Cette grisaille que je tends, que j’étale sur la toile immatérielle que j’appellerai mon attention, et qui sera le fond sur lequel inscrire mon texte, qui lui donnera son épaisseur, sa luminosité particulière, qui induira sa capacité même à surgir, cette grisaille est aussi une sorte de rituel où la respiration a sa part. C’est une pâte épaisse, faite de mille sensations qui se bousculent, s’entrelacent, de pensées qui m’entraînent de l’une à l’autre comme des enfants me tirant par la manche pour que je les écoute. Lorsque tous ont parlé, que le babillage, futile ou non, peu à peu, s’apaise, naturellement, du simple fait d’avoir pu existé et semble n’avoir eu pour fonction que de nettoyer ma pensée, de la rendre disponible, je sens que la grisaille a séché, que la surface est prête. Je mets alors mes doigts sur le clavier, pense et tape la première phrase et me concentre tout entier sur ce qu’elle va raconter, qui, forcément, d’une manière ou d’une autre, et c’est là le mystère, sera teintée de la grisaille sur laquelle elle s’appuie, identique, toujours dans le geste mais qui jamais ne se répète.
Je te lis dans la semi obscurité d’un début d’après-midi à Tromsø baigné d’une lumière, elle aussi, toute particulière. Et je me dis que les toiles immatérielles, au final, sont question de lumière.