#1 Sur le mur rouge, derrière le comptoir et les serveurs qui s’activent sur les tireuses, une marelle dessinée sur toute la surface. Terre. Ciel. Et six cases pour y arriver. Attendre le ciel en quelques enjambées. Je termine ma bière et j’essaie de retrouver en mémoire cette sensation de l’enfance, le saut et la brûlure de l’air froid de l’hiver. Combien de cases pour s’extraire du noir froid de la nuit?
#2 Dans l’entrée de l’appartement, le dimanche soir, elle, qui enlève ses chaussures. Elle a de longs cheveux noirs, je crois, et elle pleure sans bruit. Elle essuie les larmes sur ses joues et retient les sanglots. Elle, dont le visage et la silhouette, se confondent avec la photographie de la femme sur le carton du sèche-cheveux, celui rangé soigneusement dans le meuble orange, dans la salle de bain de l’enfance.
#3 Au moment où je remontais à vélo la rue de la mésange, le brouillard en nappes épaisses tombait sur la ville, absorbait tout, même la cathédrale. Un monde se laissait engloutir de l’autre côté de la ligne de tram, devenait images d’archives, photographie vieillie. Il aurait fallu traverser et se laisser envahir par la brume. Disparaître et renaître ailleurs?
#4 La tête lourde de sommeil qui arrache au monde ses couleurs de printemps. La récompense immédiate qui s’allume, comme un bonbon interdit et qui emporte les heures sur son passage.
#5 Je suis la peau du ciel qui se penche à tes oreilles. Je suis la voûte tapissée dans ta tête qui se remplit d’orages, de gerçures et de mines. Je suis cette fenêtre là-bas qui se laisse caresser le dos. Je suis cette ombre la nuit qui grimpe sur les toits, qui s’agrippe aux antennes comme à des arbres, à des branches à travers lesquelles regarder les étoiles.
#6 Personne d’autre que moi n’aurait remarqué que la chienne nous regardait. Si je n’avais rien dit. La chienne nous regarde. C’est ce que j’ai murmuré. La chienne. La louve. Sur le mur derrière les rails. La louve. On la voit encore même si elle s’éloigne déjà. Emportée par le ressac du train. Image furtive qui disparaît derrière les arrières-cours aux teintes grises. La louve. La chienne. Garde fièrement l’entrée du hangar. Comme autant de passages secrets, de sanctuaires, de grottes à explorer.
#7 Ne pas s’attarder sur le groupe tout juste installé dans ke train, ne pas s’attarder sur leurs rires trop forts, ne pas s’attarder sur la façon dont ils te tirent du sommeil, ne pas s’attarder sur leurs conversations, ne pas s’attarder sur les mots colloque Medef Macron doit venir, ne pas s’attarder sur leur façon de conquérir l’ensemble de l’espace de la voiture, ne pas s’attarder sur leurs tons de donneurs de leçons, ne pas s’attarder sur leurs sonneries criardes de téléphones et leurs voix, bonjour Mikael!
Wahou ! Chouette de retrouver ici. Je te lis et me souviens qu’il y a longtemps, tu me parlais de Christian Bobin. Tes notes font un très bel enchaînement, émouvant, peut-être la sensation d’assister à la naissance d’une continuité. C’est fragile et beau.
Merci! Oui j’avais envie de tenter le marathon des 40 jours, et le carnet. Souvent du mal à m’y tenir sinon, donc parfait comme relance. C’est vrai que j’ai lu beaucoup Bobin autour de la vingtaine, peut-être encore des échos lointains… Moi j’aime beaucoup ton journal Insta, indiqué par François, mais pas encore lu tes fragments de carnets…
Merci ! Citée dans la dernière contribution, forcément l’entrée dans l’écriture me renvoie directement à toi ! 🙂
Oui super beau ! Tout en poésie, en douceur.
Merci.
Merci Marie pour ces retours!