# Boot 6 | Des visages maintenant sans aucun bruit

Merci (encore !) à Nicolas qui me fait le grand cadeau de ses lectures !

Dimanche. Journée confondue morose sous le pâle des fenêtres. On dit ou on pense sans vraiment penser. On a la peau automatique des grimaces faciles. On a la vie morne : ni pleine ni exubérante ni comme on voudrait. On plonge l’ennui des têtes engourdies dans les flaques pixel. Pas si loin là-bas bientôt les autres têtes vont croquer l’eau. Toute. On dissimule on n’en parle plus on a oublié. On le sait encore un peu sans savoir. On le sait sans du tout croire. Des têtes glacées tenant contre elles d’autres têtes entre leurs bras, serrant contre elles d’autres corps contre leur corps. Serrés. Ont des faces de nuit. Ont la morsure des dents blanches devant la pluie. Ont sous la capuche le froid étrange des sans pays. Au signal ont couru dans le bruit du sable froissé, ont, jusqu’à la taille, poussé, ont, les autres hissées. Juchées à demi. L’escorte des têtes unijambistes, bien rangées. La femme tête brouillée dit : passe – moi la petite. Pas l’entendre pleurer.  Les têtes unijambistes ont flotté flotté des heures dans l’essence du moteur, brûlé la peau dans l’essence du moteur, monté descendu la vague dans le silence du moteur. Crié. De rage. De terreur. Les têtes ont essayé de dévorer la mer. Toute. Et puis, quand elle en a eu assez, c’est elle qui les a mangées.

Dans cette chambre une tête d’homme-lion. Elle creuse son trou dans l’oreiller. Un oreiller épais et blanc, propice au silence — un oreiller qui invite (s’il le fallait absolument) à parler à voix basse — mais mieux encore, se taire — qui invite à se déplacer délicatement autour du lit, en glissant tout doucement (comme l’oiseau vers le soleil, sans un frisson d’aile) — pour ne pas risquer de la réveiller. La tête de l’homme-lion repose sous une mince poussière de cheveux fins et gris, quelqu’un les a soigneusement peignés pour l’occasion. Pourtant — et c’est un mystère puissant et inquiétant — chaque fois que je ferme les yeux la fine pellicule se hérisse en une crinière fauve — la tête ouvre une gueule immense et partiellement édentée, aussitôt se précipite vers moi pour me déchiqueter. Ses yeux plantés en moi comme deux clous. Soudain elle se brise de rire. Alors je ramasse un à un les débris de la tête de l’homme-lion : ses morceaux de terreurs, ses fêlures d’indicible misère.

2 commentaires à propos de “# Boot 6 | Des visages maintenant sans aucun bruit”

Laisser un commentaire