Les mots tombent sur le carnet rouge, sur la page ouverte papillon. Je me sens pousser des ailes. Comme des nuages chargés d’eau les mots tombent à grosses gouttes, à perles échappées de mes songes sur la page brunie. Le papier se gorge d’encre. Je me gorge de mots. La ligne est là en face. L’horizon. Je la contemple incrédule. J. m’a raconté qu’un écrivain français, une sorte de prince a vécu pendant plus d’une année sur ce rivage désertique. Rien devant. La mer vide. Rien derrière, des rues désertes, ou presque. Silence du matin, mais aussi silence du rien, où J. et moi sommes presque incongrus, étranges oiseaux dans ce périmètre désert. La Casa del Mar semble continuer à s’enfoncer dans la mer. J. en a fait des photos. Il dit que c’est beau, je ne comprends pas ce goût pour les ruines, les murs humides et sombres, les pierres moussues, moisies. Je respire la mer, le bruit sec qu’elle fait en arrivant sur le rivage, le tapotement du stylo noir sur la page noircie de caractères. J’ai eu tant de mal pourtant à apprendre à écrire, à me déprendre de la crainte de me tromper, de tracer dans le désordre, d’oublier au fur et à mesure, de mélanger les clefs, de faire des pâtés dans mes cahiers d’écriture, d’ignorer comment faire ma trace au monde. Mais il me semble qu’à cet instant j’écris sans discontinuer, d’une écriture de dunes, relief tendre et creux qui se bossèle doucement de phrases, de mes phrases qui se désenchevêtrent. C’est une forêt que je fais pousser dans mon carnet, que je fais pousser dans les dunes. C’est une forêt qui prend place parce que l’écriture me balaie de l’intérieur, je suis vide comme la mer sous l’horizon, vide et plate, aplatie sous mes songes tout puissants. J. me dit toujours que je suis trop romantique – langman 浪漫 en chinois – c’est une vague qui déborde. Peut-on dire que cet écrivain français était langman ? ma vie est-elle langman parce que je suis si loin de chez moi, non pas perdue, mais encrée coûte que coûte dans l’ailleurs ?
» j’écris sans discontinuer, d’une écriture de dunes, relief tendre et creux qui se bossèle doucement de phrases, de mes phrases qui se désenchevêtrent. C’est une forêt que je fais pousser dans mon carnet, que je fais pousser dans les dunes. C’est une forêt qui prend place parce que l’écriture me balaie de l’intérieur, » belle valse des mots!
J’aime comment l’écriture est évoquée en force qui se combine aux éléments naturelles et se saisit de l’auteur.
Merci Isabelle
Une écriture de dunes, c’est beau ça. Toutes les images que vous évoquez sont délicates. Il y a de la grâce (comme dans la peinture chinoise…). Oui c’est peut-être ça le romantisme !