Carnet individuel ⎮ Thérèse De Paulis


[carnet] #38 stratégies du rêve

Je cours dans la nuit. J’arrive au carrefour de la rue de la Centrale et de la rue de Verdun. Essoufflée, dans le froid. Tout est noir, il fait nuit noire, pas d’éclairage. Je cours pour m’échapper. Une fuite à découvert, en plein milieu de la chaussée. Je cours, dans un corps d’adulte, pris pour cible. Personne, la ville est vide. Je n’entends que mon souffle. Je cours, le carrefour s’éloigne, se rapproche, s’éloigne encore. C’est la guerre. Je cours dans la nuit. Le noir, le bruit de mes pas sur l’asphalte, le froid. Une fuite à découvert, sans longer les murs des vieilles fermes, des maisons grises, des grilles fermées, au milieu de la chaussée, mes pas résonnent, mon souffle envahit le silence âcre de cette immensité vide, la peur, les frissons, le bruit des pas. Il faut courir, avancer, et pourtant je suis toujours au même endroit, sans couverture possible dans les jardins potagers, en sautant les grilles, pour me fondre dans l’encadrement des portes des caves à l’arrière des bâtis. La ville s’appelait Floringen.
TdeP

[carnet] #37 du par coeur

Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie,
Et s’est vêtu de borderie,
De soleil luisant, clair et beau.
Il fait froid, le ciel est blanc, derrière la vitre le terrain vague scintille, la route serpente verglacée, le muret à l’angle est vide. Les maisons immobiles sont encore dans l’obscurité du mercredi matin. Le haut fourneau fabrique des nuées blanches, épaisses, cotonneuses, lourdes à monter dans le ciel vague. Il ne s’arrête jamais. Sur le rebord de la fenêtre, en faux granit jaune, marron, orange, quatre plantes vertes, un pot en céramique beige pour les stylos, tous les stylos de la maison, des rideaux de voile blanc comme une traîne de mariée. Sur le rebord, mon pupitre en bois de récupération, fabriqué par mon père pour placer mes partitions, jamais terminé car il manque les pieds; pour le faire tenir debout, il faut l’adosser à la fenêtre, sur le rebord et la vitre glacée. Il est si tôt dans le silence, ni voiture qui passe, ni pas dans l’escalier, ni voix. Mon cahier de récitation ouvert, le dessin déjà fait, un soleil, et quelques gouttes de pluie, bien rondes, coloriés en bleu azur, détourées au stylo, un arbre déjà vert, planté jusqu’aux racines un peu trop épaisses, un chêne peut être, âgé, regardant le champ de fleurs riant de paquerettes. J’apprends ma récitation. J’imagine sa main traçant les lettres, où, comment, dans la solitude peut-être, dans le souvenir de l’enfance ou de la dernière mémoire de la vieillesse, dans l’ombre de l’aube éclairé par le reflet des siècles derrière la vitre.
TdeP

[carnet] #36 du lire écrire et quoi faire de mieux

Le réveil sonne, j’attrape mon téléphone. Sur insta, je lis les posts, les commentaires, je fais défiler les images. Je n’allume pas la lumière, je reste au chaud, je vais sur youtube, j’écoute ma playlist de musique italienne, Romacapoccia, Antonello Venditti, Eros Ramazotti, Mina, Celentano, … Je lis les notifications linkedin, je ne les commente pas. Je lis des interviews de Cristiano Ronaldo, me fascine en ce moment par son parcours. Je m’enfonce dans les couvertures, je referme les yeux. Je lis les journaux. J’ouvre Les Fleurs du Mal au hasard. Je lis un texte en grec ancien en bilingue au hasard. Il faut bien se lever, je mets youtube à fond sur mon téléphone pour me donner le rythme. Je lis mon agenda comme si je découvrais mon premier jour. Je lis mes messages sur le trajet. J’allume l’ordi en arrivant; directement sur pronote, je relis le programme que j’ai inscrit le dimanche pour toute la semaine, heure par heure, jour par jour. J’écris des noms propres au tableau, des mots inconnus, des dates, des listes. J’écris sur word les corrigés des questions sur les textes. En ce moment, Victor Hugo, Demain, dès l’aube. Champs lexical, comparaison, répétition, strophe, vers, quatrain, alexandrin. Je projette tout pour que mes élèves recopient. C’est à ce moment-là que j’ai le silence parce qu’écrire fait rentrer en soi, même l’écriture de l’autre, neutre, scolaire. Je regarde les mots se former sur les feuilles à carreaux. Récréation. Je lis mes messages, je réponds par sms, texto, photo, emoticon. Je reprends la lecture : extraits d’auteurs du XIXème, Apollinaire, Rimbaud, Verlaine. Je lis des images, tableaux, dessins, photographies, caricatures. J’écris au tableau. C’est un tableau blanc sur lequel j’écris au feutre. Je préférais la craie qui glissait pour former des lettres rondes, pleines et sonores. Pause déjeuner, je lis mes mails, je réponds vite sans réfléchir, neutre aussi, télégraphique. Je corrige des copies, contrôles, interro, je lis trente fois le même texte, la même réponse, j’entoure et/est, on/ont, ces/ses, etc. J’écris au tableau et j’efface. Avant, les portables sortent pour le prendre en photo. La photo est la mémoire de cet écrit, car les feuilles à carreaux sont jetées dans les sacs, perdues, déchirées, jetées. J’écris les notes sur le logiciel scolaire qui calcule les moyennes automatiquement. J’écris les absents : je coche des cases. Quand la nuit tombe, quand le brouhaha s’efface, la solitude est douce, un café, un verre d’eau, une respiration. Je range les paquets de feuilles dans un trieur. Je prends des notes dans l’agenda. J’écris mes rêves dans un cahier. Des rêves ordonnés, fluides, des listes désirées, de voyages, de prénoms, de musique, d’impatience. J’ouvre une page blanche sur word, j’écris mon texte. Je lis des mails, encore, des formulaires, des newslettres. Je réponds, je note les rendez-vous. Tout est fragment.
TdeP
Paris, XIème

[carnet] #35 | la panne, l’embrouille

là j’ai vraiment pas le temps parce que je dois téléphoner à  tu sais qui nous propose un projet avec  mais si celui qu’on a rencontré tu sais en septembre, tu sais là où on était tous invités, celui à qui j’ai promis de le rappeler ce matin et qui doit attendre mon appel alors non je peux pas te voir là il y a oui lui il m’attend oui celui qui on est d’accord alors là vraiment pas le temps 

TdeP

[carnet] #34 | ah ça serait une histoire pour…

L’éventail 40 ans qu’il traîne sur le buffet en bois et tissu; le tissu est peint avec l’image du Colysée, les teintes sont pâles, acheté en sortant du train un été de canicule à Rome en août à un marchand ambulant environ 200 lires très tôt le matin juste avant de prendre le bus pour l’Aquila

TdeP

[carnet] #33 | faire le vide

Juste en respirant, en aspirant l’air lentement, voluptueusement, en fermant les yeux, en gonflant le ventre, en retenant l’air, une, deux, trois, quatre, cinq, secondes, sentir les muscles du dos se détendre, et souffler l’air encore lentement, encore plus lentement, souffler, ouvrir la bouche, allonger la mâchoire, se frotter les joues, dérider les traits, aspirer, l’air s’échauffe, le diaphragme danse, d’avant en arrière, le sourire s’esquisse, parce que la pensée vide

TdeP

[carnet] #32 | les morts sont parmi nous

Deux plaques côte à côte façade en marbre support pour la lumière d’une bougie qui s’éclaire avec une pile fleurs artificielles placées dans l’anneau doré une photo ovale encadrée par une bordure en métal argent photo noir et blanc le regard doux et vis deux plaques symétriques en bas dans la dernière rangée du mur le marbre est gris les fleurs multicolores et vives en tissu

TdeP

[carnet] #31| de l’état du monde

Ils dorment dans les rues par un froid glacial je les croise tous les soirs en rentrant chez moi et j’ai même honte d’avoir un chez moi au chaud ils sont là sur des matelas ils vont vraiment dormir la dehors et on va nous sortir un plan grand froid l’hébergement d’urgence mais après ? Ils seront toujours là et il ne se passe rien, bien sûr, les mairies, les associations, les bénévoles y sont chaque jour au charbon pour sauver ce qui nous reste d’humanité, et à côté, tous ces millions étalés, ces boutiques de luxe, on en peut plus de cette misère acceptée

TdeP

[carnet] #30 | fait divers, tout petit fait divers

A accueilli une femme qu’il prenait pour sa mère, a allumé un feu sur la moquette pour éliminer les poussières, a jetté l’aspirateur sur la verrière du voisin, les flammes se sont embrasées, une fumée noire, une odeur de bois brûlé, l’immeuble évacué, deux heures, le temps de l’intervention des pompiers qui ont frappé à toutes les portes, le lendemain les meubles brûlés étaient sur le trottoir dans un espace délimité par des barrières, et les passants y jettaient leurs détritus

TdeP

[carnet] #29 | on n’aurait pas dû, voilà

répondre au téléphone et prendre encore cet appel qui va lui demander de lui taper une lettre parce que lui pas d’ordi et de lui envoyer alors qu’elle n’a même pas le temps d’écrire ses textes à elle oui vous pouvez laisser les sacs dans la salle oui vous pouvez rester au chaud à la récréation et elle est privée de son café car elle doit rester là les surveiller oui elle prête un stylo à ceux qui sont venus sans affaires oui elle accepte d’accompagner une sortie le vendredi le jour où elle n’a pas cours et qui doit être consacré aux corrections et préparation et là le carnet attend

TdeP

[carnet] #28 | ruminé, rabâché, ressassé

appeler le dentist, aller au pressing, retrouver les torches payer les charges vendre le four mettre à jour mon CV  rappeler le Carreau du Temple raccommoder le bouton de la veste envoyer du muguet à Madame Bellin le 1er mai monter le film Amour et Psyché faire les comptes renouveler la carte d’identité perdue lire l’agenda acheter un aspirateur accrocher la couverture de survie retourner au cours de danse planifier les cours de la semaine appeler le dentiste aller au p

TdeP

[carnet] #27 | pas moi, mais mon double

Elle boit un café chaud dans une tasse en porcelaine blanche. Un café court pour que l’arôme soit concentré. Un café quotidien tous les jours à la pause, à la même heure, dans la même tasse de porcelaine blanche. Le geste est précis : insérer la capsule, vérifier le réservoir d’eau, cliquer sur le bouton café court. Le bruit ressemble à celui des anciens percolateurs qui devait moudre le café encore en grains. L’arôme se répand, et l’emmène. Dans les rues de Rome, dans celles de l’Aquila, à Venise. Dans ces mondes parallèles où la beauté rend libre. 

TdeP

[carnet] #26 | choses nettes, choses floues

Le bruit de la porte close, refermée à la pointe du jour, le tapis rouge de l’escalier étouffant les pas, la rampe de bois vernis brillante et lisse, sauter les marches hautes, une autre porte lourde, avec sa grille de fer, trois marches jusqu’à la cour, pavée, luisante sous la pluie, les arbustes et les fleurs encore endormis, sans parfum, le porche sombre, la rue mouillée, le trottoir encore solitaire, le souffle du vent sur la joue. 

TdeP

[carnet] #25 | fragment du corps 

les boucles qui chatouillent la nuque  — sur la peau fine  —  jusqu’à l’épaule engourdie  — réchauffée par le châle bleu  — le froid qui pique les yeux  — clignement des paupières  —  ralentir le diaphragme  — respirer avec le ventre  —  apaisement des sens  —  le dos se détend  — un sourire  — un frisson de froid 

TdeP

[carnet] #24 | salle d’attente

journée terminée, froid, buée sur la vitre, pas un bruit, épaules douloureuses, envie de rentrer se mettre à l’abri, compter les chaises vides, réajuster les tables, porte fermée, nuit, attente de l’heure de la réunion quand encore personne n’est arrivé

TdeP

carnet] #23 | exercice avec dénombrement

173 stylos, 173 stylos dont 3 quatre couleurs, 173 stylos dont 90 stylos noirs, dont 2 sans capuchons, dont 18 mordus, dont 45 bic orange, dont 30 bic cristal, dont 6 effaçables, dont 3 complètement vidés de leur encre, 173 stylos dont 18 stylos publicitaires, 173 stylos dont 23 stylos rouges, 173 stylos dont 13 stylos bleus, plus quelques crayons à papiers. 

TdeP

[carnet] #22 | on remet ça, mais avec un livre (à perdre)

Elle a un exemplaire d’Alcools dans sa table de chevet, dans sa bibliothèque, dans son sac, dans le tiroir de son bureau. Elle le lit dans le métro, dans les fils d’attente, parfois sur un banc. Juin ton soleil ardente lyre. Elle découvre la version de ferré. A chaque fois qu’elle arrive à la dernière page, elle dépose l’exemplaire à l’endroit où il se trouve. Les dimanches s’y éternisent. A l’arrêt du bus, sur le banc des Tuileries, sur un banc au square du Temple, Triste et mélodieux délire, dans un café, sur la pelouse de la place des Vosges, là où elle s’allonge pour recevoir une dernière fois les rayons du soleil en fermant les yeux avant l’arrivée de l’automne.  

TdeP

[carnet] #21 | faire bouger les choses

Les cartons entassés depuis cinq ans, des journaux, des bocaux de conserves vides, des pots de peintures alignés, une chaise posée dans le coin, des pinceaux, tout sortir, jour par jour pendant une semaine, d’abord dans le couloir des caves, pour bien aligner, voir, penser ce débarras, et chaque soir les sortir dans la rue, voir s’amonceler cinq ans d’attente, de poussière, de projets oubliés, récupérés peut-être par les passants, retirés tôt demain matin, et le trottoir  

TdeP

[carnet] #20 | la scène est muette (mais vaut son prix)

Chaque fois qu’il traverse la cour, il regarde dans sa direction, on ne sait jamais, si elle était là, il pourrait la saluer d’un geste de la main, ou même lui dire un mot, et parfois, s’avancer vers elle, lui sourire, entamer une discussion essentielle sur le sens de cette journée, et si jamais elle était trop pressée, se contenter de ce geste de la main, pour se dire “On est là.”

TdeP 

[carnet] #19 | transaction

Vous voulez vous asseoir ? Non, merci, je descends au prochain arrêt.

Tu veux un café ? Oui, merci, ça fait du bien, j’ai froid aujourd’hui et j’ai mal dormi. 

Un signe de la main à l’ouvrier du lycée qui traverse la cour. 

On peut laisser nos sacs dans la salle pendant la récré ? Non, je ne ferme pas la porte, mais vous pouvez rester au chaud. 

Allo ? Comment ça va aujourd’hui ? C’est comme tous les jours. 

Ça va madame ? il fait froid, rentrez bien chez vous, et restez bien au chaud. 

TdeP

[carnet] #18 | recopier c’est facile

Les princes italiens croyaient, avant d’éprouver les coups des guerres ultramontaines, qu’il suffit à un prince à savoir méditer dans son bureau une réponse subtile, écrire une belle lettre, émailler ses propos de traits d’esprit, être habile dans l’art de mentir, se parer de pierres précieuses et d’or, dormir et manger avec plus de magnificences que les autres, s’entourer de voluptés, se comporter envers les sujets en maître exigeant et superbe, croupir dans l’oisiveté; ils ne s’apercevaient pas, ces médiocres, qu’ils se préparaient à être la proie du premier assaillant venu. 

Un  carnet Clairefontaine datant de 1981 de 17 cm sur 11 cm, à carreaux rouges, plastifié, à petits carreaux, 192 pages, papier velouté 90g. C’est le premier extrait que j’ai recopié à 15 ans, au stylo à encre, en noir, entre guillemets. Sur la couverture, depuis, une tâche de café, parce que je posais ma tasse dessus. 

TdeP

[carnet] #17 | petits embellissement bienvenus

refleurir la place, retirer les échafaudages, mais quand ? Les maisons à reconstruire, les portes à réouvrir, la vie à retrouver, faire revenir un orchestre le 15 août, danser autour de la buvette, reconstruire les murets, profiter de l’hiver pour reconstruire le seul lieu de rencontre avec la place de l’église, parce que l’été, les enfants y jouent, retirer les tas de sable, réinstaller le marchand de glaces, et se retrouver là, treize ans après le tremblement de terre qui a fendu les maisons, vidé le village, et tout rendu au silence

[carnet] #16 | Il fait froid, couvrons-nous

pull raglan à torsades irlandaises bleu glacier, col cheminée, pantalon velours bordeaux à fines côtes, dos poches derrière, une devant, modèle fuselé, bottes noires plates à la cheville avec fermeture éclair, rembourées, écharpe noire en tricot côte un un, franges, bonnet noir au point mousse, manteau de laine chiné gris blanc, longueur genoux, boutons dorés en métal gravé

TdeP

[carnet] #15 | cut up moi ça

Qu’est-ce que j’ai froid. Des maux de tête aujourd’hui. Oui, hier soir, je me suis couché tôt. J’ai apporté une soupe au potimarron. N’oubliez pas de refermer la porte à clé. C’est l’heure, il faut rentrer. Le métro est bloqué. Prends le bus. J’ai rallumé la machine à café. Les rues étaient calmes ce matin. Enlève tes écouteurs. Bonjour, ça va Madame, vous allez bien ? Je peux entrer ? Ferme la porte, on a froid. 

TdeP

[carnet] #14 | rien qu’une seconde

Refermé la porte avec précaution, rue déserte écrasée par la chaleur, la ville est vide, longe le trottoir, tourne à droite puis à droite, sur le bitume brûlant, les herbes immobiles, les portails défilent, fermés, silencieux, le mur du cimetière, les tombes fleuries, anciennes, du siècle dernier, le carrefour, une voiture vitre ouverte, les anciens bâtis des fermes, la route de l’église, le clocher apparaît, la place, la route départementale. 


[carnet] #13 | arrêter le monde

La rue des Marronniers. Les feuilles mortes rouges, jaunes, marron. Les coques tombées à terre. Le bitume mouillé. La sortie du soleil tout à coup. La lumière chaude. Ciel apaisé. Samedi après-midi je dévale la rue à vélo.
TdeP

[carnet] #12 | la grisaille, les dessous

Laisser couler le sens et s’enfuir dans les résonances, sans épaisseur, sans intention forcée, laisser les doigts glisser sur le clavier, clic, clic, clic, trouver le vide, goutte après goutte laisser la pluie tremper les mots, écouter ces petits bruits qui nous enveloppe dans le calme d’une pièce vide, et retrouver un rêve. 

TdeP

[carnet] #11 | c’est dimanche

Robin des Bois, suivi de Ivanhoé, dans le même album grand format, superbes illustrations dessinées en couleur, texte en gros caractères, à l’origine de l’envie de vouloir aider tout le monde et de me prendre pour un chevalier loyal et courageux, envers et contre tout. Premier livre en italien : L’uomo di neve e altri racconti envoyé pour Noël par ma tante Elisa. Le plus poétique : L’uccello turchino, quel mot magique pour désigner la couleur bleue !
TdeP

[carnet] #10 | pendant que

pendant que je bois mon café, je revis tous les matins d’enfance

pendant que je marche dans la rue, je revois la plage de Chania

pendant que j’allume l’ordi dans ma salle de classe, je goûte le silence du moment avant

pendant que je lis Demain, dès l’aube devant les élèves endormis, je m’imagine la campagne et le port de Honfleur

pendant que je tourne les pages du livres, je me nourris des noms effleurés

pendant que je bois mon verre d’eau, je respire en fermant les yeux

pendant que je pense à la maison de ma mère, je traverse le temps et je m’y trouve jusque dans mes doigts

pendant que la sonnerie retentit, je rêve d’un monde libre

pendant que je touche le bois du bureau, j’imagine le geste d’un menuisier levé à l’aube pour vernir les planches

pendant que les heures passent, je m’imagine arpenter les rues 

TdeP

[carnet] #09 | ne pas s’attarder sur

un matelas par terre, trois enfants dans le froid de la rue, vieille dame qui ouvre les poubelles, regard perdu qui se hâte sans savoir, tristesse d’une collègue épuisée, insultes quotidiennes dans le préau, consignes absurdes, agacement à la boulangerie de ceux qui pressés n’en peuvent plus d’attendre, les blagues idiotes à la pause café quand tu ne rêves que de humer ta tasse en pensant à Rome. 

[carnet] #08 | les noms c’est du propre

Bernard du nom de ma rue quand je sors Véronique Liliane Annie Victor Hugo Lynda Calvin Workhyia Mariame Keylian Ousmane Shainez Amadou Sofia Fatoumata Setou Yassine Josiane heure par heure ce matin beaucoup d’absents Nathalie Isabelle Christine Fatima Jean-Louis Marylène Chabane au café à la récréation Ray Bradbury François Rabelais Condorcet George Sand Maylis de Kerangal Roger Caillois Vladimir Nabokov en cours avec les Terminales Aijaz Noah Elie Aboubakar Cérine Mariam Fatou Bintou Nakim Oumou Antonello Laure Raquel Adja Amélie

[carnet] #07 | chaque visage un trait

| bonnet rayé rouge et blanc, doudoune noire, cartable rouge sur le dos, figurines Disney, écharpe en laine, démarche dansante dans l’air glacial du matin | regard ailleurs, pas pressé, bottes à talon, pourtant ça glisse, poings serrés, casquette noire, cheveux aux épaules | le sourire du chauffeur du bus 76, à peine, derrière la vitre, un visage esquissé |TdeP|

[carnet] #06 | personne d’autre que moi n’aurait remarqué que

Vingt après, j’ai trouvé la clé sous le paillasson. Personne d’autre que moi n’aurait remarqué que rien n’avait changé. La même odeur de bois et de poussière. Le même silence au fond de la cour. Les mêmes persiennes fermées. La même théière, la même table ronde, le même couloir bordé de bibliothèques en pin. Les mêmes livres, un peu jaunis, un peu penchés, toujours à la même place, les mêmes affiches sur les murs, la même chambre dans la pénombre, le même matelas par terre. J’étais là, debout, dans cet appartement identique à celui de nos soirées d’étudiantes, à nos rires, à nos angoisses les veilles de partiels. Je me suis assise et je l’attendais, car durant vingt ans, elle avait vécu dans ce lieu sans âge, et je l’attendais.
TdeP

[carnet] #05 | ciel du lundi

Au point du jour la lune disparut, les nuages s’effilochent dans l’ombre, longues traînes tremblantes dans l’air frais qui caresse les joues, je ferme les yeux et le ciel s’éclaircit loin, la brume s’évapore, et soudain les bruits de la rue, des véhicules pressés, les passants, les vitrines, le cercle du tour de la Terre.
TdeP

[carnet] #04 | phrase de réveil

Il fait noir; le jour n’est pas levé.
TdeP

[carnet] #03 | il aurait fallu…

Les liens se délitent et tu ne sais plus qui tu es. L’enfance a passé, les mois d’août, le train, la chaleur, le village, la beauté des Abruzzes, le Gran Sasso, les jeux dans la rue, la terrasse inondée de blancheur, le rideau multicolore de la porte d’entrée, les jus de fruits dans la cantine, la place, la fête du quinze août, les grands escaliers pour entrer dans la maison adossée à la colline brûlée par le soleil implacable, et puis tu oublies, tu veux vivre ta vie d’adulte et tu t’éloignes du passé familial parce que tu ne trouves pas qui tu es. Un tremblement de terre en 2009, un sursaut vers les maisons détruites, les visages, les voix retrouvées. L’urgence d’y retourner, de se retourner vers qui tu es vraiment, avec eux. Des regrets du temps perdu à mille choses insignifiantes alors que l’essentiel de ta vie t’attendait là.
TdeP

[carnet] #02 |

Tard ce soir je ne reconnais pas son visage. Long voyage, train de Florange à Paganica, aucune trace. Juste, souvenir du noir, la porte s’ouvre sur la salle éclairée par flamme de la cheminée, ou le vieux lustre peut-être, plafonnier, une lumière diffuse, je ne reconnais pas cette maison. Entre deux pays, deux histoires, l’enfance. TdeP

[carnet] #01 | de l’imprévu

nuit quand tout dort, bruit de la rue. où tu ne sais plus où tu es. où tu aimerais te réveiller à Rome,courir sous la chaleur palpable implacable via Labicana, rejoindre le Colisée avant que la chaleur te figes absorbant toutes tes forces comme Méduse. La joue sur l’oreiller douceur du silence frisson de novembre encore au chaud et soulever la couverture de laine. Boire l’eau fraîche de la nuit l’odeur vibrante du café et ah le goût de la première gorgée tu fermes les yeux respires et habilles l’aube sur le parquet.
TdeP