Carnet individuel – Pascale Sablonnières

#38 stratégie du rêve

Ils filent comme des nuages par grand vent. Le vent qui souffle ce sont mes paupières qui s’ouvrent, mes sens qui affrontent la matérialité du matin. Fugaces, partis sans moi, ils me laissent en plan, mes rêves. Aucune stratégie en œuvre ni de leur part ni de la mienne. Ils filent où ils veulent, libres dans leur légèreté grave mais laissant leur impact émotionnel. Puis un jour, au détour d’une phrase, une impression de déjà-vu, n’est-pas eux qui se joueraient de moi?

#37 par cœur

Ce devait être en classe de 3 me que la professeur de français, qui nous avait fait découvrir le Théâtre du Soleil et le roman « Élyse ou la vraie vie » de Claire Etcherelli, nous avait imposé Barbara de Jacques Prévert. 

Rappelle-toi Barbara

Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là

Et tu marchais souriante

Épanouie ravie ruisselante…

Je me souviens aussi que souvent j’écoutais la célèbre chanteuse en noir du même prénom, que j’aurais plus volontiers appris les paroles d’une de ses chansons, qui me touchaient, que du Prévert. 

#36, Routine, lire, écrire

Avant tout, au réveil, boire de l’eau, doucement. Pas réveillée, ne pas parler, ne pas trop me parler. Déplier et chausser mes lunettes dans le silence du matin. Assise, ne pas trop m’agiter, ne pas m’étrangler en lisant les titres sur mon téléphone, du journal du matin. Différer l’ouverture des articles à plus tard. Manger quelque chose, boire du thé, beaucoup de thé. Laisser du temps entre chaque geste, Lire les quelques sms ou messages sur whatsap, puis les mails. Entre ceux provenant d’une liste de diffusion et les autres, les personnels, d’abord consulter les personnels. Éviter d’ouvrir les messages qui risquent d’être contrariants surtout avant d’être à même de m’en défendre. Ensuite regarder les prévisions météo, espérant qu’elles soient en accord avec mon envie de lumière. Commencer à avoir assez bu de thé, et laisser les mots sortir, les miens enfin ceux qui veulent venir, ceux qui émergent. Éviter les pensées plombantes, les choses encombrantes de l’organisation de la vie matérielle. La danse des mots, des images et les associations d’idées peuvent arriver, j’ai de quoi noter, j’écris à la main sur de grandes feuilles de brouillons, bic noir, graphie peu lisible, mots en désordre sur la feuille, noir sur blanc .Et le temps de l’écriture plus ordonnée va venir, mais plus tard, là c’est encore le matin. Et encore un peu la toute fin de la nuit.

La lecture de roman ce sera dans l’après midi, ou la soirée.

Pas le matin. Pas le matin blanc.

#35 la panne, l’embrouille

Impossible de me rappeler le titre ou le nom de l’auteur. Pourtant je revois la couverture claire, la photo sur la une de cet épais roman sorti il y a peu, dont « En attendant Nadeau » a fait l’éloge. Alors je raconte en détail ce que je n’ai pas encore lu au libraire. J’insiste. Mais ça ne lui « dit rien ». Je me sens bête et le trouve incompétent. C’est plus facile de me raconter qu’il ne connaît pas la littérature qu’autre chose, mais je devrai tout de même revenir.

#34 ce serait une histoire pour…

L’auteur Didier Daeninckx. Le décor l’usine Berthollet à Montreuil. Désaffectée mais remplie de déchets chimiques toxiques. Danger. Les pouvoirs publics se renvoient la responsabilité. Personnages: le gardien du bâtiment, un groupe de dealers, des élèves des école et collège voisins. Quelque chose tourne mal. Par exemples, le gardien blesse gravement un ado zonant le soir vers l’usine ou un dealer y planque sa came mais ne parvient pas à y entrer pour la récupérer…

33# faire le vide

Ça passe par le corps. Souvent le corps en mouvement. Pour calmer le flux des préoccupations, aller, de préférence, marcher. Prendre appui sur le sol et l’air et laisser le souffle traverser les poumons. Si possible que la tête se vide au passage, que les pensées parasites échouent dans le silence. Ne pas trop lutter contre ce qui (se) passe alentour et n’être que le réceptacle d’un présent immédiat. Seulement ça, un corps dans l’instant, enfin dans l’idéal.

32# mes morts sont parmi nous

Tu as fait au mieux. Pendant et après, je te remercie. J’avais trop mal, je ne me sentais pas capable de continuer. Je ne pouvais plus jouer de rôle, aucun, ni donner quoi que ce soit. Tout ça tu le sais. Combien d’heures et de nuits m’as-tu veillé quand je ne savais plus compter. Et après tu l’as aidée à grandir. Je n’aurais pas pu faire plus. Autrement sans doute. J’aimais tant la câliner mais ça ne pouvait pas me suffire pour continuer à respirer.

31# de l’état du monde

Je ne veux plus jamais voir cela, ou plutôt que cela n’ai plus de raison d’être.

#30 tout petits faits divers

Cette nuit sur le trottoir des dizaines de bris de verre sécurit brillent. Un détail pour la passante que je suis, mais pour le ou la propriétaire de la voiture à la vitre fracturée, c’est autre chose. Cette voiture, avec sa fenêtre ouverte à tous vents, est partie maintenant. Seules restent encore ici ces preuves de cambriolage. Qu’est-ce qui a fait envie au voleur ? Qu’a t-il pu dérober ? Je n’en saurai rien. Je continue mon chemin.

#29 on aurait pas dû

Évidemment je n’aurais pas dû relancer. Je savais qu’il était mieux d’attendre un retour. Qu’est-ce que je risquais à patienter? Qu’ai-je imaginé qu’on allait me reprocher si je ne me manifestais pas? Rien. Alors pourquoi forcer ? Me forcer ? Pour avoir l’air impliquée ? Quelles images ai-je voulu donner à ces gestionnaires, dont je n’ai pas grand-chose à faire au fond de leur estime ? Et comme lorsqu’on lance trop fort un boomerang, je me suis pris leur agressivité, évidemment.

#27 pas moi mais mon double

Tellement d’appréhension à l’idée d’aller chez la dentiste, j’en deviens une autre. Ma bouche ne serait plus la mienne. Par extension je me déconnecte de l’ensemble de mon corps. Brancher mon cerveau sur le bouton « pas d’abonnée au numéro que vous demandez » et entrer dans le cabinet. Je meurs d’envie de n’être pas ici. Pas maintenant, jamais, mais continuer à respirer. Puis les radios s’avèrent conformes, alors je peux être. Redevenir moi et être présente au monde.

#26 choses nettes, choses floues

Soudain des flocons de neige virevoltent doucement. M’empresser de rentrer les oxalis  encore en fleur, comme on protège des enfants en danger. Trois vestes, une capuche, un aller-retour dans la cour. Vite je sors, vite je rentre et dépose avec délicatesse mes pots sur la table. Avec une loupe et une pince à épiler, j’observe la terre de près, pour voir si des escargots n’ont pas choisi de s’y réfugier. Non, ni neige, ni prédateur. Elles sont sauves.

#25 fragment du corps

Tel un squelette ambulant dans un dessin animé, l’épaule droite craque au moindre des mouvements, et depuis longtemps l’hiver, elle se recroqueville comme si la bretelle d’un sac à dos invisible, mais bien trop lourd, la lestait, l’empêchait de s’ouvrir et de s’épanouir. Pourtant cette même épaule, arrondie et carrée, aux muscles dessinés, sous un dos nu, l’été, revit, rit, bouge et danse. Elle aime la chaleur, la lumière et la liberté d’être, cette épaule qui couine.

#24 attendre

Arrivée sur le quai du métro. Lumière blafarde. Panneau d’affichage, prochain train dans 3 minutes. Voix programmée annonçant la même chose. Parfois un léger décalage mais pas là. Marcher quelques pas encore. Détourner mon regard des publicités murales si laides. Où m’arrêter ? Rester debout ou m’asseoir ? À côté de qui ? Ce n’est pas important et pourtant. Ou alors rester debout immobile, mais difficile de ne rien faire. Avoir l’air de faire quelque chose, mais quoi ?

#23 dénombrer

Entre chez moi et le métro, sans compter les badauds au marché. Sur le trottoir impair j’ai vu 1 voiture et 1 camionnette stationnées, j ai croisé 7 personnes, 0 chien. À arrêt du bus 102 vers Gambetta 9 personnes, à l’arrêt dans l’autre sens 3 personnes, 0 éléphant rose. Assis à la terrasse du Bar du Marché 2 hommes qui fumaient. Devant la boulangerie les 2 marchands tunisiens de beignets, près de 2 jeunes rooms faisant la manche, de 5 marchands d’herbes aromatiques mais 0 baobab.

#22 un livre à perdre

Ne pas me souvenir du titre de ce roman primé de Chloé Delaume que j’ai déposé sur un banc public après m’être imposé de le lire, malgré un désintérêt certain, jusqu’au bout. Ne pas croire qu’il faut toujours terminer un livre. Ne pas hésiter à se délester des livres malaimés. Ne pas trop s’attendrir sur le fait que le papier provient des arbres. Ne pas trop penser aux arbres en lisant, mais ne pas parvenir à me délester du poids de l’hiver.

#21 faire bouger les choses

Déplacer les mots, faire tourner les livres libres. Transporter d’une boîte à livres à une autre. Pour changer d’air, de quartier, de voisins. Pour accélérer la circulation des histoires. Devenir de Michèle Obama parti de la Place de la Fraternité pour le Square Parmentier, Debout-Payé de Gauz du Square à la Conquête du Pain, le Manoir écarlate de Jean Failler de la boulangerie au Cinéma le Méliès. De la bibliothèque du cinéma, j’ai emprunté AOC Fictions 2018, mais laissé le Larousse des vins et des fromages.

#20 la scène est muette (mais vaut son prix)

Lui, il vendait des serviettes, des torchons colorés et d’autres petites choses encore. Sous les arches, en bas de la Casbah d’Alger. Elle, elle s’est arrêtée, a regardé, saisi et déplié un torchon. Elle lui a sans doute demandé le prix. Lui a eu un sourire en répondant, presque d’excuse, alors elle a replié le bout de tissus, délicatement, mais pas tout à fait dans les mêmes plis, l’a reposé. Elle est repartie. Il lui a encore dit quelque chose, mais elle a continué d’avancer. Un peu plus tard, elle est revenue, lui a acheté 4 serviettes.

#19 transactions

Mais c’est vraiment obligatoire de faire réaliser tous les travaux que l’architecte expert de la copropriété demande ? Il doit nécessairement valider le devis de réfection? On doit se soumettre à son avis, quelque soit le montant ? Même sur les parties privatives ? Mais qui dans ce vieil immeuble parisien a une salle d’eau avec une étanchéité sur la totalité du sol et des parois ? Et vous dites que c’est la loi d’avoir un architecte référent pour un Syndic?

#18 recopier c’est facile

Anne s’empare de quelques mots, les emmène avec elle dans un songe. Blanchisserie, réveil, lampe. Aubépine, journal, aiguille. Isabelle ne choisit aucun mot. Elle les prend tous, un par un. Elle écoute avec avidité, fascinée par celle qui parle de choses si noires d’une voix si claire, surprise par celle qui lui fait face, son double dans un miroir vieilli, une orpheline de soixante-dix-neuf ans.

J’aurais pu recopier tellement de pages de ce livre des belles éditions du Temps qu’il fait. Il ne reste jamais longtemps posé dans la bibliothèque, comme moi il circule ici et là… Je l’ai lu pour la première fois en automne 1993 d’une seule traite, trop vite, sur mon lit (je ne lis presque jamais sur un lit) dans ma chambre, sombre, où vivait une plante verte démesurée (je logeais alors le 15 eme). Ce livre m’a émerveillée, j’en avais besoin. Le lendemain je l’ai relu. Depuis je l’ai offert indéfiniment et relu aussi indéfiniment.

#17 petits embellissements bienvenus

Sur les places de la ville, l’hiver, je rêve de fontaines à chocolat chaud pour les lutins et de vin chaud pour les autres, de musique endiablée pour danser, de gros fauteuils colorés disposés autour d’un grand feu de bois, pour avoir les yeux brillants, profiter de l’odeur de sève, se réchauffer et se poser pour rencontrer des inconnus, je rêve de lampions multicolores la nuit qui virevoltent au vent presque léger : de moments de bonheur, même si ce sont des clichés.

#16 Il fait froid couvrons nous

Petit bonnet noir à revers, pantalon droit vert pomme, pull manches longues sans doute synthétique à rayures verticales col rond, écharpe laine fine et douce rouille, collants opaques bleu canard, jupe droite et courte léopard, pantalon écossais aux teintes automnales, chapeau cloche en feutre maronnasse, blazer pieds de poule rouge et bordeaux, boots brunes en cuir souple à soufflet, et blouse grise informe recouvrant tout le corps portée avec un foulard cachant la moindre mèche de cheveux.

#15 Cut up moi ça

– Arrête arrête ici on n’est pas en Amérique – C’est vraiment cette question qui l’a obsédée – Coriandre ! Menthe ! Persil !- Là je sors de chez le notaire – Faut combien de sardines par personne ? – Justement il se passe rien – Qu’est-ce qu’il y a là ? Une porte mais ils l’ont pas remise – Elle peut prendre ses petites vacances, faire ses petits machins et puis voilà – Tu te gares là ? – C’est une désillusion – Aujourd’hui c’est Thomas qui fait à manger – C’est surtout ça – Tu veux quoi ma Poulette ?

#14 | rien qu’une seconde

Marché des biffins. Pas trop de monde dans les allées. Devant moi un homme marche d’un pas hésitant. Keffieh sur la tête, radiocassette sur l’épaule, sac à dos pas trop rempli sur le dos. Et soudain tout s’accélère, un mec, me double et d’un geste vif, d’une main assurée, palpe le contenu du sac. Sans l’ouvrir, ni vraiment s’arrêter d’avancer. Trois instants maximum. Je réalise après-coup. Sac resté fermé. Rien de volé. Que voulait ce mec ?

Marché des Biffins. Dans une allée, une jeune room, foulard fleuri et jupe longue. Avec les corps de ses enfants collés au sien, elle forme une torsade. Sur l’ainé rêveur et le dernier immobile dans ses bras je passe, mais pas sur la fille d’environ 3 ans aux joues d’une rondeur et d’une peau qui appellent trop la caresse. Le regard vers l’intérieur, elle joue avec sa langue. Ce petit bout rose sort, rentre et lèche plus ou moins une sucette.

#13, arrêter le monde

J’ai suspendu mon geste, à 10H10. Au bout de ma main, une bouteille de vin prête à glisser dans le conteneur, quand surgit un homme assez géant, une cannette de bière à la main. Il me lance « T’es sûre qu’elle est vide ta bouteille ? ». Il me sourit à demi. J’évalue qu’il est ivre, enfin pas trop mais tout de même. Je me demande s’il ne va pas me proposer de partager sa désespérance, au bar d’à côté, devant quelques verres de rouge.

#12, la grisaille, les dessous,

C’est un lundi tête farcie, mais tant pis, je ferai avec, avec les mots qui s’enfouissent et fuient, pourtant parfois ils bataillent pour être le premier écrit, pour sortir du fouillis. Avec avidité, je les accueille, les palpe et les écoute pour leur entendre leur rythme. Laisser tout venir, le n’importe quoi, le trop violent, le trop pauvre et le reste. Surtout lâcher les vannes et me laisser porter, déporter, emporter. On triera après. Après.

#11, c’est dimanche

Si je ne me souviens pas vraiment de mon 1er « vrai livre » lu, je me rappelle des albums de « Caroline et ses amis », une fille coquine, coiffée de couettes, avec des chiens pour copains, puis du Club des cinq de la Bibliothèque verte avec ses personnages très raisonnablement aventureux. Quelles folles émotions ces lectures pouvaient-elles me procurer ? Aucune idée, si ce n’est que je les préférai aux contes qui eux m’ennuyaient.

#10, Pendant que

Pendant que tu dors j’entends ta respiration lourde et reste éveillée avec un chat alangui sur les genoux. Pendant que je me brosse les dents je pense à mon prochain voyage. Pendant que certains prient je m’agite, pendant que je cherche encore comment faire pour certains ont trouvé. Pendant que la radio annonce des horreurs je mange de la salade. Pendant que je regarde des photos d’inconnus je me demande ce qu’ils sont, ce qu’ils font, ce qui comptent pour eux.

#9, Ne pas s’attarder sur

Les piqures de moustiques et les piercings, la pluie transperçant les os et la mort de soif des arbres, l’agressivité des chauffards et les embouteillages, le silence des angoissés et les cris suraigus des enfants, la douleur du monde et les fatigues du matin, la médisance des voisins et la mauvaise foi, les signes de vieillissement du corps et l’omniprésence du virtuel, l’odeur du fromage et le parfum artificiel de vanille.

#8, Les noms c’est du propre

Marcel Samba Robespierre Sara Oriental Parmentier Colonel Fabien Tom Arndt Ernst Haas Pauline Klein Jaurès Philippe Auguste François Bon Krischna Bhavan Bogdan Konopka Alexandre Dumas

#7, chaque visage un trait

L’épicier indien sourire banane yeux ronds ventre rond bracelet sikh tête ronde sans cheveux tout ça m’évoque la tête à Toto / en attente de traverser la rue une chinoise sans âge plantée les jambes écartées en V à l’envers le buste en arrière telle un cow-boy juste avant de sortir son colt/ un acteur presque connu un grand maigre dégingandé bras et jambes qui voudraient s’échapper avec plein de rides en étoile autour des yeux et la lune dans le regard/

#6, personne d’autre que moi n’aurait remarqué que

Pendant qu’un jeune geai saute sur les branches du chêne du voisin, les mésanges ne picorent pas le chèvrefeuille. D’ailleurs, je n’en ai ni vu ni entendu depuis longtemps, et ce matin j’ai compris la raison d’un petit trou supplémentaire, tout rond, sur une feuille de pilea peperomioides, fraichement dépliée. Avec une fourchette j’ai gratté un peu la terre, et découvert trois minuscules vers blancs, tout agités. Les affaires du Monde sont si lourdes et les vers de terre si légers, si nécessaires.

#5, ciel du lundi

Un carré blanc sur pourtour blanc. Ce matin la découpe, l’ouverture du Velux sur le mur se détachent à peine. Ciel opaque, cotonneux, farineux. Du brouillard encore. Aucune lumière franche. Ça fait écran. Ça me renvoie à moi. Envie de me replonger dans les draps, eux aussi blancs. Ce trop de blancs manque de légèreté, de nuances, de nuages plume effilés dans un ciel bleu ciel. Y a-t-il vraiment un soleil derrière ce ciel ?

#4, phrase de réveil

Rien. Ne subsiste rien de ce tout petit moment entre rêve et éveil. Rien. Déjà les rêves se sont échappés, si vite. Par les yeux, les oreilles, les images partent en douce. Des courants d’air lents et violents les ont embarquées. Où ? Aucune idée. Accès top secret. Le matin arrive, brutal, et rien de ce qui est arrivé, de ce qui m’a agitée n’a survécu. Rien sauvegardé, aucun lambeau d’impression. Le précieux reste au fond. Rien à dire. Alors au suivant.

#3, il aurait fallu

Dans un TGV vers Paris. Un homme avance dans le couloir. Il vient de monter, et ne s’assoit pas loin de moi. La bonne cinquantaine, chaussures pour marcher, tenue décontractée mais soignée. Il ôte sa veste, dépose son sac à dos de ville sur le siège voisin. Quelques minutes plus tard il se plonge dans des mots croisés. Non ce n’est sans doute pas un universitaire, même s’il ressemble à un prof que j’ai eu à la fac, il y a longtemps. Cet homme-là que fait-il dans la vie ? Que fait-il de sa vie ?

#2, si loin, si loin

Très froide et humide la pièce de cette vieille maison où nous avons dormi. Une seule nuit. Je me souviens de l’âtre d’une immense cheminée, mais pas comment nous étions arrivés là. Les flammes éclairaient nos visages, un peu de nos corps et la couche posée à même le sol. Un tapis épais, presque confortable, recouvert de couvertures. Un lit de fortune, le plus près possible de la chaleur du feu. Aucune lumière dans le silence et l’obscurité de la nuit. Une bulle de vie dans un nulle part.

#1, l’imprévu

Dans le silence du matin, sur la chaussée, avancent trois ou quatre policiers accompagnés de deux infirmiers me semble-t-il, en tous les cas il y a aussi deux hommes en blanc portant des gants en plastique bleu myosotis. Au centre de ce petit groupe, un homme en tee-shirt malgré le brouillard. Un homme plutôt jeune, escorté de près, il descend la rue. De mon côté, derrière la fenêtre, seulement le temps d’entrevoir le geste de celui qui me semble être arrêté. Une main en l’air. Un au revoir ? Un signe de provocation ?

A propos de Pascale Sablonnières

photographe autrice et professeure dans une école d'arts plastiques, j'écris. j'écris, en lien ou pas avec des images, en lien ou pas avec des œuvres visuelles, ou avec ce qui se passe ou ne (se) passe pas. http://www.pascale-sablonnieres.fr/ https://montreuilsurpage.blogspot.com/ https://dungesteverslautre.blogspot.com/

43 commentaires à propos de “Carnet individuel – Pascale Sablonnières”

    • Bonjour et merci de cet écho.
      Selon où vous habitez je peux vous proposer un échange un maison…

  1. Le monde s’arrête aussi devant les conteneurs à bouteilles. C’est rassurant, au final. Merci pour cet écho du quotidien.

    • D’autant plus que je n’ai pas touché une goutte de ce que contenait cette bouteille de Pic Saint Loup. Bonne soirée.

  2. Moi aussi si ce n’est que je me suis tout de même demandé si je ne m’approchais pas d’un peu trop près de Nabokov qui regarde Lolita…

    • Merci à toi Piero, quant au basilic, au marché de la Croix de Chaveau, c’est chez les bio et eux, ils ne font pas de promo pour les bobos.

  3. Merci Brigitte ce petit mot, réconfortant … comme un feu de bois par temps pluvieux.

    • Les tissus semblaient beaux, maintenant savoir si elle a bien fait, c’est une autre histoire…

    • Merci. Des êtres discrets et modestes. Et s’il y a eu marchandage, ce fut sans insistance, je dirais presque avec courtoisie. Parce que ce doit être ainsi.

  4. les livres libres (je retiens) (libre circulation) – je m’adonne parfois à ce genre d’exercice – un malaimé peut devenir l’aimé de quelqu’un (et versa vice)

    • Merci de ce écho.
      Oui il y a des livres qu’on a tendance à descendre radicalement tandis que d’autres les adorent. Heureusement pour les livres, et leurs auteurs, n’est-ce pas ?

  5. 0 raton-laveur mais 1ou 2 rats parfois la nuit près du compost collectif au coin de la rue…

  6. me suis glissée dans ce carnet, sans bruit, tout doucement
    ai cueilli des images, ai rentré les oxalis dans le même mouvement en espérant qu’il ne soit pas trop tard dans la saison, ai trouvé de la douceur dans l’intime, ai contemplé aussi le brouillard (j’aime le brouillard entre les montagnes), ai compati avec l’épaule qui couine…
    plaisir intense partagé…

  7. Lecture de la #31. Surprise dans un premier temps de sa brièveté mais l’image parle pour le tout. Très fort. Merci

  8. (souvent venue lire ton blog et étais presque sûre d’avoir laissé quelques mots… sans doute que non puisque je ne les retrouve pas…)
    alors il était grand temps
    survivent de ma lecture tous ces éclats de verre témoignant d’une fracturation et les prénoms en lettres noires
    merci Pascale

    • Françoise, tu m’as effectivement laissé quelques jolis mots il y a peu.Mais je te remercie de m’en avoir donné de nouveaux et de ton attention.