La tension s’était immiscée peu à peu, un surprenant picotement sur la peau, alors la main touchait, curieuse, puis dans son sommeil la défiguration asymétrique avait commencé, brûlante, éclose au petit matin. Paniqué, il était alors allé voir ses proches qui l’avaient dévisagé, et ainsi se vit-il dans le miroir de la pièce commune ; il se servait de sa main pour se cacher maintenant, la moitié du visage.
On alla voir Boutchourlat, un personnage que l’on aimait plutôt égratigner d’un trait d’humour, mais aujourd’hui ça ne rigolait plus. Ce vieux berger habitait à flanc de montagne, dans une cabane en pierre sèche comme sa trogne. Décision fut prise avec lui de se retrouver au soir à la grange du vallon de la Borde.
Après une heure de marche sur un sentier parfois broussailleux, entre chênes et genévriers, il arriva au lieu dit, grimaçant sous son masque de douleur, la sueur se mêlant au suintement des vésicules et au larmoiement de son œil gauche ; lou bitsage tout boutchourles. Le pâtre arrivait en même temps, il portait une longue cape blanche de laine, que la lumière de la lune montante faisait resplendir, et un sac de cuir en bandoulière avec un grand rabat. Sur la joue lui aussi une griffure !
– Han Han Han ! Qu’éy les aoulhes se me soun metudes hen lous arroumets… Han Han Han !… É, en les anans tira… Me suy boutchourlat les machères… Han Han Han ! » grommelait-il. Se tournant vers lui : – Dauan tout, qu’es ço que’m demandes ? » Ils discutèrent alors. Boutchourlat l’emmena dans la grange, en murmurant toujours. – Damore t’aquî ! » lui glissa-t-il avant de s’en retourner. Il le laissa seul, debout, tourné vers le fond du fenil.
Le jeune homme serrait les dents, fronçait les sourcils, clignait des yeux avec des tressaillements du front jusqu’au menton, surpris que tant de douleur puisse tenir sur une si mince surface. Il savait qu’elle était aussi là pour l’empêcher de penser.
L’intérieur était silencieux, il ne devinait guère que du foin, des outils suspendus çà et là, une herminette, une fourche ; surtout se superposaient dans son esprit la griffure de Boutchourlat sur la joue, son propre reflet violacé et parsemé vu au matin, et la magnifique cape. Puis alors lui apparut une forme, haut perchée : une dame blanche. Elle le fixait, souffletant. Ses ailes se déployèrent, la portèrent vers lui de manière souple et silencieuse, de telle sorte que leur tête-à-tête continua pendant son vol. Il imagea alors des bribes de visages absents, sur le cœur blanc que formaient les disques faciaux de l’oiseau. À son approche, il ne bougea pas, les bras ballants, effrayé un moment par l’idée que les pattes pendantes pussent lui agripper les chairs à vif autour de son œil et de sa pommette. Arrivant juste en surplomb de lui, de formidables battements d’ailes entourèrent le haut de son tronc et sa cabèche, faisant voler son béret à terre. L’effleurant à peine, la chouette effraie bifurqua et sortit de la grange avec un cri strident ; une plume de duvet resta suspendue en l’air. Les guibolles en flanelle, il se laissa choir au sol.
Quelques longues minutes passèrent. Boutchourlat passa sa figure par la porte entrebâillée, lui apparaissant en contre-jour de lune, et vint l’envelopper de sa cape. Il lui conseilla de dormir ici, sur la paille, et de rentrer chez lui le lendemain, sans oublier de lui rendre sa laine à l’occasion.
Au matin, passant à travers les ouvertures et les interstices des planches, les rayons du soleil le réveillèrent par un doux réchauffement à la surface de la peau. Il sentit à nouveau le calme sur sa joue, elle lui tirait certes encore un peu, comme une écorce séchée, un moule cuit, mais le feu était parti, envolé. Il n’osa encore la toucher, se leva et quitta la grange en remerciant la chouette. Sur le pas de la porte, il vit une drôle de pelote de réjection à la couleur rosacée. Il la repoussa d’un coup de pied vers des orties. Alors il descendit le vallon la mine réjouie, envisageant à nouveau de bonnes choses pour la suite.
Je l’ai lu à la fois comme un conte gardant sa part de mystère et comme la 1ère partie d’une intrigue narrative , en attente d’une suite.
La langue de Boutchourlat , c’est ?
Tout reste à inventer alors autour, mais cela pourrait débuter une intrigue, oui.
Ce sont des phrases de gascon occitan, piochées dans les contes populaire de la Grande Lande de Felix Arnaudin.
mais jamais trop tard pour revenir à la consigne, et insérer dans le texte, qui s’y prête, des micro-fragments selon la proposition Jabès… (ce n’est pas une demande, juste une éventualité : l’avantage du blog, c’est qu’on peut faire évoluer les textes tout au long du cycle…)
Oui, j’étais surtout parti de cette idée d’approcher arracher sans toucher, puis ayant fait un récit j’ai commencé à essayer de ressembler un peu plus à la proposition avec au moins une question de visage dans chaque bloc, alors oui pour y revenir selon la consigne Jabès, aussi peut-être dans l’après coup des autres propositions à venir.
Le sixième fragment et sa part onirique me rappellent Bernard Marie Koltès… Combat de nègres et de chiens… Quel bonheur de vous lire !
Merci ! Alors je vais découvrir Koltès (encore jamais lu).
Que’m ha plasèr, aqueth barrejadis de lengas !
🙂 Et j’avoue que c’est vraiment un emprunt de phrases, ne connaissant ni la Gascogne, ni l’occitan.