Un bout de monde
La pluie depuis des jours, un flot continu. C’est une sorte de pluie chaude, à regarder tomber le ciel, je ne fais plus de différence entre le haut et le bas . Tout devient liquide.
Ma mère prie le ciel pour que ça s’arrête ; mais je vois bien à son désespoir que ce n’est pas prévu. La météo nous a juste mis en vigilance rouge. Ça veut dire monter aux étages de la maison, la rivière sort de son lit, inondée par le fleuve, débordé par les chutes d’ eau de ces derniers jours. Pourquoi ? La faute au réchauffement climatique, c’est trop tard dit maman, c’est fini, on ne pourra plus revenir en arrière, ce qui est fait est fait, il faut partir d’ici.
Tu vois j’ai cru qu’on était arrivé dans notre bout du monde, elle dit, qu’il n’ y avait plus rien ni derrière nous, ni devant nous, que de ma fenêtre scintillent les collines de tournesol et de lavande sous le soleil pour toujours. Les rues pavées du village fleuri, les murs ocres et les volets bleus des maisons de carte-postale. Que là , nous sommes arrivés et que nous y resterons jusqu‘à la fin des temps tellement c’est beau.
En soixante ans, jamais vu autant d’eau. Rien ne pouvait prédire ce déluge. Maman pleure : son bout du monde est fichu. Tout est anéanti. Les efforts, les économies, les sacrifices de toutes ces dernières années. Elle en veut à la terre entière mais n’a personne contre qui se mettre en colère, c’est ça le pire.
Viens, on monte à l’étage, elle dit, en me tenant la main. Prends ton sac à dos. On va y mettre quelques affaires. Ils nous ont dit de ne pas nous charger. On va attendre les secours. Ton père est monté sur le toit, il surveille le passage des pompiers. On va surement prendre un canot.
Je retiens mes larmes, pour ne pas rajouter de pleurs à toute cette eau qui nous a envahi.
En me retournant, je jette un coup d’œil vers ma chambre en montant l’escalier et par la porte, je vois que tout mon bout de monde est immergé. Mon lit, ma table, mon ourson, et même mon globe terrestre flottent. Je comprends, je ne retrouverai plus rien. Mon journal noyé dans ma bibliothèque, tous mes souvenirs définitivement engloutis.
tout perdre ainsi, si cruel…
il faut traverser ce genre d’épreuve pour en avoir vraiment idée
merci Carole
Merci Françoise pour ton retour.
« Je retiens mes larmes, pour ne pas rajouter de pleurs à toute cette eau qui nous a envahi. »
Ce bout du monde que tu décris est très intense
Mais que c’est beau Carole, ces larmes, cette eau, maman, la maison, merci beaucoup pour cette dernière lecture du soir.