1, un dimanche
Mal aimé, bien usé, hors du temps. Défiguré. Agenda qu’on ne consulte plus, il a fait son temps, a déposé à mes pieds, assis, près de me yeux l’ensemble des informations qui formes aujourd’hui ces jours inconnus. Dans mon agenda tout est un peu trop froid, un peu trop masculin. Pas d’efforts de mémoire, juste un peu de logique. Déborde de papiers importants, papiers qui me font sentir mal devant mon bureau. Sentir tout gosse et presque découvrir le temps d’un autre. Tout noir pas assez rempli. On se sent vite démuni lorsqu’on doit définir le temps, son temps passé dans le temps. La forme des jours.
2, un lundi.
Il m’est arrivé tellement souvent de le détester. Horreur de devoir se référer à lui afin d’en savoir plus. Des mots horribles sortent de lui, des mots qui me font honte. Tout noir, un bout de tissu pour savoir où on en est. En parlant de lui je parle de nous, parfois oublié. Il est parfois mon plus immédiat ennemi. Plus très beau mais son contact à ma peau me semble presque érotique, du moins glissant. Y écrire en coup de vent. Cadre noir. Y insérer un petit mot, une note, remplit une journée.
3, un mardi.
A la terrasse du bar, mon objet carter est resté derrière moi. Son souvenir exhale une odeur indélicate. Son souvenir est plus riche que lui. Tout noir, il me donne chaud. Tout ce que j’essaie de faire advenir comme souvenirs, ça n’est que moi, mon imagination. S’attacher à être objet, se dire qu’il est au présent juste de ma vie, est la piste la plus délicate mais aussi la plus sincère. Transpercer mes souvenirs ne sert à rien. Il est le présent.
4, un vendredi
Ce carnet de colorie presque noir, ne me renseigne plus. Il garde en lui la forme de ma vie passée. Tout gonflé de documents qui ne sont utiles qu’à me remémorer, mastiquer une vie que parfois je déplore. J’aimerais que les moments durant lesquels j’y jette un oeil est un sens, rien de convaincant. Il n’y a que moi, cloitré entre des souvenirs usés et des rêveries qui me font déborder des pages. De taille conforme, il est exactement ce qu’on attend de lui, ni plus ni moins. L’être objet défend malgré lui la réalité la plus immédiate de ma personne. Faux objet érotique, sa couverture semble être conçue pour imiter ma peau. Il trône pour mieux me dire qu’il ne faut rien attendre de lui. Il n’a pas plus de sens que le son de la ville qui scande mon regard sur lui.
5, un jeudi.
Couverture noir écaillée, de forme standard, gonflé de papiers hors format, ce carnet sorti de son temps ne renseigne plus sur ma vie et encore mins sur mon avenir. Il ne détient plus les qualités qui lui sont propres et malgré sa peau encore douce, ne s’adapte plus à mes poches, à mes mains. Ni presse papier, ni objet de décoration, il s’invente une fonction que lui seul semble connaitre. Son temps calqué au mien, il me parait lui, constamment au travail. Son embonpoint presque humain fait de lui un compagnon de route attachant à mes rêveries. Un copilote. Les fantômes qui surgissent hors de lui, ma peur d’y noter encore quelque chose créés un équilibre quasi parfait sur le haut droit de mon bureau. Il n’est plus ni moins ce qu’il est et les mélodies mielleuses, que je convoque sournoisement me reviennent et me gênent. Comme les pleins et les déliés que j’imagine provenir de mes parents, à l’instant. Il y a moi et le carnet. Toute cette vie, tous ces souvenirs, le carnet, le silence. Lui semble sait de quoi il parle. Son silence est douteux. Je ne vois alors que moi, moi. Il faut tant d’efforts pour voir un carnet.