Le tintement de la rangée de bouteilles vides dans l’arrière-cuisine quand on est sur le point de s’endormir. Inutile d’aller vérifier, les bruits s’éteignent aussitôt que l’on pousse la porte.
Un cri au loin qui n’est pas un hibou.
« Quelqu’un » fait grincer le couvercle du grand bahut en bois dans la salle à manger. C’est décidément le grand bahut en bois.
Le cliquetis agaçant d’un lit dans la chambre d’en face qui n’est pourtant pas occupée.
Le déversement des nuages sur les carreaux, alors qu’il ne pleut pas.
Le coup des heures à l’horloge de l’église. On voudrait qu’il ne s’arrête jamais.
De ce qui semble être des pattes minuscules parcourant le grenier de long en large juste au-dessus de nos têtes.
Un étrange glissement de rideaux de velours se mettant à marcher sur le plancher.
Un bruit très bref de verres cassés venant à nouveau de l’arrière-cuisine. On saura le lendemain que tout est intact et à sa place.
« Quelqu’un » gratte le bois de la porte d’entrée. Et un soupir, un long et profond soupir. Cela est bien arrivé, n’est-pas ?
Grésillements d’une lampe pourtant éteinte. Pour quelle raison ? Ou le bruit du vieux transistor qui ne marche plus.
Un souffle sans prétexte de tempête.
On plonge dans le silence cotonneux des couvertures, les bruits s’apaisent, entre deux battements de cœur, une somnolence lourde s’abat sur les paupières.
Bruits pour une maison où il ne se passe rien
Le mouvement d’une main qui plie une serviette de table en suivant les lignes bien nettes du dernier repassage, le léger grincement du tiroir où l’on range la serviette qui reviendra sur la table à côté de l’assiette pour le repas du soir. Les petits coups secs de la vaisselle sur l’égouttoir de marbre. Les bruits de la rue deviennent de plus en plus lointains à force d’être écoutés, une bande sonore de voix, piaillements d’oisillons, grondements sourds des moteurs, caisses retombant sur le sol. Les aiguilles de l’horloge qui cliquètent à chaque minute passée. Sur le plancher qui craque ne pas mettre les pieds. Il y a les bruits qui ne sont plus que dans la mémoire, mais dont on ne veut pas se souvenir. Les pas, toujours les pas qui font semblant d’oublier quelque chose dans la pièce à côté. Les voix de la vie sur le palier.
Bruits pour une maison qui ne ressemble pas à une maison
Les enfants, en revenant au village, racontaient ce qu’ils avaient entendu. C’était comme des murmures, disaient-ils. Il y avait aussi des chants qui ressemblaient à des nuages de fumée, et des toc-toc sans fin. On n’y comprenait goutte. Les bergers interprétaient ces sons secs et répétés comme un code en morse, mais les linguistes disaient que cela ne voulait rien dire. Un oisif rassembla tout ce qui avait été rapporté par ceux qui avaient rôdé autour de l’étrange demeure et décidèrent que chacun avait reçu selon sa curiosité et son envie, son état d’esprit du moment, un message différent, personnalisé, comme on dit de nos jours.
Des toc-toc, pour ceux qui sont près des arbres et des forêts.
Des cantiques, pour ceux qui croient au bonheur et au dolce farniente des jours de paix.
Des murmures à l’adresse de qui sent de l’empathie et de la compassion envers son prochain.
Des bruissements, pour les sceptiques.
Des appels, pour les inquiets.
Des sons de cloches, pour les fous.
Des plaintes, pour les désespérés.
Des bruits de pas qui s’éloignent dans le noir, pour les solitaires.
Ceux qui n’abandonnent jamais voulurent établir une communication avec l’intérieur de la maison, mais plus ils s’acharnaient sur leur cacophonie stupide d’intentions communicationnelles, plus la maison devenait silencieuse, perplexe, oserai-je dire.
On sait comment toutes ces manifestations sonores ont commencé, personne ne se souvient du dernier bruit venu de l’autre côté des murs de de pierre.
Oh la belle histoire:
Les enfants, en revenant au village, racontaient ce qu’ils avaient entendu. C’était comme des murmures, disaient-ils. Il y avait aussi des chants qui ressemblaient à des nuages de fumée, et des toc-toc sans fin. On n’y comprenait goutte. Les bergers interprétaient ces sons secs et répétés comme un code en morse, mais les linguistes disaient que cela ne voulait rien dire. Un oisif rassembla tout ce qui avait été rapporté par ceux qui avaient rôdé autour de l’étrange demeure et décidèrent que chacun avait reçu selon sa curiosité et son envie, son état d’esprit du moment, un message différent, personnalisé, comme on dit de nos jours.
Bravo, bravo.
Merci, Laurent !
… cacophonie entre sens et non-sens, une belle porte d’entrée à la curiosité et à l’énigme, un beau programme !
Merci, Christiane ! Je vais essayer de pousser cette porte un petit peu plus.
Des bruits un monde et déjà l’histoire qui débute à travers l’accumulation des choses (toujours de choix). À l’horizon, c’est bien la maison et ses intrigues qui commencent à se tisser. Bravo !
Merci, Alexis !
J’aime beaucoup cette déclinaison de bruits pour… les inquiets, les sceptiques, les fous… C’est une très belle idée que de distinguer les bruits pas ceux qui les entendent. C’est plein de mystères. C’est vraiment un très beau texte. Merci.
Merci infiniment, Jean-Luc ! Ce dernier texte vient de très loin, j’essaie de l’écrire au fil du temps et de découvrir les mystères qui recelle cette maison. Merci encore pour ta lecture !
(longtemps que je n’étais pas venue du côté de chez toi…)
alors je me promène avec agilité dans tes drôles de maisons, il y en a pour tous les goûts
juste glisser, simplement écouter
Merci, Françoise pour ta visite et pour ton retour sur mes maisons. « Drôles de maisons » est un titre que je vais adopter!