carnets individuels | Jacques de Turenne

Ceux qui disent qu’ils veulent un carnet comme sur le vrai papier : biffer raturer dessiner – mais celle qui dit nettoyer balayer (gommer) net. Il me faut un bel objet. Mais moi qui ne sais toujours pas…

Je lis. Je regarde.

Je m’essaie.

1. les imprévus (début le 9 nov. 2022)

Ce qui n’arrive jamais. Non plus jamais. Mais précisément aujourd’hui alors que le temps est pressé non pas bleu comme le jus d’une orange alors que je suis coincé sous l’écorce étouffante de la combinaison en néoprène alors qu’un rendez-vous inattendu (que j’ai accepté me suis imposé me suis fait tomber dessus me suis fait subir par paresse manque de gouvernail et autre)… – En sortant de la voiture je ne sais quel instinct inventeur d’ennui me fait glisser un coup d’œil sur la roue arrière gauche. Absolument dégonflée… informe et pathétique. Je la change en suant absolument et nous repartons aussitôt – trop tard pour aller dans l’eau – premier jour de beau depuis bientôt une semaine.

B. arrive (pour aller au cinéma) après une mauvaise journée. Nous l’écoutons raconter, grave et factuelle (pas de pathos – ni indifférence) le décès d’un cousin. La soixantaine. Handicapé. Il vivait seul dans l’appartement acheté récemment avec sa sœur. La mort date du 25 septembre. C’est… (vous imaginez…) qui a alerté les voisins. B. se demande si tout sera réglé côté financier… Car cette cousine fantasque a de brusques changements d’humeur – tu ne le prendras pas pour toi Jacques – depuis qu’elle a fait un AVC (regard inquiet, précautions lorsqu’elle m’a revu après le mien, s’assurer contre les impairs, ne pas être désarçonnée.) après s’être faite étrangler par son ex-mari, devant ses enfants grands mais sans réaction. Drames en chaîne (cf. ces histoires en sable mouvant des patients.) Toute la journée reviennent à la pensée ces terreurs communes (?) : être mort ignoré. Être (enterré) vivant et oublié.

Deux jeunes chiens – un noir et blanc assez grand (colley ?) un brun plus petit (je vois bien son collier rouge.) Ils traversent la route en courant sautant virant – forcent la voiture devant nous à s’arrêter. Maintenant ils aboient furieusement en sautillant devant un portail blanc. Tu dis ils sont perdus ils vont se faire écraser dogs have no road sense. Effectivement aussitôt ils traversent à nouveau derrière nous, fous et désordonnés. Pourquoi les chiens n’ont-ils aucun road sense ? Comment est-ce possible ? Ne voient-ils rien du monde dans lequel on vit – notre cécité commune…

Retour vers 22h30. Tout est éteint dans le village. C’est nouveau (comme presque partout) cette obscurité ici, le décor terne et sombre autour des phares. Arrivée plus loin devant la maison. Pleine lune. Un bleu silencieux et très profond vibre loin derrière le noir entre les rares touffes de nuages. Grande sensation de fraîcheur sur le visage. J’aimerais installer mon appareil photo sur un trépied au milieu de la rue. Avaler tout ce métal.            

Aquazergue fermeture complet du centre vendredi 11 Novembre 2022. Merci pour votre compréhension L’équipe Aquazergue. Ils continuent de m’informer depuis leurs 800 kms de distance. Comme ces pages FB qui continuent d’annoncer l’anniversaire de leurs créateurs décédés. Temps et espace en roue libre.

le grignotement électrique du rasoir. J’en aime l’instant précis. Je ne sais pas pourquoi. (visage du père dans le miroir, silhouette de dos, maillot de corps, ou chemise. Bras nus? Une odeur verte et fraîche.

Entendu Nathalie Guibert en conférence à Livre et mer CC : les sous-marins circulent sous la mer comme on navigue dans les allées d’un cimetière. C’était juste après le mot peur et des yeux brillent derrière un peu d’eau de larme.

Sur la rose une toute jeune mésange. une lame (blancheur rayée.)

Le photofiction ? façade à Nantes : l’assassinat de Marat, Paul Baudry

une phrase au vol dans les amandiers … j’ai l’impression d’être au bord du gouffre alors j’emprunte les mots des autres pour faire ….

un rempart ? (quelque chose comme ça d’écorchure en écorchure)

ils veulent une brosser pour identifier que c’est bien lui, le corps. Mais il ne brossait pas les dents…

Expo et découverte Ernest Pignon Ernest à Landernau le 4 décembre 2022…

2. si loin si loin

Ça revient dans mon foutu grand vrac, à farfouiller peut-être avec le rêve gris poussière de la femme à la robe écarlate – tête coupée. Elle vient chercher nous, ses enfants, qu’elle a tués. Sur la note des maigres archives de l’hôpital, récupérée à l’aide d’une complice (en somme empruntée, recopiée, restituée) puis sa copie aussitôt perdue : « étant donné l’état de la mère et de l’enfant il est décidé le retour au foyer.» De « tête » pourtant la phrase ! Depuis longtemps je côtoie le trou aveuglant des têtes coupées : mes morsures d’amémoire. Des champs entiers de presque plus rien, les heures englouties dans une lente nuit qui ronge d’abord sans bruit, comme un cancer. Une Jeanne (?) serait également venue. Qui enfermait le chien. Elle (la mère) dirait d’elle, bien plus tard : « un homme qui installe sa poufiasse à la maison ça faisait rigoler tout le monde.» C’était le plus beau mon chien de la terre.

3. il aurait fallu

Briac. Meridien

Salon Livre et Mer. Chapiteau des auteurs. Allées. Longues rangées d’étals. Piles de livres. (La BD de Briac. Méridien. Illustrations somptueuses. Tentures où s’enroulent de lentes oppressions. Couleurs de poisons capiteux.  Des visages blancs et creusés – entre vie et mort… Dédicace. Sous le pinceau taches de jaune aplats de bleu, traits venus de rien et de nulle part, rapides griffes noires sur le papier. La main dit 3 ans et demie à vivre avec le bouquin, après un vide. Sur la page de garde le personnage sorti de l’histoire me fixe pour Jacques. Concarneau. Pareil ce jour inoublié d’en gare de Lyon. Depuis la vitre du compartiment l’affiche du jeune homme net sous l’engagez-vous militaire. Devant elle – recraché – un voyageur tassé fume : le même homme. Plus vieux. Drapé dans sa fatigue de civil déchu et ordinaire. Des portes.

elle pleurait assise sur le bloc béton devant l’hôpital. elle pleurait au bord de la rue. il aurait bien fallu m’arrêter. à quoi bon penser il aurait fallu après ?

il aurait fallu travailler / il aurait fallu apprendre à aimer / il aurait fallu moins se méfier / il aurait fallu la légèreté / il aurait fallu l’air facile / il aurait fallu falloir sans faillir/ il aurait fallu persister/ il aurait fallu

4. Phrase de réveil

Décidément. Un seul mot au réveil – sans avant perceptible. Décidément. Mot que je n’emploie jamais (je crois) – sans raison repérable à cette désaffection (ni amour ni inimitié pour sa sonorité, le sens, des souvenirs particuliers – tiens, un peut-être se fabrique à l’instant où j’écris : une bouche et sa façon péremptoire de le prononcer… à laisser pousser.) Mot qui se serait tenu longtemps en embuscade. Ensuite, dans le no man’s land de l’entre-deux flottaison précédant l’éloignement puis l’effacement prévisible – sucer /décidément/ comme le bonbon glacé (la pie qui chante) qui poissait la langue et venait cogner contre les dents. Des si déments – décide et ment – des si d’amants – des si ? dément… décide aimant, des si d’aimant…

Depuis plusieurs jours des rêves épuisants laissent le cerveau pâteux, une mélasse.

5 fois le ciel

/

… puisque encore dans ce matin la ligne de partage du ciel repose sur le toit… à l’ouest son plomb à l’est son lait. Au ras de la fenêtre les longues portées hachurées de dièses vides et aplatis. Fileuses de voix muettes et d’électrique. (Chaque plume est depuis longtemps effacée – un chant aurait pourtant égayé l’air redevenu presque immobile.) Puis rognures éparpillées comme ces débris flottant sur la vapeur sale d’une gomme (les phalanges d’une phrase consumée.) Puis traversé en oblique lente le rectangle du Velux : la massue blanchie d’un crâne railleur sur le ressort de trois cervicales. Puis le bleu provisoire et uniforme… Feuilleté le bouquin de l’étagère : Le Livre des ciels de Leslie Kaplan. En haut de la page une petite cérémonie de nuages gris : « l’air s’ouvre et se referme. Le ciel balance écartelé. Une respiration ?

aujourd’hui une toile de blanc et ses fils devant le bleu. les nervures d’une dissection.

aujourd’hui fracas. fracas blanc. fracas noir. fracas bleu, le silencieux.

un rêve d’avion et de cercueil c’est un rêve de ciel ?

aujourd’hui bleu livre d’image

aujourd’hui à la découpe, net soleil

6. personne d’autre que moi n’aurait remarqué que

le robinet mitigeur de la baignoire est un cobra, aussitôt je l’ai signalé

mais oui c’est évident.

les lumières des phares croisés sur la nationale font des piliers de cathédrales – parfois le fort vertige des bords noirs il faut se retenir – si facile plonger… la fatigue coud les yeux.

depuis quelque temps tous les chiens s’appellent Julius. c’est écrit dessus.

le ficus tremble comme un pantin agité devant le visage

7. des visages

Briac. Méridien

tout réduit jivaro dans le fond obscur et bas du flot rouge profond cinéma (pourquoi toujours rouges ces fauteuils des spectacles ?) le visage carré pâle et brouillé de grumeaux le visage s’en va le visage s’en vient derrière le micro recule avance cherche plonge tire encore sur – mais laquelle – son ancre. Le visage flotte sous sa grise copie tamponnée au coin droit de l’écran le visage à peine en passant – comme derrière le hublot du médaillon tombal – mais là bas au seuil de la porte l’autre riant d’yeux aguicheurs en éclats pétard – son ovale à fils grisés de bouc et barbe précaire ses dents carnassières politisent l’inaudible son crâne casquette le tissu constrictor jaune annule son cou mais voilà déjà que lipstick vieilles lèvres de sang tremblent hachent le noir indistinct lipstick rieuse a mille ans lipstick ses yeux d’éternelle diablesse lipstick visage fondu s’en fout de tout lipstick fripée. Elle m’embrasse maintenant.

ovale fin enchâssé délicat dans le voile, encore des mains d’enfance encore des mains d’azur fragile (quand tremble l’horizon d’été). Elle sourit souvent triste doux et chaud à la fois quelqu’un me dit c’est une pédiatre à l’hôpital. Maintenant ses mains dansent sur le téléphone.

elle est danse et petite elle sourit. elle tient sur un pied comme un oiseau. elle sourit. la brèche noire de la prémolaire absente sourit aussi.

la photographe a perpétuellement un oeil (le droit) à demi fermé. Une faiblesse de la paupière.

innombrables ceux qui demeurent invisibles

innombrables ceux qui crient

Ernest Pignon Ernest (Landernau)

8. noms

Bourguer Jussieu Guy Castelli Robert Jeammet Pierre Godon Raphaël Godet Jérémie Luciani May Romanos Michel Page Nick McGeehan Max Tunon Pierre Lefebvre Matteu Maestracci  Anne Faucon Olivier Oin Pascale Chanterelle Lyne Walker Pascal Landréat Roger Bonhomme Charles Maisonneuve Isabelle Sias Rémi Campredon Nathalie Sapena Nicole Giraud Anna Stuberupp Tristan Rousseau Christiane Breton Gisèle Roux Ruby Wax Matthieu Gain Ludivine Caporal Nicolas Zaugra Michel Olivon Françoise Bornet Charles Giovacchini François Perrier Alain Bornet Chloé Beaucourt Jean Yves Gaudelier Théo Zuili sur la tombe Zélie forever Zélie Jean Lassale Annick Deneuve

9. ne pas s’attarder

ne pas s’attarder sur l’absurdité inimitable des 8650 années de prison pour le prédicateur à barbe costar et nœud papillon – mais oui un vrai salaud – si nombreux les grands les petits salauds des villes et des rues les salauds tête baissée sans regard les salauds du mépris les salauds de l’indifférence les salauds démerde-toi les salauds du bon côté des salauds à la manœuvre les salauds bien fait pour ta gueule l’ont bien cherché les salauds chacun sa merde les salauds quand on veut les salauds quand on peut les salauds de la bande des salauds les salauds dieu connaît les siens parmi nous les salauds rampants les salauds glapissants léchant les mains comme des chiens souriant aimant les salauds des instructions les salauds des ordres les salauds qui montent aux yeux les salauds prêts à dire les salauds prêts à partir ne pas s’attarder le salaud prêt à s’emporter laisser filer mon petit salaud personnel laisser tomber le salaud ne pas s’attarder sur…

10. pendant que j’étais aux journées de la coordination je n’ai pas pu l’envoyer…

pendant que dans le miroir mon premier visage du matin bégaie mon visage invisible de l’autre côté, j’entends en bas (je crois) la grêle des rires / pendant en bas des rires la mémoire bégaie des pas rapides énervés et froids au-dessus / pendant que j’écris pendant un homme marche dehors / pendant que l’homme marche bon je ferme parce que vous me faites chier avec tout ce bruit, / pendant qu’elle parle sans arrêt je coule au bord des mots / pendant que un petit café il a gelé cette nuit / pendant que le soleil réchauffe bonjour vous êtes-là depuis longtemps? / pendant que les conversations… je dérive de plus en plus / pendant que je serai mort mon temps aura passé / pendant que mon temps aura passé d’autres vivront naîtront encore / pendant que j’écris quelqu’un bouscule la table / pendant que tremble la table la main aussi / pendant que je relis je pense il faudrait classer / pendant que les voix disent Mexique disent Cuba disent médecins je décide d’arrêter / pendant que je décide d’arrêter je continue / pendant que je continue d’écrire je n’en suis plus à une contradiction près / pendant que j’arrive au bas de la page je décide d’aller sur la page d’à côté / pendant que j’écris en haut sur la page d’à côté il est vraiment tout petit ce carnet / pendant qu’il est tout petit ce carnet et si je le remplissais de pendant tout entier? / pendant que quelqu’un prend une photo avec son téléphone il plisse les yeux et étire un peu les coins de la bouche / pendant que mes voisins parlent ombres chinoises sur le carton blanc / pendant que les tables s’entourent d’invités la journée s’ébroue va commencer / pendant que d’autres sont morts et à mourir je vis sans savoir vraiment / pendant que le maire parle de Mayenne le camion du cirque vient de tirer deux ou trois remorques attelées / pendant que l’homme parle je ressens une douleur dans la cuisse gauche / pendant qu’il dit je vais aller très vite en vérité il prolonge / pendant que je parle une douleur me tenaille le dos / pendant que tout le monde va chercher le café elle explique qu’à Saint Malo au départ de la route du rhum ils vendaient les crêpes 10€ / pendant qu’ils reviennent les mains accrochées aux tasses de café elles dit qu’avec son mari (surtout lui !) ils ont inventé les premiers poissons surgelés, c’était pendant la première année de mes premières années… (https://www.lecourriercauchois.fr/actualite-330898-fecamp-les-surgeles-servifrais-et-la-fin-du-grand-metier) pendant que les trains partent il vaut mieux ne pas être celui qui reste sur le quai

11. souvenirs du lire/écrire

Les lettres calligraphiées à recopier en défilé sur le papier réglé ça faisait des tours des virages des courbes – je fais pareil après l’avc : des virages des courbes des ondulations sans lever le crayon – toutes les lignes à recopier qu’il fallait bien donner ; et déjà c’est si vite oublié l’effort appliqué pour tracer les courbes les virages les ondulations, tous les traits avec le moins de trembler ni le déraper ni lever le crayon ; et puis il y avait (pour l’enfance seulement – pas pour l’avc) le cahier de récitation. Quelle drôle d’histoire c’est le chat botté et le marquis de Carabas. Sur la page de droite le carrosse un peu haut presque orange presque je vois encore les coups de crayon pour la couleur presqu’encore les roues et le soleil des rayons presqu’encore le chat à la fenêtre presque papa tu me le dessines encore mais non mon marquis est enterré.

12. Grisailles…

J’écoute la voix envoûtante /des dessous … de la vaste grisaille/. Je ne regarde plus le tableau. J’entends mots de lait. Mots de lait (la voix reprend mo-du-lé) et me revient l’étonnement : le goût fade de carton quand, aux commencements d’apprenti-père j’avais souhaité goûter la pâte imaginée suave d’avant les mots. (Bien sûr beaucoup trop fluide pour être pâte – bien trop inconsistante – à peine une trace fragile sur et d’avant la langue.) Ce lait n’est ni éclatant ni épais ni crémeux ; tout au plus – si à nouveau je ferme les yeux – me voilà enveloppé très loin dans une vapeur indécise jaune et verte, une moiteur de crépuscule enfermé dans l’interminable hiver, une humeur floue et terne. Et cela tout cela n’est que triste ennui et mélancolie. Mais parfois c’est comme la peau de buée que le doigt efface sur la fenêtre, le voile filé comme un bas qu’accroche l’ongle : l’humeur cède et lâche ses sillons hésitants de serpents froids, . Alors, démasquée parfois dans leur sillage, la vie surgit, fulgurante. N’être qu’au monde. 

13.

Debout. Depuis le rectangle sali toujours les ardoises noires toujours les fils nus toujours le vide de pas toujours le vide de voix toujours la rue courbe et vide. – Derrière le mur en face la girouette affolée mouline des bourrasques de rien, les arbres plient, le drapeau imbécile claque comme les talons aux ordres militaires.

14.

Partir. Je relève soudain la tête dans le roulis cadencé d’accélération (une main invisible m’a pris aux épaules les secoue d’un rythme doux. Pas d’ordre plus précis que ce remous ferroviaire imprimé au corps devenu flou.) Le froid de la vitre déplie une mélopée de rails infinis. Ils quadrillent tout le bas, s’écartent et se referment avides comme des mâchoires (ou lames de ciseaux rouillés) – partout les perches fines et leurs bras tendus au ciel. Sous le filet des lignes électriques soudain trois hommes courbés (un angélus industriel) et brûlés d’orange percent le trou de grisaille – sont avalés. Un autre ver au museau effilé luit – se dissout sous le chaos de cubes inégaux ajourés de fenêtres. Les voyages y défilent s’espèrent encore s’enlisent puis s’oublient.

15. conservation de conversations

faudrait pas qu’on en ait un comme celui dont le nom, au hasard, commence par cl, qui démarre et qu’on puisse plus l’arrêter… Il est grand comme de Gaulle avec les oreilles pareilles, comme ça. (geste des mains en éventail de chaque côté du crâne, façon Dumbo)… Mais c’est toujours comme ça en Novembre, c’est pas pour rien qu’on l’appelle le Miz du… Ma sœur en Guyane elle se lève à 4h du matin pour avoir un rendez-vous… C’est plus possible de voir un ophtalmologue… Ah non aujourd’hui je ne suis pas là-bas j’ai attrapé un virus en gardant les enfants… Alors là je suis pas du tout d’accord non mais je blague… Adrien l’a vu, il dit que c’est super… À la prochaine les amis ! Si vous voulez je les mets là, sur la table ça ira ? Foutage de gueule oui !

16. fringues

qu’est devenu le manteau épais trappeur dans les tons automne canadien – et la veste verte et bleu légère (presque brume ?) dans les tons forêt et lac ?

17. Embellissement

Madame, Monsieur, Monsieur Madame du Grand Conseil de l’Embellissement de la Ville

Objet : Concours Annuel du Plus Beau

Personnellement je prends pas parti.e.s – chacun.e a ses raisons et réciproquement, c’est cela même qui permet de tenir. Je dis simplement que l’idée générale est bonne, on a toutes et tous et tous et toutes besoin, il est ainsi agréable de constater, alors que nous sommes, habitant.e.s du quartier, par vous sollicité.e.s.  Ne somm.e.s nous pas en effet les premier.e.s concerné.e.s et impacté.e.s ? (Que ce mot est donc vil et laid : il appelle ces pansements fourré.e.s de mèches que l’on bourre dans les escarres sacré.e.s des gisant.e.s à l’abandon hospitalier.) Voilà ma grande terreur.e ! Mais je ferme les yeux et j’efface, une brume marine glisse sur mon visage, une mouette aussi dont me palpe l’ombre aux ailes écarté.e.s… Je plaide pour la place de la statue Duquesne (1604 ? – 1688) dont j’habite aujourd’hui encore à ses rives dans le quartier gentrifié.e avec le vocabulaire – que les touristes de mai (mi-avril récemment) jusqu’à fin août, (début septembre bien entamé.e maintenant), confondent avec Duguesclin (1320 – 1380) – qui lui n’a jamais pour ainsi dire mis un pied sur l’eau – qui porte tricorne et redingote, le premier, pas le second, que l’on (sans doute une ou un, un ou une jeune audacieu.sex) a baillonné.e à l’époque d’un masque bleu, par honneur de la Grande Pandémie qui dictait ses Inventaires à la télévision. À cet endroit donc également que le quai clapote dans l’eau, là où s’en et s’émoussent les vieux escaliers de l’ancien bac, communément si commode (ainsi parlait ma mère pour laquelle grand respect) à traverser le doigt de mer (parfois agité, secoué de violents spasmes blancs !) ensuite marcher sur les pavés jusqu’à la place tout au bout de l’autre côté. Là que bariolent les jours de marché. Or donc me voilà au cœur du sujet : la dévotion des anciennes et des anciens des anciens et des anciennes, sans laquelle rien de vif rien de beau rien de beau ni de vif, dans l’environnement changeant et fugace comme les visages endormis des vitres du 31. Plusieur.e.s nous sommes qui suggérons à moindre coût pour la municipalité.e, en ces temps devenu.e.s parcimonieu.sex , l’encrage dans la révérance et l’histoire du quotidien. Nous ourdissons qu’un système pérenne de haut-parleurs festonnés de guirlandes croisées et multicolores, triangulaires, parcourant.e.s le ciel impromptu et sa bi voire tri ou quadri partition de nuages, raconte à la gloire de nos aîné.e.s, jours et nuits sans trêve, jusqu’au bout des entendements. Il y aurait en particulier l’histoire des chaînes matinales aux sceaux d’aisance, que l’on vidait à la fosse où se tiennent aujourd’hui les urinoirs publics. Il y aurait remous des grands fonds où nous disparaissons par bouts dans les miasmes de mer et l’on danserait récitant.e.s les noms de nos cher.e.s disparu.e.s. – les candidat.e.s au passage se joignant à la ronde avant toute traversée.

18. Extraits…

je demande cinq minutes que l’ivresse s’en aille, alors on s’assoira, je paierai un café, je l’assoirai face à moi, face au miroir dans mon dos, oubliant tout le reste, la saloperie de pluie, la saloperie de lumière, les flâneurs cons et les couleurs tristes qu’ils m’ont mises dans la tête, et je le regarderai, j’oserai, malgré les cheveux toujours mouillés, malgré les fringues qui ne sèchent pas, j’attendrai malgré cela d’avoir repris les moyens que je peux – je cherche une chambre pour une partie de la nuit, car je ne trouve plus la mienne : j’ai voulu le demander à toi dès…

 sur l’étagère le petit presque fascicule des Éditions de minuit et ses post-it marque-page : une fine crête d’iroquois violette et jaune… Ouvert aujourd’hui au hasard. Compact. Mon dehors est triste et gris comme la pluie du bouquin. Je lis des images de brasseries cuivre et rouge et or, bien sûr les miroirs. Les banquettes – (les vestes humides empilées comme des peaux à l’extrémité). Une buée. J’ai pensé dans l’après-midi à J. dans l’église moderne et un peu froide, (peut-être le banc en bois, une seule couleur miel…) il disait pour l’adieu que sa mère jouait aux cartes – qu’elle aimait bien s’entourer, et les choses simples… Ça faisait des mots suffisants pour un nœud de leurs deux vies. Les mots qu’on étend des fois à flotter sur le fil à retendre les moyens.

19. Transactions (quel mot devenu étrange en l’écrivant – comme un serpent inexplicable…)

La force tranquille du refusement obstiné. Qui aperçoit l’autre en premier ? Du coin de l’œil : ses cheveux blancs. (Une maigre couronne. Une rare fois de proximité incongrue il plaisante sur le soleil au sommet de son crâne sans protection, passe vite la main dessus pour en disperser toute chaleur, aussitôt tourne talons.) Mais l’ordinaire demeure distancié. Chacun lève haut la main en guise de salut, guettant le miroir de l’autre. En cas de doute sur l’opportunité de faire reflet, le regard préoccupé flotte dans les azurs opposés, parfois s’abîme dans la contemplation du goudron rapiécé.

20. money money

La caméra avale tout ce qu’elle peut d’en haut : le grand, les larges épaules du survêt., la cagoule relevée. Son visage par petits éclairs quand il relève la tête et cherche, comme s’il humait l’air tout autour histoire de… Une ombre, puis l’autre : nerveux, sec, le cheveu court, le col fausse fourrure blanche de la veste, (peut-être en jean mais c’est pas mal brouillé). Là ça traîne pas. Un drôle de ballet. Le petit sort une main de sa poche, elle vole vers le grand. Les pognes se caressent dans un frôlement de plumes, le grand enfourne, réplique… Les ailes aussitôt séparées ils giclent, comme deux aimants qui se repoussent – même pas un check. (Tu sais la danse des poings pour faire l’américain et se saluer.) Deux phrases (que personne n’a entendu) restent pendues sous les pixels…

21. d’un truc pour bouger réel ou réalité c’est selon… (il sera opportun d’y revenir/autoconsigne)

Pianoter sur le téléphone d’un doigt d’une main Pas D’accompagnant Pas de prise de rendez-vous sur place Arriver 5 minutes avant Tel 02 98 51 11 00 Ou radiobooking.com Lire d’attendant. Pianoter téléphone. Tourner 7 fois dans la bouche, lentement :  « Brindezingue Brindezingue… » Autour passer ou se garer tout clignotant.

22. Un jour je perdrai un livre…

j’ai donc déjà perdu tous ceux que je n’écris pas ?

23. Le compte n’est pas bon

Vingt et trois

Je prends trois et deux (ou deux et trois) j’additionne font cinq je multiplie vingt et trois cinq fois trois fois cinq quinze cinq et je retiens z un cinq fois deux dix et un onze ça nous fait cent quinze cent quinze une fois cent quinze deux fois cent quinze trois fois cinq quinze cinq et je retiens z un trois fois z un trois et un quatre trois fois un trois fois cent quinze donc trois cent quarante cinq trois cent quarante cinq s’effacent à la n.a.u.s.é.e six lettres (sept avec l’accent) recommencer c’était quoi déjà cent quinze trois fois multiplié par sept (à ôter de mille neuf cent cinquante neuf et six et trois pour le moi.s) sept fois cinq trente-cinq cinq retiens trois sept fois quatre vingt-huit ajoute trois trente et un écris un retiens trois sept fois trois vingt et un ajoute trois donne vingt-quatre sept fois trois cent quarante cinq donne deux mille quatre cent quinze enlevé de mille neuf cent cinquante neuf moins que moi, ôté du plus grand que moi : le négatif d’en deçà.

Peut se combiner avec l’impossible : mots 220 (mais dès que j’en ajoute un pour décrire ou qualifier le nombre de mots augmente…

Caractères (espaces non compris) 1010 mais…

Caractères (espaces compris) 1225 mais ?

Paragraphes 5 … mais

Lignes : 22 … mais

Ou alors il aurait fallu (cf. carnet – entrée 3. ad hoc) tout rédiger et rentrer les valeurs a posteriori mais alors le texte est mort l’esprit est mort plus rien à calculer sauf l’héritage à diviser en ? car ma date n’est pas encore fixée tant qu’il reste à compter.

24. Attentes

 Voiture garée – moi l’attendant. Silhouettes gobées derrière la vitre aux annonces papier. Des autos rares dans le gris – phares et clignotants. Un froid menthe – sa joue morte sur mes cuisses. Mains frottent. La radio m’usique et débite ses pubs d’agacement. Faudrait moins s’plomber d’englué passif, attendeur de n’importe comment. Soudain l’attraction d’œil dans la tire. (insérée en marge du rêve vide.) Une femme. Ses lunettes à montures noires son masque et ses deux filles. La plus jeune. Grande fontaine de cheveux châtains – ruissellent sur son dos – a enjambé depuis l’arrière. Maintenant jetée dans ses bras comme tomberait dans le puits sans fond. La main de la mère va et vient sur le dos, retentissant d’infini doux le fil des cheveux d’eau. M’égorge serré que rien de grave ne se précipite que surtout rien de si triste n’attend.

version longue :

Parking des voitures serrées - ici moi l’attendant. Silhouettes gobées tour à tour derrière la vitre des annonces papier : pas d’accompagnant, pas prise de RDV, pas plus de 5 minutes (blanc noir rouge bleu - CAPITALES). Les autos quel joli mot rigolo passent rares dans le gris phares et clignotants - le froid menthe glisse sa joue morte sur mes cuisses. Maintenant mains frottant. La radio m’usique et  m’débite ses pubs d’agacement. L’aurait fallu moins s’plomber l’englué passif mais sans l’idée ni l’envie. L’attendeur de n’importe comment. ( C’est souvent !  -  aptitude désolante d’abandon ballant - faiblesse d’âme et d’constitution - le jour réduisant n’arrangeant rien.) Alors l’attraction d’oeil dans la tire d’à côté survenue en surprise du rêvassement vide  :  une femme ses lunettes à montures noires son masque et ses deux filles. La plus jeune grande fontaine de cheveux châtains ruissellent sur son dos a enjambé depuis l’arrière maintenant jetée dans ses bras comme tomberait dans le puits  sans fond et la main de la mère caresse le dos. Va et vient retentissant d’infini doux le fil des cheveux d’eau. M’égorge serrée que rien de grave ne se précipite que surtout rien de si triste n’attend.


PS pourrait façon exercice de style se reprendre de tous côtés ???
 Voiture garée - attendant. Silhouettes gobées derrière la vitre d’annonces papier.  Autos rares dans le gris – phares et clignotants. Un froid menthe sa joue morte sur les cuisses où des mains frottent. La radio des musiques et ses voix d’agacement. Englué du passif, attendeur du n’importe comment. Soudaine l’attraction d’œil : dans la tire insérée en marge du vide – une femme. Ses lunettes à montures noires son masque et ses deux filles. La plus jeune – grande fontaine de cheveux châtains – ruissellent sur son dos – a enjambé depuis l’arrière. Maintenant jetée dans ses bras comme tomberait dans la nuit sans fond. La main de la mère va et vient - flotte papillon - rebondissant d’infini le doux fil des cheveux d’eau. Égorge serrée. Que rien de tant grave ne se précipite ! Que rien de si triste n’s’attend !

25. fragments du corps

Ernest Pignon Ernest

Égorge serrée – brouillard bouilles floues de périphérie convexe (brisures d’images d’entrechoc dehors-dedans/silence du plus rien) – Pulse dedans sourd cogneur – cœur brigadier de théâtre – cœur emballement de flux – pousse tempes membranes tambour – cœur jouisseur de jus rouge et noir – tempes petites coques oblongues à chavirer – creuser masser du rond d’un doigt – noyau-salive d’égorge serrée – que rien de grave ! que rien n’attend. Dix petits cœurs à petits pas – dix petites pulpes nues ventousent les menthe-froide cuisses.

26. Le flou – le net (sans adjectifs)

le flou – la buée. Le net – La salle de bain après l’ouverture des fenêtres. L’entre-deux : les ondulations de vapeur d’eau en nappes et filets, fuites par les ouvertures. Le net – le timbre de la cloche. Le flou – les imaginations de la place du village autour du clocher. Le net – les stries d’ombre en code barre traversent la route. Le flou – les stries d’ombre en code barre filent de chaque côté sur la route Le net – la minceur du froid au début de la marche. Le flou – quand déborde l’épaisseur du chaud. Le flou – la côte à l’autre bord du bleu-gris dans le lointain de brume. Le net – la plage enfin sous le soleil. Le flou – les amoncellements d’algues – le bruit de fond du ressac – le pas sur le sentier de terre (La différence entre le souple et le flou ?) le pas dans le sable au sommet de la dune. Le net – le pas sur l’estran – la brèche du goéland criard – le tremblement de la branche quand se pose le rouge-gorge – le son des voix – le flou – pourtant que disent-elles ?

27. Doublure(s)

Tu as lu le message. Tu as dit c’est aujourd’hui l’opération puis plus rien parce que quoi d’encore ? Tu as pensé c’est la suite d’une déjà suite – en attendant celles à venir – le long tunnel des pléonasmes et décisions – consentir même à avancer contre des parts de soi. Tu as répondu les mots que tu pouvais dans leur indigence crue. Depuis tu effaces par intermittence (tu ne veux pas t’enferrer – rajouter encore à ce qu’il ne faudrait pas.) Mais tu reviens à vos images comme la main retourne les cartes une à une sur la table. Autour la vie continue – entre les rangées de sapins de Noël emmaillotés et les lèvres vives : non monsieur plus de rendez-vous avant Janvier maintenant…Tu le sais absolument : chacun erre néglige et survit dans son compartiment.

28. Pensée du jour !

l’éphéméride au mur vert pâle de l’ancienne cuisine (à côté de l’armoire à pharmacie plastique) avec les feuilles froissables puis expulsables d’une pince de doigts faisant glisser la peau d’un jour ses chiffres rouges et son dicton sur la peau du suivant diminuant d’autant le tas des restants idem la pensée du jour brassant la substance invisible (quel est ce lien de reconnaissance et d’attachement d’entre les hommes) la vie compartiment (quels sont ces murs d’ignorance et d’indifférence d’entre les hommes) la vie décor (quels sont ces corridors passages et placards du séjour à l’arrière-plan de la scène d’entre les hommes…)

29. Pas dû : il aurait fallu !?

n’aurais pas dû mille fois repousser aux calendes quelles qu’elles soient (le tout et le n’importe quoi d’agacement du jour : l’administration du passeport le remplacement de la carte vitale les alors comment tu vas du téléphone) ni les autres dix mille fois laissés tombés n’envautpaslapeine du discuter se disputer se renseigner la vie qui passe n’aurais pas dû supporter cette faiblesse comme la viande trop cuite quand se détache toute seule de l’os que pas de fermeté pas de  tenue pas de constance pas de discipline n’aurait pas dû la paix foutez m’la à moindre prix pas dû

30. fait de presque hiver

La fête des lumières 2022 a démarré à Lyon ce jeudi 8 décembre en début de soirée. Des foules importantes convergent vers plusieurs lieux de la ville, une vingtaine illuminés pour une trentaine d’œuvres visibles pendant quatre jours. La foule est déjà importante à l’entrée du parc de la tête d’or où sont visibles trois grandes œuvres. La file d’attente devant les grilles principales est importante mais avance vite, selon l’un de nos journalistes. « 20h c’est tard pour les enfants », s’agace un parent devant le parc. D’opiniâtres malheureux trouvent toujours à redire.

31. Les tas du monde

L’état l’état mais dans quel état du quel monde nous y voilà – avec ses petits et ses grands tas ! les tas de riches les tas de pauvres les tas d’soucieux les tas qui s’en tapent les tas d’vivants les tas d’morts les tas d’vivants presque morts les tas d’morts encore un peu vivants dans les vivants et puis les tas d’mots pour plier les tas d’gens dans les tas d’histoires les tas d’ordres les tas d’cris les tas d’slogans les tas d’encore, les tas d’arrêtez, les tas d’en avant toute et tous uniment –   Oubliez les tas d’phrases tout trompant – tout grrrronflant – que’c’est rien que du mauvais vent et réciproquement.

32. de ceux qui accompagnent

Le mannequin. (Cercle de fer – peau de toile couleur jute.) Sous la lucarne sale. La tiédeur des tuiles l’ombre la poussière. Pas loin la poupée, les vieux journaux, les calendriers cartonnés PTT. Aujourd’hui zébré de ronces ? Vide. La tête absente emmaillotée d’épines ? Elle est allée à Paris faire la couturière, s’est mariée. Ils sont revenus. Un été des foins il s’est empalé sur la ridelle du char. Elle est restée. Elle a continué de faire la couturière, la bergère aussi. Suivre la ride entre les murs de pierres sèches et les broussailles : la chapelle et les tombes déchaussées.

et puis demain ou bientôt écrire Zelda.

33. du vide

Portes du vide : l’œil et la phosphorescence de l’eau l’oreille et les craquements du feu la peau et le bleu de l’air le corps et ses creux pesés d’ombre le cœur et la respiration de la vague le pas et le rythme oublié l’arrêt et l’attente annulée. Le blanc.

34. l’était une fois…

J. nous raconte en riant de vieux rêves d’enfance : des scènes de de brimades assorties de représailles. À son tour il vide la penderie de tous ses vêtements en hurlant comme un tyran ! –  il refuse une nouvelle dictée (il reste les bras croisés devant la feuille !) parce que 16 c’est largement suffisant. C. proteste qu’elle n’est pas comme ça que 16 lui convient parfaitement. Hélas ses bleus d’âme sont impérissables. Sûrement on pourrait trouver là matière à fabriquer un de ces contes de Noël tire-larmes orienté vers l’illumination, le retournement total du mal en bien.

35. sur le bout de la langue

Pascal Quignard en a écrit un, bout de la langue. Les efforts inattendus (et la terreur) pour se rappeler le nom, les échecs rattrapés in extremis et les tentatives, enfin devoir s’y mettre à deux, l’un pour sauver l’autre d’être emporté en enfer. Tu te souviens du nom ? Mais c’était qui ? Mais c’était quand ? Mais le miracle, le petit miracle quand ça revient ce n’est pas la simple exactitude de la nomination, mais tous les autours à nouveau ensorcelés – comme à la lumière de la torche s’animent et tremblent insaisissables les ombres ocres de la vie pariétale.

mais c’est qui elle pourtant je la connais on l’a vue dans quel film, souvent, familier son visage enfin, pourtant pas si longtemps… mais enfin tu fais exprès c’est pas possible trois fois que je te dis que tout le monde et toi aussi tu la sais, on dirait que tu fais exprès jamais d’attention à rien je me demande toujours si tu es là ou dans des mondes n’importe où dans les ailleurs d’une autre planète oui une autre planète…

un jour on remplace par n’importe quoi la maison disparue vendue, partout j’en ai des maisons, partout, toutes pareilles avec des portes qui ouvrent sur des gens qui circulent, parce qu’il faut bien se les payer les services plus ou moins. L’enfance engloutie, puis la jeunesse et les années d’après, les morts de très et de pas longtemps, et même les vivants sur l’autre rive, ça s’appelle des faux lieux – des fausses reconnaissances – une nouvelle fausse vie fabriquée avec des bouts d’images des bouts d’histoires des bouts de voix des bouts de passants chacun de son côté c’est comme avant, mais remplace et annule le précédent.

36. Une autre fois…

37. Une phrase

/Aujourd’hui maman est morte. (Ou peut-être hier je ne sais pas…)/ En seconde ou première peut-être, ces années où Camus était au programme du bac littéraire (et maintenant, ne plus trop savoir grand-chose de ce qui s’enseigne aujourd’hui ?) Ça n’est pas une phrase qui oriente ma vie – ni lui apporte un éclairage soudain – une nouvelle lecture du monde – c’est ma phrase de connivence à quinze ou seize ans. Je n’y pense pas souvent.  Plutôt par périodes. Elle s’est avancée d’un coup ce matin – revenue de très longue absence, à bout et au bout de l’agacement, j’allais écrire désespoir – mais c’est très excessif, de ne pas trouver de ces formules déchirantes d’être significatives, même si j’ai le vague souvenir d’avoir tenu et vite abandonné un ou plusieurs carnets traversés de citations… Après – comme au bahut donc : expliquez le comment, dépliez les pourquoi ? Forcément après coup l’affaire m’est joliment truquée de connaître la suite de l’histoire, la fournaise des couteaux tirés sur la plage du soleil, tout le chahut silencieux de l’exécution. (De mémoire ça finit avec Meursault assis dans la cellule à imaginer et attendre, peut-être appeler, je vais relire, la haine et ses cris.) C’est comme figée au seuil de la porte, quand c’est impossible d’entrer, sans trop comprendre pourquoi, cette phrase. Au fond de la pièce une voix dit : elle rentre pas la petite elle reste où elle est. (Cette autre histoire m’a été racontée bien plus tard : une petite fille devenue femme se ravivait toutes trois (la petite – elle – sa mère) dans le souvenir de la main de celle qui venait de mourir. Cette main la serrait fort à nouveau et la rassemblait, comme quand l’autre voix assise dans le noir disait depuis toujours : « elle rentre pas ta fille c’est ta honte », et elle bien sûr, elle ne comprenait rien à l’époque des mondes bien séparés ni des idées de ce qui fait honte et condamne. Elle avait appris depuis. Mais c’est bien de l’égarement pour tourner autour des  mots de l’annonce, qui font leur chemin quand même, de plonger tout de suite Meursault dans l’à-côté du  monde, fracturé d’aujourd’hui ou d’hier ? – à ne pas savoir si toujours il a été comme ça de regarder tout comme on se tiendrait solitaire égaré derrière une vitre trouble, que parfois des voix des gens des paysages frôleraient, il se poserait pas la question du pourquoi mais ça resterait tout le temps comme de chercher le mode d’emploi, comment faire avec le total des us et coutumes des uns et des autres, à repérer le mieux possible pour s’en sortir comme se peut et se doit… Il a toujours été comme ça, Meursault, ou bien c’est l’effet de l’annonce, lettre ou télégramme, la déflagration, une sorte de grand trou interne, une implosion peut-être très ancienne mais qui faisait qu’attendre ? – alors voilà Meursault, si j’écrivais la copie aujourd’hui je dirais il est fermé derrière la paroi de verre et quand il parle il marche il travaille il se voit et s’entend dans son parler son marcher son travailler – il cherche un peu la coïncidence avec tous les autres dans leur marcher leur parler leur travailler, il se demande si c’est les manières d’à côté qui s’appellent vivre ou peut-être même pas, c’est juste un froissement différent un frémissement étrange et peut-être inquiétant. En tout cas sans s’expliquer ça m’a fait accointance dans mes quinze ou seize ans.

38. Du rêve et de ses choses

Il y eut les époques du divan (tôt le matin – humide et froid – la nuit  dehors se dissout dans le jour) ou les après-midis de chaleur (le soleil s’épuise dans les replis d’ombre) – plus rarement soirées (le jour derrière la porte à nouveau se déshabille dans la nuit) – en ces temps-là bien sûr rêver noter répéter – tu rêves pour lui qui attend – l’attracteur du rêve c’est lui qui n’est pas lui – c’est l’inconnu dont tu es chimère que tu rêves – tu racontes les mots du rêve la matière du rêve les sursauts du rêve les trous du rêve les fils diurnes du rêve tu te rêves rêvant les mots prolongés du rêve servis sur le plateau du rêve le serveur chemise cravate circule de groupe en groupe s’approche d’un cercle de femmes, serrées tête contre tête – ignorant le rêveur endormi ou peut-être se moquant de lui. Montant confusément de leurs lèvres le brouillard des paroles alimente exactement oui exactement le frémissement noir du chaudron de soupe suspendu à la crémaillère. C’était dans la maison du feu sorcier.

39. Du secret

Il est multiple ce truc. La grande malle aux secrets je peux toujours y plonger les mains remuer farfouiller agiter les chiffons de la honte, les oripeaux du pas de quoi faire le fier, passer le doigt à travers les innombrables accrocs du costume de l’homme ordinaire : les petites et grandes lâchetés, les faiblesses, les basses envies et autres culs de basse fosse, les mensonges et surtout à moi, en somme en un assortiment fourre-tout, dérisoire et mesquin – l’humaine doublure d’ombre dissimulée derrière le trentain tape à l’œil. Dommage pour mon orgueil : tu ne mérites ni cet excès d’honneur ni tant indignité. Mais tout autre est l’efficace du secret impossible à dire et à décrire : les mots et les noms se dérobent et s’épuisent sans images ni explications – des coques vides – inutile d’arpenter mille et mille fois les pans de l’histoire ébréchée, toujours les mêmes tessons lacunaires et muets, en toile de fond une poussière inépuisable, un voile opaque et flaccide. Je n’y vois ni n’entends rien, il me précède et depuis toujours m’environne, il s’élargit et m’enterre de trou en trou ; nous les trois on traîne du malêtre : c’est peut-être de famille mon secret ?

40. Consignes aux écrivants

Le voilà mon tas de consignes pour l’écritravail et l’état d’écritravaillant : laisse courir les tas d’mots les tas d’sons et puis le tas d’silence (en petits tas ramassés ponctuels, le silence, comme les p’tites crottes de ponctuation, ou sa large étendue d’aveuglé après la neige) laisse couler l’écran d’absilence derrière les paroles hachés des tas d’dents – comme d’la matière blanche ramperait dessous la matière noire, – alors entame recommence entasse des tas d’écrire rectangle papier des tas d’gratte stylo des tas d’entailles crayon des tas d’tape-clavier des tas d’écrimages avalées-recrachées des tas d’films et des tas d’photos, nommés écritube – des tas d’vocitubes aussi, des tas de dictées-soufflées-micro – proférées préalables ou poursuivant – en courant en marchant en parlant en gueulant en murmurant – des tas d’paroles clouées aux mains des villes balayées au ras des caniveaux lavées aux prunelles  des tas d’building luisants, taguées au crasseux des tas d’usines avec leurs tas d’vitres en triangles pointes cassées – imprimées sur les lignes ondulées des champs – noyées dans le flou glou des rivières – tatouées sur le panneau d’bois du bar-tabac à céder – tamisées dans les regards : ceux qui passent ceux qui s’baissent ceux qui t’croisent ceux qui t’effacent – des tas pissées à l’éclabousse contre les parpaings miteux des tas de murs – des tas d’cinq heures du mat quand le noir te dort plus – des tas de 0h de l’entre-deux quand le jour bascule d’épaules – des tas d’à quoi bon quoi ça sert quoi de neuf quoi encore quelle idée – des tas d’cent fois su’l métier – des tas d’orages des tas d’eau des tas d’espoirs – des tas si turne assis sur ta chaise devant la fenêtre des tas d’têtes des tas d’yeux des tas d’regards vus revus passés repassés écrits notés des tas d’phrases plus haut – des tas marris souffreteux désolés des tas jouissant jubileurs des tas jubilant jouisseurs des tas d’histoires de pas grand-chose ! – en somme toute not’tassée d’mots tapis du quotidien qui t’attirent t’affolent t’abusent tas muses.

51 commentaires à propos de “carnets individuels | Jacques de Turenne”

  1. belle balade dans vos mots, quoique parfois tristes ils éveillent des lumières.
    J’aurais pensé revoir Briac dans la « grisaille des dessous », lui qui obtient de si vivants tableaux à partir de sa première couche – vu et entendu et admiré à St Malo lors de l’expo de son travail à la Chapelle St Sauveur, quel artiste !
    bonsoir d’un dimanche de Miz Du digne de ce nom, à vous lire !

    • J’ai eu la chance de l’entendre partager les étapes de la gestation si difficile de Méridien… Quel bonhomme et quel travail ! Beau aujourd’hui je vais vaquer en bord de mer ! et reviendrai vous lire et d’autres !

  2. La transaction (oui, le mot est étrange) ou « l’opportunité de faire reflet ». Bien jolie déclinaison du bonjour de façade.

  3. …l’opportunité de faire reflet, comme c’est « bien vu ». Beaucoup d’admiration pour votre carnet.

  4. découvert ce carnet par hasard, beaucoup aimé, et le #19 m’a scotché.
    oui, une parfaite description avec, je ne sais pas si je vais trouver les mots, une « distance » quasi poétique qui accroit le réel (j’ai l’impression de m’embrouiller les mots dans ce que je voulais dire — fin d’une journée qu’on préfèrerait ne pas).

  5. Coeur brigadier de théâtre, ça sonne – sur membranes tambour – et ces tempes petites coques oblongues à chavirer, le corps est sonore, il sait se faire entendre.
    Jolie variation de flou et de net.

  6. « supporter cette faiblesse comme la viande trop cuite quand se détache toute seule de l’os » j’aime cette image — merci

  7. Je me suis moi aussi posé la question de la couleur du vide. Le blanc oui. Mais je ne suis pas complètement satisfait. Merci.

  8. 32 toutes ces images qui saisissent. L’ébauche de leurs vie c’est sûr qu’elle va m’accompagner.

  9. « Mais le miracle, le petit miracle quand ça revient ce n’est pas la simple exactitude de la nomination, mais tous les autours à nouveau ensorcelés »
    Tellement vrai !
    Merci

  10. « L’enfance engloutie, puis la jeunesse et les années d’après, les morts de très et de pas longtemps, et même les vivants sur l’autre rive, ça s’appelle des faux lieux – des fausses reconnaissances – une nouvelle fausse vie fabriquée avec des bouts d’images des bouts d’histoires… » impressionnée par cette 35 Merci Jacques

  11. Les tas m’ont fait sourire ) l’écoute (je ne savais pas à qui attribuer)
    Les portes du vide, pas le vide. le moment juste avant d’y tomber, donc.
    Je n’y avais pas pensé mais telelment juste « le petit miracle quand ça revient ce n’est pas la simple exactitude de la nomination, mais tous les autours à nouveau ensorcelés ». Touchée aussi par ces feux lieux, comme des faux feux qui nous éclairent mais de façon inversée.