Les acteurs s’immobilisent, puis lentement se rangent face à nous et pendant que je chancelle un peu pour réintégrer ce monde, avant même qu’ils saluent, des huées s’élèvent. ils restent impassiblement stoïques. je me retourne vers vous comme vers un appui. Vous êtes arrivé juste au dernier moment, m’avez un peu bousculée, avez heurté mes pauvres pieds en marmonnant une excuse – bas pour ne pas rompre le recueillement qui venait –, vous m’avez agacée… Mais peu à peu, accompagnant mon attention, mon entrée dans ce spectacle, dans son classicisme apparent, son léger archaïsme ou plutôt son indifférence aux tons du jour, et à la découverte des profondeurs qu’il remuait doucement si l’on se laissait pénétrer, si on s’y absorbait assez pour plonger sous la carapace fragile comme elle nous y invitait, dans l’acceptation puis le plaisir de sa beauté pure, au risque du reproche d’esthétisme si prompt à fuser actuellement, j’ai senti que nos souffles se suspendaient ensemble. que nos réactions, silencieuses, presque épidermiques, jouaient avec ce qui était là devant nous, se retrouvant, se séparant parfois. Vous tournez les yeux. ils rencontrent mon regard paumé. sourient. se retournent vers les acteurs, pendant que vous marmonnez « les cons » et vous applaudissez juste au moment où je me lève résolument pour en faire autant, me retournant avec sourire d’excuse vers le rang derrière. j’y découvre une gueule hurlante mais aussi trois jeunes, un peu tétanisés peut-être par la violence de ces sifflets, qui maintenant se lèvent aussi et crient de plaisir. Voici que les gradins sont debout, quelques-uns pour – bousculant avec sourire ou agacement leurs voisins – sortir, la plus grande partie pour crier sa joie, par entraînement, par plaisir de sortir brusquement de notre long silence, les derniers pour la fierté de se sentir partie de la majorité. Nous applaudissons, muets, nous regardant, avec peut-être – mais veux espérer que non, que nous sommes « purs » – une légère touche de sentiment de supériorité dans notre réserve indulgente. Vous soufflez le nom de l’auteur. je réponds par celui d’un des acteurs secondaires qui en effet me semble avoir porté discrètement l’ensemble comme une rotule. je nous souhaite d’autres beaux moments. vous me demandez si je suis allée à Vedène voir X . et comme mon oui sonne neutre, vos yeux s’éteignent, l’accord s’étiole, au moment où votre voisin avec un petit sourire et une excuse inaudible tente de passer devant vous. Vous vous penchez pour me donner mon sac. vous avez trois mots d’adieu. je réduit mon corps. Vous me franchissez tous les deux, suivis par d’autres. j’attends que le gros de la foule s’écoule en vous suivant des yeux, un peu comme on regrette une rencontre qui n’a pas eu lieu.
image © Brigitte Célérier – Avignon
Toute une histoire en peu de mots. bravo !
Oh, chère Brigitte quel bel hommage au théâtre… Ces moments de vie ( on oublie qu’ils existent ) Partages, joies, rages . Ces rencontres de salle à plateau, de salle à salle… Ce présent là.
Danièle, juste un échange de regards
qui pour moi va rester maintenant un souvenir même si comme je l’espère cela repart dans quelques mois (plus trop de sous) mais j’ai un beau passé !
On est avec vous dans cet échange de regards, juste là, vous nous avez vu ?
il était une heure du matin et vous étiez dans la pénombre de la foule… zut
désolé d’être en retard – mais enfin nous y sommes, n’est-ce pas ? Merci à vous.
en retard ? ah oui mais vous ne m’avez pas marché sur les pieds
Quel moment fort… et fort triste !
pas triste du tout – une chance d’être à côté de quelqu’un qui vit de la même façon que vous le spectacle !
il me semble avoir lu cette rencontre auparavant, et je retrouve la même intensité, et la même justesse, quelle écriture !
C’est gentil Caroline, c’était peut-être sur Paumée le lendemain…:-)