Le ciel: un gouffre. La terre: un désert. Dans l’entre-deux, dans cette brèche où tenir droit, pris dans l’immensité, retenir son souffle. On n’a pas l’étoffe pour cette immensité. De cette gravité, rien ne dépasse. Une herbe rase où quelques cheveux d’anges, comme un tremblement de tendresses entre les pierres sèches, arabesques pensées qui s’effilent, ondulent dans un froissement d’air ; où quelques carlines ou cardabelles, au ras du sol, une lumière grise, décolorée, étendue minérale qu’un maillage de mots nommerait mer de pierres ou écume calcaire. Être en suspension, entre le grain du vent, les haillons de la terre, l’immensité d’un ciel et l’haleine de la pierre, mais jamais aussi près de l’éclat d’horizon. On a beau se faire aussi attentif qu’une bête traquée dans la jungle, et tendre les deux oreilles jusqu’à ce qu’elles se rejoignent et comprennent que non il n’y a rien d’autre à entendre que son propre cœur, son souffle, et ses pensées, qui insensiblement s’érodent, se désincarnent jusqu’à l’os, deviennent si minces qu’un fil d’air les apaise. On espère un frissonnement d’herbes, des gouttes d’eau remontant d’une source, le souffle d’un museau. On traverse ce paysage comme on traverse une épreuve, de celles qui nous font autre. Comme dans le choc d’une absence, celle qui est définitive, où tu ne vois plus rien, tu n’entends plus rien, totalement enfoui dans ce vide où tu as été abandonné. Et tu te sens bien comme sur une île dont tu parcours l’échine, d’encore en encore, à sonder le silence à fleur de pierres. Le silence du Causse Méjean vient nouer ta gorge. Entre causse et silence une alliance d’innocence. A capella, une alouette des champs susurre les syllabes de l’absence. Elle vole haut, si haut que ce n’est qu’un point qui se déplace dans le ciel mais elle grisolle avec détermination et plus rien n’existe alors que ce chant. Entre la mélodie et le silence, on est pris de vertige. On se tient dans la justesse des deux, entre un plein et un vide, dans une vision d’un monde enfin réconcilié. Comment ne pas se sentir alors au cœur de la Création et de rêver d’un geste de calligraphie pour donner à voir ce qu’on vient de ressentir. Cette immensité éprouvée comme une chorégraphie entre l’intime de l’espace du dedans et l’immensité de l’espace du dehors épousées dans un silence qui soulève les corps. On atteint ce lointain qui toujours interroge, et qui se retire encore plus loin. Voilà, on est ce personnage à la Caspar David Friedrich, cette femme face au lever de soleil, les bras un peu écartés du corps, les mains tournées vers le ciel, dans l’accueil d’un plus grand qu’elle dont elle n’a pas conscience mais qui sent ses pieds s’ancrer dans le sol, comme si elle était elle même le paysage.
Sur la margelle d’une croix de pierre, au bord du chemin, se recueillent les échos de ces instants, préservés comme des secrets.
À travers nous s’envolent
Les oiseaux en silence. Ô moi qui veux grandir,
Je regarde au-dehors, et l’arbre en moi grandit.
(Rainer-Maria Rilke)
Quel plaisir de vous lire, pas trop de mots pour vous le dire ils briseraient la magie du silence
Merci pour ce texte fin et sensible. J’aime tout particulièrement: » d’encore en encore » et « le silence à fleur de pierres ».
voudrais noter chaque phrase… si juste cette solitude immense du causse
« …on il n’y a rien d’autre à entendre que son propre cœur, son souffle, et ses pensées, qui insensiblement s’érodent, se désincarnent jusqu’à l’os,… »
très sensible à ton univers du causse et à l’œuvre de C D Friedrich
oui, je « suis prise de vertige » entre tes mots et le silence du monde…