#19/11 28/11 – Les jours de télétravail je sors peu, voire pas du tout, pas de livraison à domicile aujourd’hui, pas vu les éboueurs non plus, d’ailleurs c’est rare que je leur parle, juste une virée à la pharmacie, à cinq minutes à pied, croisé personne, pas même un voisin, juste échangé un peu avec la pharmacienne souriante et sympathique en toutes circonstances, acheté quelque chose bien sûr, pas juste allée pour son sourire même si un vrai sourire en face à face est une bulle d’oxygène dans une journée de télétravail. Plus tard, deux phrases avec le fils du voisin venu sonner pour demander si je n’avais pas le double des clés de chez lui car il n’avait pas les siennes. Le sourire ce sera pour une autre fois.
#18 27/11 – Dimanche matin, 8h30, un dimanche matin d’automne tout à fait banal : froid, gris, brumeux, pluvieux, maussade, juste envie de rester sous le plaid toute la journée, il y a plein de livres partout dans plusieurs pièces de la maison et ici dans la chambre, sur l’étagère juste à côté de la fenêtre, prendre ce volume Quarto, feuilleter les pages de papier fin, une texture un rien plus épaisse que le papier Bible, la peau des doigts garde mémoire de ce qu’elle effleure, s’attarder, avancer, revenir en arrière, quand à cet instant, le bateau-mouche est apparu. Il glissait vers la pointe de l’île, sa guirlande de projecteurs braquée sur les maisons des quais. Les murs de la pièce étaient brusquement recouverts de taches, de points lumineux et de treillages qui tournaient et venaient se perdre au plafond. Dans cette même chambre, il y a vingt ans, c’étaient les mêmes ombres fugitives et familières qui nous captivaient mon frère Rudy et moi, quand nous éteignions la lumière au passage de ce même bateau-mouche. (la suite ici : https://itinerairespluriels.com/)
#17 26/11 – Une ville qui soudainement se mettrait à ressembler à une carte postale, ciel toujours bleu, à peine quelques cumulus, toujours on lui nettoierait ses façades et les vitres des grands immeubles pour qu’elle nous donne l’impression de se décupler et de nous décupler lorsqu’on se regarde dedans, jamais un papier par terre, jamais des sacs poubelles partout les jours de collecte, jamais de décharges clandestines, des gens radieux et souriants toujours et par tous les temps, une ville sans tache, sans heurts, toujours contente. Mais qui a envie de vivre dans une ville de carte postale ?
#16 25/11 – Long tablier blanc de pharmacien ou médecin ou laborantin ou kinésithérapeute, écharpe feutrine bandes horizontales blanc cassé et grises, legging noir, doudou noire, gilet noir qui dépasse, parka bleu roi à capuche cerclé de fourrure synthétique, jean gris éléphant, anorak bleu marine, veste en cuir noir, sweat shirt noir à capuche, veste matelassée sans manche à capuche, jean vert d’eau, jean gris foncé, anorak à petits carreaux bleus et blanc avant on appelait ça vichy, pantalon de travail à poche appliquées sur les cuisses, longue veste en feutrine rouge, longue doudoune à capuche gris foncé, casquette blanche, kway blanc avec inscriptions en bleu dans le dos, veste en polaire sans manches.
#15 24/11 – Day off, off du boulot et de l’agitation, pas de bribes de conversations, hier pas eu le temps d’écrire dans le temps imparti ni même dans un retard acceptable, aujourd’hui que du silence puisque restée dans le cocon, juste parlé à mon fils, ou à ma fille au téléphone, échangé deux phrases avec le livreur de pizzas. Des jours comme ça.
#14 23/11 – Une feuille se détache de l’arbre, elle tombe en zigzaguant, crépitement de la pluie, seul son qui se fait entendre durant cette seconde-là, nuages sombres en mouvement, branches d’arbres secouées par les rafales de vent. Je sais qu’elle a touché le sol même si je ne la vois pas.
#13 22/11 – Longue veste, pantalon noir, sac à dos, il traverse la rue de ses grandes jambes lestes et minces qui avalent l’asphalte prestement tout en regardant son téléphone comme absent à l’agitation qui l’entoure dans ce quartier de bureaux affairé comme chaque matin, immeubles en travaux voitures, camionnettes, vélos, trotinnettes et autres piétons qui dévalent les trottoirs, il ne voit rien, il est absorbé par son écran, en route vers cette journée qui l’attend et on se demande d’où il vient et vers quoi il va.
#12 21/11 – Beaucoup de brassages, de pensées tous azimuts, de rêvasseries, de regards dans le vague, la pâte grise se forme déjà en amont de l’écran, beaucoup de recherches, de lectures, de promenades, de photos, beaucoup d’attentes et d’atermoiements, pour parvenir à cette première couche dont on croit qu’elle peut tenir la route.
#11 20/11 – Du premier souvenir de lecture, de lecture qui compte,/Le Petit Chose/ d’Alphonse Daudet, puis /La Gloire de mon Père/ de Marcel Pagnol, ensuite Lovecraft bien sûr, puis après des tours et détours il y a eu /L’Acacia/ de Claude Simon, ce sont tous ceux-là qui viennent à la surface quand il s’agit de lecture et le lien à l’écriture était là dans les limbes, inconscient mais omniprésent, tous ceux-là qui, telles des graines semées aux quatre vents ont fini par éclore au terme d’une longue germination.
#10 19/11 – Pendant que je débarrasse les reliefs du petit déjeuner, que je fais couler de l’eau chaude dans le bol et sur les couverts, que je regarde par la baie vitrée qui me fait face le temps maussade de cette matinée d’automne, les mots se mettent à tourbillonner dans ma tête, tentent de s’associer en quelques idées cohérentes, s’agencent éclectiquement pour former ce flux de pensées anarchiques qui m’assaillent au long de la journée et je me dis que j’aimerais prendre congé de la pensée pour quelque temps.
#09 18/11 – Ne pas s’attarder sur le message qu’on te fait passer de manière indirecte, ne pas s’attarder sur la pizza qu’on t’a livrée alors que tu as commandé un spaghetti bolo, ne pas s’attarder sur ta connexion internet de piètre qualité, ne pas s’attarder sur un bug dans le système qui te fait prendre du retard, ne pas s’attarder tout court sur le système.
#08 17/11 – Catherine Raven Jacqueline Kelen Marie Madeleine Hálsteinn Charlemagne Lucie Malbos Joseph II Günther Grass Yann Queffélec Jane Fonda Edouard Levé George Sand George Simenon Arnaud Riou Björk Alejandro Jodorowsky H.P. Lovecraft Helen Mirren Emily Brontë Ursula von der Leyen
#07 16/11 – Une tête tout en bouclettes châtain foncé très serrées, des lunettes il me semble, un visage encore un peu ancré dans le sommeil, mais les bouclettes surtout | les traits de la fatigue peut être des années à faire le même métier pas facile tous les jours mal payé toujours éreinté peut-être de toujours servir les clients chacun avec leur caprices écouter leurs plaintes ne plus les écouter jusqu’à tard dans la nuit | les cheveux courts coupés à la tondeuse des créoles épaisses au moins 5 cm de diamètre des yeux perçant félins bleus profond son regard croise le mien juste une fraction de seconde en plus
#06 15/11 – Dans cette réunion personne d’autre que moi n’aura remarqué que la ville est là, omniprésente, par la fenêtre elle nous regarde, nous happe, nous englobe, nous faisons partie d’elle comme elle fait partie de nous, on n’échappe pas à la trame du tissu urbain qui s’insinue en nous jusque dans nos cellules, même ceux qui la fuient.
#05 14-11 – Bleu cobalt dans cet entre-deux nuit – jour, on ne sait s’il est couvert ou dégagé, pareil pour mes pensées ou plutôt la tête qui les génère, lui il s’est dégagé, l’azur a pris le relais pour quelques heures avant de se laisser imperceptiblement envahir par une couche blanc sale, un ciel qu’on ne pourrait dire chagrin, un ciel nébuleux sans doute, livide, brouillé, mais certainement pas un grand ciel qui nous fera rêver d’éternité comme a dit Baudelaire, encore moins un ciel où laisser s’évaporer nos soucis.
#04 13/11 – Déjà sept heures. Ouf, je ne dois plus essayer de me rendormir…
#03 12/11 – Lever la tête, juste le temps d’apercevoir un rideau qui se ferme sur la pénombre, personne, pas même une silhouette, qui se dissimule derrière les deux pans du voile dans cet immeuble à appartements supervisés, une personne âgée sans doute pour qui la seule distraction désormais, les seuls instants de vie en mouvement sont ceux volés à l’extérieur depuis l’obscurité de l’appartement silencieux où personne ne vient jamais à l’exception des aides soignants et ménagers qui n’ont pas le temps de s’attarder. Une fraction de seconde et le rideau retombe sur une ombre.
#02 11/11 – Un parfum. Cette femme aperçue sur le quai de métro qui le portait. Comme moi probablement elle partait travailler. Un parfum sucré, épicé, inhabituel. L’observer du coin de l’œil, peut-être la suivre, en tout cas l’imaginer, imaginer sa vie, se demander, si longtemps après si elle prend toujours le métro, si elle porte toujours ce parfum. Tenter de se remémorer les traits de son visage, impression fugace comme le rêve qui échappe, qu’on voudrait saisir mais on n’y arrive pas. Je l’avais nommée Tamara.
#01 10/11 – Depuis cette reprise finalement attendue, me dire comment j’ai pu aller sur place tous les jours « avant », tous les jours cette agitation des préparatifs matinaux, tous les jours ces trajets vers le centre-ville, cette agitation de la « société en mouvement ». Dehors, tu as envie d’en être, dedans tu voudrais la fuir. Paradoxe.
Plonger la main au fond du sac et sentir le petit chat en plastique dur, cadeau que mon fils m’avait fait quand il était petit, il m’avait dit tiens, c’est pour toi et depuis ce jour ce petit chat m’accompagne, au pied de mon écran au bureau et désormais dans mon sac, lui ne s’en souvient pas.
tant pis s’il n’est pas là… voulais saluer la justesse de votre pendant que
Merci beaucoup, Brigitte 🙂
pas moi (heureusement parce que celle qui est maintenant la mienne pourrait être de carte postale mais est irrémédiablement, et cela depuis Pétrarque et sans doute avant, sale)
Le télétravail nous priverait il de sourires et de conversations? Heureusement cela produit de jolis textes.
À propos du #19.Il y a de jours comme ça. Sans sourire. C’est bien dommage n’est ce pas…alors parfois il y a des petits mots, comme ça n’est pas.