Un gars, assis en face de moi, même galère, même salle d’attente, cela seul nous relie et notre age, sensiblement le même, à vue de nez. Sur ses doigts des bagues argentées, têtes de mort. Sur ses mains des tatouages, sur son visage, une expression grave et pensive et une forme de douceur paradoxale qui me propulsent dans un passé aux contours flou, une perception de quelque chose lié à de la fatalité, à un choix radical, comme un bannissement. J’ai connu des gens portant cette sorte de tatouage et ce genre de regard, il y a très longtemps, dans mon adolescence. Je retrouve l’impression puissante que me firent alors ces dessins sur la peau et que ne produisent jamais en moi les tatouages actuels. Les tatouages que l’on fait aujourd’hui sont profondément en phase avec la société, ils en sont même devenu un chic.Ceux là, au contraire surgissent d’un monde radicalement en marge, ils ouvrent la porte sur un éternel exil. C’est, sur une main une croix avec un Christ, sur l’autre,le visage de la muerte mexicaine; sur chaque doigt quelques lettres formant des mots que je ne parviens pas à lire. Je regarde ces mains, ses mains et je cherche, dans les contours flous de ce qu’elles font surgir à ma mémoire ce qui, en moi, mystérieusement, leur fait écho.