michault Fabrice Midal Anja Roman Paul Bukowski Tatiana de Rosnay Jakez Nedeleg Gérard Lambert
#7 | chaque visage un trait
work in progress
Sur son épaule tatouée deux volutes entrelacées, aperçues dans l’étirement premier qui fait glisser l’encolure large sur le haut du bras. L’exercice s’intensifie, il fait chaud soudain, elle ôte son sweat : depuis la paume de sa main jusqu’au creux de sa nuque frémit un immense serpent. Au rythme des mouvements il sinue, couleurs et traits fins comme une invite à voyage onirique, envoûtant tel Kâa en pleine jungle. Dans un dernier effort elle se retourne, ramasse son sweat et se redresse, recouvrant le reptile d’un geste caressant. Telle Mona Lisa revenant du paradis, la fille me sourit, ajuste ses lunettes et puis d’un pas tranquille sort de la salle de gym.
C’est mercredi c’est le matin. Lèvres fermées regard silencieux, l’enfant attend déjà le soir, son petit sac serré bien fort plein des trésors de la maison, doudou gourde rechange et dans les plis de l’écharpe nouée serrée le parfum de maman. Soudain les mains s’ouvrent le corps frémit le sourire point, les mots jaillissent : « ah te voilà, viens on va jouer ! ». La fossette et les yeux rieurs, posant manteau, écharpe et sac, s’en vont gaiement vers l’espace dinette du centre aéré.
La fille derrière le comptoir, qui enchaine « bonjour c’est à qui ? je vous le tranche ? et avec ça ? » Cheveux lissés piercing discret un teint truqué à la crème Éclat prodigieux yeux mascara qui vont de la caisse à l’étagère à la machine et retour au client. Un quart de seconde pour chaque regard, un demi-sourire et un au revoir. Combien de visages aura-t-elle vus aujourd’hui ? Les comptera-t-elle ce soir pour s’endormir ? Quelqu’un quelque part lui demandera-t-il de s’en souvenir et de les raconter ?
tiens je l’ai refaite c’est mieux non ? :
Sur son épaule tatouée deux volutes entrelacées, elle ôte son sweat : depuis la paume de sa main jusqu’au creux de sa nuque frémit un immense serpent. | Lèvres fermées regard silencieux, l’enfant attend déjà le soir, son petit sac serré bien fort et dans les plis de l’écharpe nouée serrée le parfum de maman. | La fille derrière le comptoir cheveux lissés piercing discret un teint truqué à la crème Éclat prodigieux yeux mascara. Combien de visages aura-t-elle vus aujourd’hui ?
#06 |
Personne d’autre que moi n’aurait remarqué que, la maison une fois délaissée de ses habitants actifs en dehors de ses murs, des esprits et des corps invisibles s’y agitent, y pensent et puis se taisent.
Personne d’autre que moi n’aurait remarqué que, dans les grains de poussière virevoltant à la lumière de midi, sous les tentures opaques repliées pour le jour laisser entrer, sur chaque meuble, bricole posée sur la table ou vêtement accroché après une chaise, un univers entier se meut en silence.
Personne d’autre que moi n’aurait remarqué que, comme un jeu de cubes aux formes et couleurs multiples, il se construit, dans la maison vidée de ses protégés partis s’ouvrir au monde, une forteresse un îlot une halte qui dit une autre vie, des histoires ou des rêves, un monde et des chimères qui s’envoleront quand résonnera dans l’allée le pas du premier qui rentre, la journée terminée.
Personne d’autre que moi n’aurait remarqué que, dans un dernier fracas sans bruit, ne laissant de traces que sur quelques feuillets noircis à l’encre de mes neurones, la tour imaginaire, le labyrinthe hanté, l’odyssée fantasmée se sont désagrégées dans le courant d’air de la porte refermée.
#05/40 | ciel du lundi
Sans savoir ce que seraient la consigne du soir, ouverture vers ce qui sera écrit demain, j’étais hier comme bien d’autres jours, le nez en l’air à regarder le ciel. Une lune pâle alors que ciel bleu, me regardait paisible cueillir les framboises tardives pour le dessert du déjeuner dominical. L’après-midi, une autre lune – est-ce la même ? – veillait sur les allées-venues sous le soleil (trop) chaud d’un triste anniversaire, on porte fleurs et bougies encore vers le pas de porte d’Alex qui a perdu son frère, fleuriste comme elle, il y a sept ans, au Bataclan. L’astre exsangue est comme un regard enfin bienveillant sur notre planète en chaos, qui dirait la longueur du temps, si long, la lenteur de sa course, si lente, les millions d’années qui restent à ce qu’on nomme la nature (l’humanité ?) pour être là.
Et ce lundi, donc. Le ciel au réveil : noir avec son halo orangé là-bas aux bordures de la ville, troué de la lueur intermittente des phares sur la route en contrebas du jardin, déjà peuplé des sons d’un début de semaine poussif. S’étirer en pensant à cette journée qui peine à s’ouvrir, se tourner vers lumières et bruits de la maison qui s’éveille.
Plus tard, mettre l’ordinateur en route, coup d’œil à travers la vitre embuée : défilé de nuages fins, lambeaux de ouate grise venue de l’ouest en cavalcade nous souffler des souvenirs des jours derniers en mer. J’entends les marins fatigués, les drisses qui claquent et les vibrations de cauchemar dans les coques des coursiers lancés pleine balle vers la Guadeloupe. Le ciel s’élève peu à peu, on voit grandir l’espace entre cimes des arbres et plafond nuageux. Le vent de suroît doux et brutal (chaud et violent) malmènent feuilles et étourneaux en un tourbillon enivrant, au sol et dans les airs. Le temps de dégainer téléphone et d’ouvrir fenêtre, des trouées bleues confirment le changement de lumière. Tapoter le baromètre, voir une petite hausse, se remettre au boulot.
À la table de bricolage, quelques heures plus tard, où le calendrier des pompiers se customize lentement sous le paysage céleste qui s’éclaire – couleurs bleu gris blanc et lumière mêlées – en surplomb de la maison mastoc voisine.
Plus petite strate de filament bien au-dessus de la ruée des nimbus vers l’Est. Y aura-t-il du nouveau ? En attendant, trouvé « reposoir » qui rimerait avec mon déversoir (notre depuis 5-8 jours ?), ou les considérations de Samivel reprenant Bernardin de St Pierre, mais trop dense pour être ici compilé.
Trop tard pour envoyer ? tant pis, ciel assombri, à retrouver sur le carnet individuel, ou pas.
#04/40 | une phrase au réveil
« Stress et oubli font de bons amis ».
elle a tourné au milieu de la nuit, la petite phrase mystérieuse, entre premier sommeil et d’autres rêves… bons amis, faux amis, je ne savais plus bien, je trouvais ça bizarre, et ce matin, regardant ces mots, stress et oubli, me suis rendu compte que c’était eux, mes sentiments permanents, ou ma lutte contre, qui emplissent mon quotidien.
Alors j’ai écrit la suite : Stress et oubli font de bons amis. Comme de vrais amis, ils aident à étancher la soif de vivre : avec eux tu sautes de souci en joie, tu passes le temps sans t’en apercevoir, tu affrontes dragons et épopées sans fléchir. Bon d’accord ça épuise un peu, mais qu’est ce qu’une existence si ce n’est ce recommencement perpétuel d’un vidage de batteries ?
#03/40 | il aurait fallu
dans la lumière du jour qui point, il nous aurait fallu volonté commune de voir, d’attendre avant de pouvoir, d’espérer le moment de regarder ensemble au même endroit. On roulait depuis quelques heures déjà, la fatigue n’était plus un souvenir de la journée passée, si éprouvante, de la nuit trop courte qui lui avait succédé, hachée et à peine reposante, mais une réalité qui amoncelait son refus de nous laisser paisibles.
Là, maintenant, le long de la grande route, il aurait fallu un répit dans nos temps désaccordés pour apercevoir ensemble cette femme sortant de la station-service par la porte latérale, fichu mal accroché aux cheveux sûrement encore chauds du réveil aux aurores, la blouse passée à la va-vite sur la vieille robe de tous les jours, les sabots de plastique sur les pieds fatigués, et ce regard qu’elle nous a lancé, froid et bref, alors qu’on claquait nos portières, dans nos mains fébriles les gobelets fumants qui nous tiendraient de carburant en lieu et place d’amour et d’espoir pour revenir de l’au-revoir.
Pour continuer le voyage, partager les instants qui feraient notre histoire, il nous aurait fallu la voir, la regarder vraiment, lui sourire en silence, alors aurait-elle cru, pensé ou même souhaité, que sur cette route ouverte, nous repartions ensemble dans la même direction, au lieu d’en solitude, chacun sur son chemin de pensées.
#02/40 | Si loin si loin
Ce que je ne ramènerai pas du voyage, réel ou onirique : ces pensées ânonnées au creux de la nuit, ces phrases évaporées au détour du chemin, ces mots échappés de leur sens, ces souvenirs entr’aperçus sur le bord du chemin.
#01/40 | de l’imprévu
C’est à l’église, l’imprévu désir de noter.
Je suis là, assise parmi les autres en peine, gens recueillis pour l’au revoir final, incapable de saisir crayon et carnet, décence et retenue, respect des âmes éplorées.
Elle est là, au milieu des prières adressées à nulle part, vers les volutes des piliers ancestraux, tendues avec regards noyés vers les visages saints, cette envie de se fondre en dedans pour amalgamer les mots, les phrases et l’émotion en un geste d’écrire.
Il étreint, entre homélie et offertoire, embaumé de paroles, de chants et de bouquets déposés pour l’absente, cet empêchement de dire, à l’instant, brutalement, sans retenue ni fard, les frissons et les doutes, les souvenirs, le deuil d’un rire ou d’un avenir.
C’est fini, glissant avec larmes et soupirs sur les larges dalles, louvoyant entre bancs vermoulus et promesses de purgatoire, ce besoin de noter s’échappe vers le jour qui n’en finit pas de pleuvoir, triste aussi sur le parvis de l’église.
ce qu’il y a de bien avec les « us et coutumes », c’est qu’on peut aussi s’en inventer, en respectant la lisibilité pour l’Zautre…une contrainte peut ouvrir des fenêtres qu’on n’avait po vu, dit l’acharnée du hors-champ, mais pas exprès (la plupart de l’espace/temps).
certes – merci Alexia, vous lire est un exercice un brin décalé en effet, ça pulse les neurones et le cœur 😉 !
Cette femme au fichu mal accroché… Il nous aurait fallu la regarder vraiment. Elle apparait. Elle fait signe. Merci Gwenn pour cet effleurement d’elle. ( stress et oubli je vais essayer le bon dosage)
Elles sont belles ces chimères qui apparaissent une fois la maison vide! Ton texte me fait penser à ça : https://youtu.be/Q21-spZLi8E
Merci Géraldine pour ce chouette accompagnement 🤗
Je suis venue déjà ce matin chez toi et je reviens à présent, dans un interstice découpé dans mon temps de ce début d’après midi…
Je te rejoins dans cet univers invisible des poussières en permanence déposées ci et là, sous ton ciel de Bretagne, dans ton « dernier fracas sans bruit »…
La maison qui se vide, le stress et l’oubli, le calendrier des pompiers, l’imprévu désir de noter, à l’église, personne d’autre que toi. Merci Gwenn.
Oh dommage, des noms propres bretons vont manquer. Mais je comprends. Rechargement de batterie pour continuer !
Nolwenn il fallait comprendre : je ne les mets que dans la compile.
Les usages du web me semblent déjà bien assez nombreux et je n’ai pas compris l’intérêt d’aligner ici cette litanie qui n’a de sens qu’en bloc collectif apparemment – mais j’ai pu une fois de plus me méprendre sur la consigne de fb ?
Belle journée sans s’attarder 😉
oui dire que les pendants que ne se rejoignent jamais ou rarement ou s’éloignent
Temps suspendu au croisement des routes, lieu privilégié sans doute pour ce genre d’exercice. Oui, bonheur de cette session.
J’ai beaucoup aimé l’anecdote des 480 signes plutôt que 480 mots. Ça pourrait te servir pour une réponse à une consigne. Bonne journée.
J’ai bien aimé entendre parler les oiseaux, le vent et la pluie. J’étais seule aussi ce jour là dans la forêt mais n’ai pas osé traduire les paroles des arbres et me suis obligée à aller faire des courses pour écouter des paroles humaines, j’apprécie beaucoup votre liberté avec les consignes.
non mais rien seulement Christian Bobin – parti – merci à vous
je ne me lasse pas de le redécouvrir, lui qui a été – sera toujours – si présent depuis plus de trente ans que je « sais » lire et essaie d’écrire.
merci d’être passé, Piero !
Un âne, du foin et aller bosser en calèche…je déménage! Et oui la #7 coule mieux comme ça, si j’ose un avis.
« Tout ce travail acharné »
voilà voilà notre âme dévoilée, il faut écrire jusqu’à saigner, tu le sais bien…
à tout de suite au zoom…
Jolie scène que la 20, pas besoin de paroles. Toujours un plaisir d’apprécier l’atmosphère de votre carnet entre poésie et quotidien.
et réciproquement, Isabelle me promener par vos chemins et bois – j’ose un où êtes-vous ? – et constater notre proximité de pensées sont un délice. à très vite vous lire encore.
Sensible à l’image de la #17 où les bêtes sont saisies d’un trait de lumière et lu « déboutonner » le littoral plutôt que « débétonner » ; ça changerait quoi ?
merci d’être passée, Cécile !
alors, enlever le béton, mais ça faisait trop de signes 😉 ! blague à part, le bord de mer est habillé par l’homme de bien triste manière, votre métaphore est sensée, merci. malheureusement ces travestissements honteux ne disparaîtront pas d’un coup de strip-tease délicat, il faudrait y aller au bulldozer…
j’aime l’all et venue entre intérieur et extérieur, fou et netteté
Merci Brigitte pour votre visite, j’ai aimé vos va-et-vient entre miroir et vitrine embué.e.s, aussi. Vous lire est toujours un bonheur, à bientôt !
Brouet je ne suis pas d’accord – après c’est difficile d’élaguer – et de garder ce qu’on aime …
Ça a l’air tellement riche, il faudrait lire d’un bout à l’autre mais je n’en prends pas le temps. Retour à Paris et fini le premier jet du bouquin, relecture. Bonne soirée Gwenn.
salut chère Gwenn, je passe, je suis là, je veille, je te lis
mais trop peu de temps pour commenter de façon juste
je vais revenir, promis…
là j’ai lu et aimé tes fragments de corps, entre caresses et tâtonnements…
Bonjour Gwenn, la femme enceinte de la #30 pourrait tant appartenir à la #31. Tout fait écho.
Le monde ne dérape peut-être pas en silence tant que ça… beaucoup de cris, de vagues, de créations, de forces mises en branle pour aider, pour contrecarrer la course à l’envers
beaucoup de douceur en nous aussi, et celle de la peau dont nous avons parlé il n’y a pas si longtemps
espoir, ma douce Gwenn, des forces sont encore à naître…
oh pas si en silence que ça… le monde gueule souvent et puis il y a ces gens perdus qui gueulent seuls contre on ne sait qui on ne sait quoi dans la rue
et oui ceux qui oeuvrent comme peuvent comme le dit Françoise
#34 après lecture je demeure sur ton idée d’offrandes des oiseaux, c’est très beau…
et puis je resterai pour ma part sur quelque chose de très simple qui commencerait par « Des plumes. Trouvées sur le chemin, dans les bois ou la lande »… déjà rien que dans ces 11 mots, il y a tellement de choses, tellement d’histoires !!
bises à toi, chère amie de l’Ouest
merci Françoise, tes visites sont toujours si douces…
bien apprécié vos mots pleins de poésie
« comme une surimpression de vie sur fond de deuil à l’horizon — comme le récit d’une existence de lumière à travers la grande forêt du monde »
quant aux plumes, j’ai l’habitude de les recueillir aussi
Merci Huguette !
La poésie et les oiseaux, je crois c’est ce qui maintient en vie, oui.
oui au 33 et oui ce serait pour eux le 34 😉
Merci Brigitte 🤗
Plein de douceur et de poésie. Un ruisseau qui s’écoule sur fond de perte de mémoire. Tellement vrai. Merci Gwenn.
Merci d’être passé Jean-Luc…
Le musardage sur ton carnet est une si belle balade, merci réciproque !
si vrai, trop vrai, et s’en rendre compte (crainte)
À force de récoltes (#34), votre chez vous se tient près de s’envoler
La jolie et émouvante 35, et le plaisir de découvrir les routines, journées si remplies.
Une visite tardive dans votre carnet enchanteur. Complètement séduite. Merci Gwenn
oh merci Marie, j’ai tardé à revenir ici, m’en vais visiter votre carnet !!
à bientôt pour d’autres carnets 😉 !