# BOOST#06 | ces visages

Des visages
il y en aurait des milliers : comment reconnaître un salaud d’un type bien (et les filles ? ) tu peux me le dire ? sur une image, moi je ne sais pas – je regarde ces visages comme je regarderais ceux de mes ancêtres disons – je suis vieux, dans les années du milieu du siècle précédent, bien sûr qu’il y avait des images le plus souvent posées – elles le sont toujours aujourd’hui – de l’entre deux-guerres comme on dit – ça te dit quelque chose ? Instamatic « appuyez nous ferons le reste » ça viendra plus tard – je lis ses histoires, celles de mon grand-oncle, la presse la politique le bey le résident – ce n’est pas que je m’en méfie, mais il y a quelque chose de suranné de vieillot passé révolu un peu comme ces anciennes dents qui subsistent aux sourires des vieillards, je veux bien pardonner si tu veux savoir je veux bien mais c’est tellement inutile et d’abord sans doute ça ne m’est de rien – alors je regarde les images de ces visages, ces autres visages et surtout le sien : sur celle de son mariage (octobre 45) celle où il porte des gants blancs, ses cheveux noirs presque crépus sa redingote, le sourire à peine effacé, ils sont dans un jardin, ça se passe au sud, elle et lui se sont connus dans ces réunions des jeunesses catholiques – là aussi il connut le futur pape, le futur président du conseil aussi ce traître : ces visages, ces visages-là – qu’est-ce que tu en penses, un bal ? une fête ? une surprise partie ? – j’ai regardé les images des cinq morts de ce matin-là en pleine rue – des visages, ces hommes avaient des visages des hommes propres sur eux engagés subordonnés qui gardent les corps des gens qui portent des grades des militaires des policiers c’est encore pire de tuer un policier un pékin on s’en fout quelconque il est mort poussière il y retourne mais un policier non on leur élèvera une stèle au coin de la rue on n’ira pas jusqu’à mettre leurs photos parce que ces visages-là ont une autre dignité ce sont des serviteurs de l’État et à ce titre protégés par lui et la photo a quelque chose de populaire déclassé tout le monde peut en faire une – ils sont des centaines quand on découvre sous la couverture dans le coffre de la 4L immatriculée à Rome le corps du président un matin vers dix heures recroquevillé reposant sur son côté gauche il nous tourne le dos le visage enfin serein ils sont des milliers toute la rue est bloquée des larmes couleront sur les joues des vivant.es le souvenir de ses attentions de ses écoutes de ses conseils une vie ce n’est pas grand-chose, celle d’un serviteur un homme politique dit-on il n’est pas allongé et le samedi suivant on le portera en terre seul.es seront présent.es des femmes et des hommes comme tout le monde des visages graves – pourquoi graves ? s’il se pouvait s’il se peut celui qui croyait au ciel (come disait le poète, sa rose, son réséda) est illuminé par la grâce et attend Eléonora on se dit pour se rassurer qu’il regarde le petit Luca grandir ses cousins et ses cousines on se dit qu’il est plus heureux comme si le bonheur ne pouvait être autre chose que terrestre la foi tu sais ça ne se commande pas mais c’est d’un romantisme achevé c’est vrai c’est ainsi qu’un roman existe quelques mots des vies passées fauchées comme on dit en se souvenant de cette allégorie et ce grand capuchon noir qui cache quelque chose certainement – devant lui pendant toutes ces journées le type portait une cagoule et lui posait des questions idiotes il voyait ses yeux ces yeux-là fatigués sans doute hagards tu crois ? Qu’est-ce que ça fait de parler à une cagoule ? il y a certes quelqu’un en dessous on peut supposer un visage quelque chose d’animé d’affects et de sentiments qui reçoit ce qu’on lui dit encaisse pense réfléchit répond on peut supposer quelque chose comme de l’humanité – un rire peut-être « ah non président pas à moi ça je ne peux pas le croire vous ne pouviez pas ne pas le savoir » des heures et des heures d’interrogatoire, des jours et des jours de réclusion et tous les matins se raser tous les jours qui sont faits prier écrire se sauver

c'est qu'il n'y a rien à en dire juste je prospecte un peu ce ne sont pas vraiment deux chantiers en cours - c'est sans vouloir perdre quiconque que les deux images se mêlent mon grand-oncle (il est de 98) et Aldo (qui est de 16) - dans le cahier (de mon père) comme dans le livre de son oncle, les gens morts sont qualifiés de pauvre je ne sais pas quelque chose du manque de chance je suppose... je pourrais dire ce pauvre Aldo...   

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

3 commentaires à propos de “# BOOST#06 | ces visages”

  1. tant de visages, « pauvres » visages qui ont exprimé tant de sentiments, mais avec toi on les oublie, les visages et les sentiments, on s’embarque pour une longue histoire, l’histoire de types qui se sont mariés dans le Sud, et qu’est ce qui reste d’eux, on ne sait plus très bien…
    moi je retiens  » toute la rue est bloquée des larmes  »
    merci Piero

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