#boost #00 à 08

table des matières

00 – 43 55 46 359 N 4 46 23974 E
01 – terre ou terres
02 – portes ouvertes
03 – souviens toi de la crainte
04 – tenir tête à l’acceptation
05 – le cri qui jaillit
06 – ces visages, ces regards
07 – conjurations
08 – moments

#boost 00 – 43 55 46 359 N 4 46 23974 E


La ville n’est là qu’administrativement et le département se prépare à changer de nom pour s’en aller jusqu’au delta et la mer. Un projet de quartier nouveau devrait émerger à partir de quelques ateliers, d’une ou deux résidences de vieillards et de la gare avec sa couverture brisée au dessus des voies et son esplanade menant au bâtiment posé là pour servir d’opéra provisoire, points avancés de vie  mais il est douteux qu’il s’étende jusqu’à cette rencontre des deux courants invisibles, séparée qu’est la route de leurs lits et de leur rencontre par une levée de terre et au devant d’elle par une petite étendue laissée libre pour les crues. Il y a eu, longtemps après être passé sous le béton de la voie, cette route creusée entre la civilisation virtuelle et, au delà d’une bande d’herbe et buissons longeant un étroit canal, la barrière de terre les séparant de la rive du courant qui vient des basses montagnes et sert de frontière avec le midi, les deux pentes couvertes d’herbe pelée et d’arbustes avec les quelques événements que sont les rares petits arbres et bosquets. Il y a eu lentement la descente du terrain voué au futur quartier au niveau de la route et le dessin de quelques chemins ou routes sans destination évidente, une canalisation émergeant du sol face à un petit cube de béton percé de deux ouvertures fermées pour franchir le canal sur un semblant de pont en bois peint en blanc, une haie de cyprès sur la droite au fond d’une prairie, une série d’arbres hirsutes au sommet de la levée de terre sur la gauche dont la hauteur s’accroit légèrement, l’arrivée d’arbres plus importants au bord du canal, l’élargissement de la bande d’herbe, la survenue perpendiculaire à la route d’une longue allée bordée de deux alignements de grands arbres, une petite courbe éloignant la route du canal environ deux cents mètres avant ce moment où elle se tord pour remonter vers le nord, ce point où, derrière les levées de terre et ourlets de terrain se rencontrent la rivière et le puissant fleuve, invisibles mais dont la présence est sensible, la limite de la ville et la jonction de trois départements.

#boost 01 – terre ou terres

S1 

la terre et l’arbre ou les plantes modestes qui partent coloniser les corniches, les ressauts du rocher, la terre que l’arbre semble créer pour y ancrer les graines que le vent a plaqué sur cette minuscule accroche ;

la terre que les plantes retiennent dans sa plongée dans le fleuve ;

les tapis de plantes qui nagent au dessus de la terre collée au fond du fleuve, juste frisée par le courant ;

la terre cailloutée du terre plein que le vent emporte et fait courir  sur elle-même, sur ses couches durcies et qui ,ne porte d’herbe qu’à l’abri des blocs de pierre disposés comme sièges ;

la terre assoiffée qui ouvre ses sillons comme une bouche pour se nourrir de vie ;

la terre amorphe dont un coup de pelle découvre le grouillement de vies ;

la machine qui descend son bras rouge dans la terre, qui l’éventre pour annoncer les fondations ;

S2

cheminement tracé vers le sens dans le mélange de  légère terre poussiéreuse semée d’aiguilles de pin ;

après l’averse la terre luisante sur laquelle glisse l’avancée indécise qui perd son chemin ;

la boue où s’engluent les pas et les mots ;

travailler le langage comme on travaille la terre, creuser pour qu’advienne nourriture ;

le brun rougeâtre de la terre de Sienne, l’ocre rouge devenu terre sur les chemins de Roussillon ;

la terre noire qui pétrit les écorces, le bois pétrifié, les champignons, l’humus pour en faire deux mots qui roulent rudement et emplissent ;

la terre en mer ce mot de l’autre vie ;

S3

marcher sur la terre sèche, la terre morte, en portant des bannières et en l’arrosant d’encens ;

se pencher, prendre dans le bac lourde brassée de terre, la porter courbée, la poser, l’humecter, la taper longuement avec un bâton et pétrir l’argile ;

les doigts qui s’allongent dans la terre pour la façonner la paume qui s’applique pour lisser et renforcer, le contact de l’essentiel, la vie qui s’échange ; 

la banalité de la terre, la sensualité de la terre ;

creuser la terre et saluer les vers ;

trancher la pente de terre et retenir l’effondrement avec des pierre sèches, de terrasse en restanque ;

appuyer sur les bras de l’araire pour labourer l’étroite terrasse ;

S4

atterrir, atterrage, terrain, terrasser, terrassement , l’humus, le sable, l’argile, le loess, le terreau,

#boost 02 – portes ouvertes



Petits pas chaloupés sur ciment corps étiré et bras levé hissés  sur pointes des pieds doigts posés sur le bout du bec de canne en aluminum corps rabattu sur talons en poussant et ouverture brusque de la porte de bois brun. Une grande pièce peinte en blanc vide sauf quatre petits bancs au ras du sol. Sur tomettes jusqu’à la porte simple de bois peinte en jaune poussée par la main juste posée sur le panneau. La pénombre et l’odeur du thym sur la table à côté d’un tian. Le macadam une marche la grille peinte en noire comme la grosse serrure grinçant sous la clé sortie de la poche poids du portail béant soudainement.  La terre battue et l’herbe rare de l’espace nommé jardin. Au bout de l‘allée de dalles cimentées la porte bleue à imposte de vers cathédrale doigt sur sonnette ronde peinte en bleu dans l’embrasure blanche tap-taps sonnant derrière porte. Corps s’effaçant et vestibule pierre de taille. Un bras tendu devant l‘attente vers la poignée de cuivre des doubles glaces de la porte vitrée. Une femme assise dans un salon de chintz à grandes fleurs de bois blonds et de vitrines pour céramiques. Sur le trottoir devant lourde porte de bois sculpté un doigt en face d’un des noms sur la plaque émaillée un grésillement et un déclic serrure. Vestibule mur beiges moulurés carreaux de sol dessinant un tapis un ascenseur derrière une grille à gauche. Deux pas vers la double porte de chêne clair entrebâillée. Une tenture à repousser sur un vestibule allongé entre doubles portes vitrées. Vers la porte vitrée de droite ouverte par le bras de l’annonciatrice. Salon bourgeois sans grand caractère et sourire chaleureux. Le long de la plate bande et les roses trémières vers la double fenêtre à droite de la porte sous auvent de tuiles et la petite cloche jugée trop bruyante un profil aperçu derrière mousseline carreau frappé par un doigt replié un appel et ouverture de la porte. Une petite entrée patères pour vêtements petite table à gros bouquet et une silhouette s’effaçant pour invite.

#boost 03 – souviens toi de la crainte




Tus as eu un sourire navré devant son recul, ce début vite jugulé de fuite mais tu la connais la crainte, tes craintes de maintenant et de toujours, crainte du noir profond, crainte de la solitude quand elle se fait abandon, crainte de la foule, crainte d’avoir peur, crainte d’être emportée, crainte de détester, crainte d’endormir colère, crainte de la perdre cette colère, crainte de te perdre, crainte d’accepter, crainte de l’engloutissement, crainte de la furie abêtie, crainte de perdre sagesse, crainte de ne plus voir, crainte de perdre accueil, crainte de ne pas voir beauté, crainte de perdre sourire, crainte du silence absolu, crainte des bruits de liesse avinée, crainte du tonnerre, crainte des chuchotements, crainte des amateurs de nouvelles, crainte des regards, crainte d’être vue, crainte d’être niée, crainte de négliger, crainte de blesser, crainte de mentir, crainte d’être courtisane, crainte d’être impolie, crainte de la bêtise assénée, crainte de la cruauté, crainte de ne pouvoir aider, crainte de renoncer, crainte des blessures, crainte de la douleur entêtée, crainte des pleurs publics, crainte du fiel, crainte de la sournoiserie, crainte du mépris des cons, crainte de l’assurance, crainte de l’autorité imbécile, crainte des évidences consacrées, crainte de l’irruption, crainte du soudain, crainte du froid, crainte de la chute, crainte du moche, crainte de mépriser, crainte de la dépendance, crainte des maux mais crainte surtout du Mal, crainte de ne savoir aimer, crainte de ne pouvoir aimer, crainte de l’amour, crainte de ne plus craindre.

#bosst 04 – tenir tête à l’acceptation


Tenir tête à l’acceptation — de ne pas penser — de ne pas penser soi-même — à l’acceptation de ce qui est asséné — maintenant que la réalité se veut virtuelle  — tenir tête à l’acceptation du désarroi — du désarroi causé par l’injonction à suivre les regards enseignés sur la société et l’économie — les regards qui orientent les choix des nouvelles des grands médias — le regard porté par les éditorialistes vedettes et leurs volontaires ou involontaires aveuglements — tenir tête aux mensonges des puissants se voulant disrupteurs de droite radicale — tenir tête à l’acceptation des discours et récits nés des algorithmes — de l’IA et de sa salade à partir de ce qui se dit — tenir tête à l’acceptation  — l’acceptation de ne pas croire la réalité discrète — celle qui est évidente — qui découle de la raison — tenir tête à l’acceptation des passions — les passions tristes — celles que l’on dit majoritaires — celles de l’intérêt — tenir tête à l’acceptation — à l’acceptation du refus de prendre comme règle la sensibilité — de se refuser l’empathie — de tenir nos tentatives d’empathie pour de la sensiblerie — tenir tête à l’acceptation — l’acceptation du mépris et de la défiance pour les actes et regards généreux — tenir tête à l’acceptation — de la tristesse et du désarroi  qu’apportent les passions tristes — à l’acceptation du désarroi né des mensonges ou des regards paresseux et limités — tenir tête à la foi dans les puissants grotesques et ridicules — tenir tête à la foi en les sachants officiels bornés et paresseux — tenir tête à l’acceptation — l’acceptation de la violence de ceux qui n’ont qu’idéologie généreuse qui s’aigrit en haine pour leurs adversaires volontaires ou suiveurs apathiques — tenir tête à l’acceptation — l’acceptation à la tentation de rejoindre une meute — tenir tête à l’acceptation — la lâche acceptation de la tristesse de détester — de craindre — ne pas tenir tête à l’acceptation du plaisir d’admirer — l’acceptation de  l’action en commun avec ceux qui sont dédaignés ou poursuivis pour leur nature seule — l’acceptation aussi de ses limites — ne pas tenir tête à la joie d’admirer la force des exclus et de leurs amis aidants

#boost 05 – le cri qui jaillit

Cette force cette horreur cette rage qui sont en moi qui font se tordre me nerfs qui tournent qui se heurtent aux parois pour trouver issue qui viennent se hisser hors du ventre et se frapper comme on se fracasse sur les poumons d’où cherchent à jaillir en un vacarme  ne le peuvent  repoussés par la présence de vos regards et mon image de femme ne peut être l’image de la folie terrifiante d’une ménade. Car dehors vous êtes et vous l’entendrez le verrez de l’extérieur mon cri. Je veux qu’il soit en vous. Je ne veux pas de votre jugement. Je veux vous emporter dans mon cri. Qu’il sorte qu’il m’emporte oui mais besoin de le propager qu’il soit accompagné comme les pleurs d’une pleureuse expriment mais font naître plus puisants les pleurs intérieurs qui sont refoulés. Que le cri soit et non plus moi, que la rage soit mais vous habite. Que vous ne me voyez plus mais l’image du cri que vos regards ne me jugent mais le libèrent. Que ma faiblesse de femme tremblante sous son élan refréné libère la force l’absolu la puissance féminines. Que de mes entrailles blessées de mon ventre comprimé dans sa force monte le bruit le fracas la volcanique  puissance devenue cri et qu’avec la force du souffle il heurte écarte les dents se jette en vous, s’y abrite.

Codicille : ai hésité jusqu’à mardi soir à ouvrir cette proposition et à partir d’une phrase de Artaud (toujours peur le lisant de céder à la facile tentation de le rejoindre trop intimement | ce qui n’est souhaitable ni pour moi ni pour une éventuelle écriture) mais… m’y suis risquée, quelque chose est sorti que j’ai écrit, relu, arrêté là et adopté au risque de la piètre trahison

#boost 6 – ces visages, ces regards

Visages tant habités par le feu intérieur qui convulse les chairs les distend les contracte tant modelés par les tensions de ces forces qui les traverse qu’ils en sont marqués pour toujours affichant impunément l’esprit horrifié occupé de lui-même coupé des regards et du monde avec dans les yeux un éclair d’appel muet | le visage calme le léger sourire de celui-ci parmi eux et l’absence de ses yeux où se réfugie le dialogue interne et l’absence au monde extérieur.

Visage de ce corps de femme interrogatif dressé regard à la fois insistant et indifférent dans le visage rendu neutre par une attente distraite fixé sur le visage de l’homme au rictus à demi caché par le chandail dont ses deux mains crispées tordues remonte le col  pour se refuser se dissimuler paupières baissées dans  le refus de voir et d’être pénétré.

Les vieilles mains tordues en gros plan dressées devant le regard qui se laisse apercevoir guettant, les deux mains dont les doigts s’écartent, les deux mains qui retombent dévoilant le visage austère la peau parcheminée les chemins qui y ont creusé les pensées la bouche ouverte sur l’absence de sourire  les lèvres avalées et tordues le regard filtré entre les paupières sans cils dardé en se détournant sur le vide quelle part sur la droite.

Codicille : en feuilletant le livre « Asile » publié par publie.net texte de Maryse Hache (que vais relire ce soir je pense, mais que préférais laisser dormir le temps de tenter d’écrire) et photos de Tina Kazakhisvili

#boost 07 – conjurations

Contempler le pied droit un peu tordu pour adhérer au carrelage sur lequel il est planté au bout du tibia en biais qui porte l’autre jambe | tenter de se réduire à ce petit espace entre la chaussure et le bas de la jambe.

Marcher sur le bas côté d’une chaussée étincelante les yeux perdus sur l’horizon jusqu’à l’épuisement.

Contempler les  cumulus épars en croyant deviner leur nage infiniment lente dans le ciel.

Caresser le haut du front à la lisière des cheveux en écoutant les voix charnelles de nonnes se perdre dans l’éther rythmé du grégorien jusqu’à ce que la main de plus en pus alentie s’immobilise.

Contempler les taches de lumière qui suivent le flot du fleuve en lente et irrésistible coulée.

Ecouter le faux silence de la nuit se dissoudre pour accueillir les premiers bruits de l’aube attendue.

#boost 08 – moments

Un moment qui ne fut pas, ou ne fut pas lui, ou fut indiscernable, qui passa très vite, entraîné, poussé par les autres.

Un moment qui se fit attendre, si longuement que quand il passa ce fut avec une discrétion agaçante, noyé parmi les autres ne laissant que le sentiment qu’il était passé.

Un moment qui s’éternise, distendu par la saveur aigüe d’un rayon de beauté.

Un moment qui fut bref et détestable de la survenue d’une offense qui ne sera pas relevée.

Le moment étrange et choquant où dans la rue on croise avec le regard d’un autre un être que l’on découvre dans un reflet être un soi ignoré.

Un moment où le corps s’active à des gestes répétitifs et où l’esprit libéré s’en va pensant et un moment où l’esprit n’est plus qu’un corps s’activant avec une attention passionnée.

Le moment du réveil quand le corps tente de rattraper l’esprit désorienté qui ne sait ni quand ni où ni quel il est.

Ce moment où le désarroi du réveil est modéré par une poussée de l’humour premier éveillé qui aide à sortir les jambes du lit en prenant conscience du geste.

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

27 commentaires à propos de “#boost #00 à 08”

  1. Merci Brigitte pour ce texte infiniment poétique et tellement en lien entre le corps et la terre.  » travailler le langage comme on travaille la terre, creuser pour qu’advienne nourriture  » ai aimé cette phrase aussi, la langue et la terre. Merci pour la beauté de vos mots et de vos images.

    • un grznd merci à vous pas certaine que cela mérite autant … pas d’unité comme chez certains et parrdon imploré pour mon égoïsme – je lutte contre le temps alors que suis oisive ou presque – tendance à me réduie au plaisir d’être en si bonne compagnie

  2. « trancher la pente de terre et retenir l’effondrement avec des pierre sèches, de terrasse en restanque » et faire tenir les phrases ensemble. Merci Brigitte pour ces images et ces gestes de terres … ( restanque je vais aller voir) « la terre en mer ce mot de l’autre vie » c’est beau

  3. Merci Brigitte pour ce texte magnifique que vos tenir tête à l’acceptation. Oui comment accepter ce que la société, les puissants et tout ce qui se voit et s’entend aujourd’hui ? Comment ne pas tenir tête ? BIen à vous.

  4. je viens de lire toute la suite de tes textes, le chemin de terre et les aiguilles de pin
    et je m’attarde sur le cri #5, enfin sur les visages #6, tes visages qui ne peuvent se dissocier du corps, les mains proches pour dissimuler le regard ou la bouche, les lèvres avalées et le regard vide
    contente de ce chemin avec toi…

    • si grand merci et ma honte moi qui renonce à me battre avec mes mains pour commenter et à trouver yeùps de lire sauf sur le PDF en fin de semaine et qui suis touchée par l’écriiture la composition ou le regard de tel ou telle chaque fois

  5. Première lecture de tes textes de ce cycle et j’entre par ces visages…
    C’est très émouvant cette vulnérabilité des visages miroirs de la vulnérabilité de toutes ces vies. Et tes mots qui les font exister, et quelle langue ! Merci !!!

  6. que les cris toujours viennent trouver abri en l’autre – et à l’inverse il en devient soudain insupportable de réaliser combien de cris restent sans corps ni âme pour les recueillir. Merci de le faire jaillir à ce point d’exaspération.

  7. « un moment qui passe avec une discrétion agaçante » ,et
     » dans un reflet, être un soi ignoré » ,
    comme un sceau pour les moments qui refusent d’être rangé dans les banalités, en contre-point à une monotonie qui pourrait surgir ….

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