François Bon nous propose donc de partir pour un voyage de quelques semaines vers les terres de l’« éco-poétique ».
Ayant senti une légère déception de sa part face au manque d’attention (ou de compréhension) dont nous faisons collectivement preuve vis-à-vis des impulsions d’écriture qu’il nous donne dans ce cycle sur la nouvelle, j’ai l’intention de me montrer très disciplinée, et de prendre avec grand sérieux le matériau qui nous est proposé. D’où mon léger tourment face au texte qui ouvre ces semaines éco-poétiques : je découvre un texte, splendide au demeurant, où un silence de mort « pétrifie », « paralyse », « ravage » le monde, l’« assomme », le rend « monstrueux », l’empêche de naître et laisse la narratrice « en petits morceaux », « le cœur brisé », avec l’« envie de mourir » . Le silence comme punition divine infligée à celle qui « s’agite » dans un évitement de sa propre solitude, au lieu de goûter au calme qui l’entoure, celle qui semble par son attitude aussi « obstinément sourd[e] aux autres » que le coq de la ferme. Punition par la révélation écrasante et terrifiante du vrai monde, celui « du silence et de l’insupportable solitude ».
François Bon nous propose ce texte comme point de départ pour notre excursion vers l’« éco-poétique ». Du moins est-on assurés que nous ne serons pas tentés de confondre « éco-poétique » avec « bucolique »…
– Deuxième difficulté : François Bon n’est pas friand de « la recherche mystique voire religieuse » présente dans le texte. Moi non plus. J’ai toujours constaté, à ma grande frustration, que ces champs de l’expérience humaine font généralement mauvais ménage avec la littérature. Cependant, 1. Cet aspect me semble central dans ce texte précis, 2. Je ne vois pas à priori comment réfléchir profondément sur le silence en faisant l’économie d’une dimension spirituelle. Les deux se présentent comme intimement liés dès que je leur accorde une attention soutenue.
– Peut-être, oublier la dimension mortifère du silence d’Annie Dillard et privilégier la dimension paradoxale très présente dans le texte, résumée par ces mots : « obstinément sourd aux autres et bruyamment seul » : le groupe disharmonieux (de coqs), la cacophonie d’une part et le silence, la solitude d’autre part comme deux faces d’une même pièce.
Autre élément qui ouvre des pistes : d’une part les éléments non contenus par le silence mortifère (les mouches, peut-être la dame en rose et le labrador) et les choses qui l’aggravent (le sifflement humain). Pas pour la dimension mortifère, mais pour cette idée que certaines choses, certains bruits peuvent participer du silence, d’autres non.
– autre piste intéressante : la tangibilité du silence, son poids.
– Petit tour du côté des dictionnaires. Silence : « Fait de ne pas parler » Robert / « Absence de bruit dans un lieu calme » (Larousse) / « Fait de ne pas vouloir ou de ne pas pouvoir exprimer sa pensée, ses sentiments » (CNRTL). Bref, le silence, c’est une négation. Ce que confirme l’expérience.
– Considérer ce qui précède comme de l’éventuelle matière à récit.
Je ne vois pas comment avancer plus cette semaine. Je m’en tiens donc là en attendant la suite…
Merci pour ton commentaire qui m’a obligé à relire le texte d’Annie Dillard. Je l’ai perçu tellement différemment de toi !
Pour moi, c’est le récit d’une expérience « métaphysique » dont je me sens assez proche, que je ressens comme dérangeante et libératrice de son/mon être au monde. j’aurais insisté sur la vastitude de l’espace, elle pointe le silence et c’est en ça que le texte m’apporte qqch de plus.
Le texte de Dillard, comme tous textes proposés à la lecture n’est qu’un pré-texte à notre écriture ; il ne peut donc en rien nous bloquer dans ce qui reste notre approche personnelle du « monde ». Merci de nous permettre ainsi de préciser les choses.
JMG
m^me réaction mais… réagis en pensant à ces moments de suspens et silence si riches (si on n’en a pas peur et ne raisonne pas ou encore moins y cherche une « spiritualité » alors que c’est le réel qui est spirituel (zut c’est vrai mon panthéisme va passer pour une spiritualité;.. les religieux sont d’u agaçant !)
très surprise mais j’accueille avec les bras ouverts….
j’ai vécu le texte très différemment de toi, une aisance du récit et une grande force intérieure… je ne suis pas du genre à décortiquer, j’évite l’analyse, préférant rester sur l’effet du texte sur le corps et le désir d’écrire
bien sûr nous sommes totalement libres, libres de faire ou de ne pas faire, libres d’écrire autre chose, libre d’interpréter comme ça nous va et comme ça résonne pour nous
de mon côté j’ai vécu la proposition comme une invitation à observer l’un de ces instants de perception du silence dans nos expériences et d’ailleurs elles sont multiples et belles, les écrits de cette semaine le démontrent…
bien à toi, Natacha
Intéressantes réflexions. En fait je me demande un peu depuis le début: « Mais a t-on vraiment compris le statut du texte d’appui dans les propositions de François Bon? De quel type d' »appui » s’agit-il? Des petites choses qu’il glisse à droite à gauche m’en ont fait douter, et surtout dans la dernière vidéo. D’où ce pas de côté de ma part…
merci pour cette réflexion, Natacha, et aux commentatrices é commentateurs aussi, j’en prends acte pour virage pris ce dimanche, on avance tellement vite dans ces cycles qu’on a presque du mal à prendre conscience de la richesse de matière accumulée
» L’écopoétique cherche à étudier l’hypothèse selon laquelle un poème serait une création (du grec poiesis) d’un lieu d’habitation (le préfixe éco est dérivé du grec oikos, « la maison, le lieu que l’on habite ») » Mais l’écriture collective nous entraîne vers la maison des autres et c’est ce que chaque consigne nous rappelle et nous embarque ou non. Je plaide plutôt pour un « écho-poétique » de bricolage individuel sur des propositions difractantes. Ecrire comme jouer au billard … des trous dans les angles ou sur les côtés, un tapis feutré qu’il ne faut pas trouer, et des stratégies plus ou moins fines et musclées. Chaque partie est une aventure… Réinventer le jeu à chaque fois sans perdre la boule…