BOOST#05 | CRI
Un pas, un autre. Un berceau. Une coquille éventrée. Une gueule béante. Un nid. C’est une chose chaude une chose brûlante c’est une fièvre. Une coque fêlée qui irradie et diffuse, sa substance m’attire. Je suis attirée. Je ne veux pas je suis immobile la coquille est immobile et pourtant la distance se contracte. Une corde s’enroule dans ma gorge m’enlise me relie à. Cette gueule ouverte me tient m’absorbe. Je la sens. Je le sens comme une chose qui ne s’entend pas qui ne se voit pas qui ne se touche pas, sans parfum, sa présence de plasma gluant. En moi. C’est quelque chose qui se défend dans la ville de la ville. À l’intérieur il n’y a rien il y a, un reflet en germe. Il y a dedans quelque chose qui grandit. Il y a dedans quelque chose qui pousse. C’est un ventre dans le ventre de la ville et dans mon ventre un chemin privé de destination un chemin arraché à la carte et une voix. Fiévreuse qui pousse, une possible naissance. Pas maintenant le miroir. Pas maintenant il fait trop noir. L’air manque. Il faut contenir les choses au-dedans car, rien ne les portera si, fragiles, elles sortent de mon ventre si elles sortent de ma bouche. Nul courant ascendant pour d’un battement gagner l’en dehors l’au-delà de la ville, d’un battement briser son verre, d’un battement trouver dans son paysage le plus aigu. Un mouvement va et vient. Aucune main contre le berceau, le mouvement de lèvres, les miennes. Pas un murmure, un rêve sur mes lèvres silencieuses que j’adresse aux ventres, au possible enfant. Son prénom enfin m’a trouvée je le cède, au nid et la fièvre. Monte tandis que mes paumes s’ouvrent en grand et dedans, la ville patiente attend un cri.
BOOST#04 | TENIR TÊTE
Tenir tête non pas à la ville mais au paysage — un simple mot, un mot de lignes qui fuient, un mot qui s’efface dans la nuit, un mot dont les courbes se cachent dès qu’elles le peuvent — Je suis désormais le paysage dans la ville — un mot sans détails, brouille les perspectives, un mot enfermé dans un cadre, un mot aux grandes masses sombres, un mot annulé par un autre, brouillard — le brouillard est un mot dont la substance échappe aux mains — Tenir tête aux mots sans substance — un jour je crois le brouillard s’est déposé sur mes cheveux a dessiné une couronne pour mon visage dans un reflet je l’ai vue j’ai voulu la prendre de mes deux mains elle a disparu — Je suis le brouillard qui fait disparaître le paysage de la ville — la pluie est un paysage lignes grises obliques elle approche elle s’éloigne condense le brouillard et de très loin tranche, la lumière — un jour je crois la pluie est née dans mes yeux et depuis y loge fait déferler les arcs-en-ciel sur mes joues aux mauvais jours — Je suis la pluie qui délave la ville — Tenir tête aux substances — celle du cuivre du bouclier renversé celle de la plume de l’oiseau mort celle de l’écorce contre ma joue celle des fleurs noires sans parfum — ici les substances s’inversent se mêlent, mentent — un jour je sais j’étais dans le ventre de ma mère, la substance était autour de moi c’était celle de ma mère je mangeais la substance j’étais à mon tour la substance, une substance chaude et sûre elle ne mentait pas elle était ma peau contre ma peau elle était mes veines dans mes veines elle emplissait ma gorge était ma gorge — Je suis aujourd’hui devenue la substance de la ville — Tenir tête aux sensations — le vent n’est pas un mot c’est une sensation qui assombrit le paysage le vent n’est pas un mot il est le complice des nuages qui sont une substance qui sont une sensation de desseins dans le ciel — le ciel n’a pas de substance il n’est pas un mot il est une sensation infinie, elles mentent elles trompent elles perdent — Je ne suis pas perdue dans la ville — j’avance d’un pas de lieux en lieux que je nomme et cueille — j’avance et tiens tête aux choses de cette ville — j’avance et tout se déplie aux creux de mes mains, la carte de mes paumes grandit mes mains grandissent, bientôt la ville au creux de mes mains.
BOOST#03 | PEUR
Je m’assois. Car j’ai peur. J’ai peur de l’intérieur des choses. Peur de l’intérieur de la ville. Peur de ce qui est gluant. De ce qui colle à la peau et à mes pensées. J’ai peur que le noir creuse mes yeux. Que le silence vide mes oreilles. Que le temps pèle les paumes gluantes de mes mains. Que l’air de la ville asphyxie mon nez. J’ai peur des escaliers, du temps qu’ils épuisent le long de leurs marches. J’ai peur des escaliers qui remontent le temps et l’accélèrent dans leurs profondeurs que je ne vois pas. J’ai peur de la pellicule qui ronge ma peau, elle est fine presque imperceptible mais je la sens lorsque je suis assise je la sens lorsque je marche je la sens. J’ai peur de la digestion de la ville. J’ai peur de la forme dans laquelle elle me recrachera lorsqu’elle aura achevé son œuvre. J’ai peur de la matière des choses. J’ai peur quand je ne sais pas si l’endroit où je pose mon doigt sera mou ou dur. J’ai peur de m’enfoncer de passer au travers et de perdre mon chemin au-dedans. J’ai peur de la lumière que je ne devine pas. J’ai peur des ombres qui ont disparu. J’ai peur dans la ville. J’ai peur de mon visage que j’imagine ourler un regard perdu. J’ai peur des sons que je n’entends pas mais que je sens cogner à l’intérieur. J’ai peur de mes pas qui s’enroulent dans le dédale de la ville. J’ai peur de leur silence et de leur précaution comme s’ils devinaient la fine couche de glace et le lac sans fond au-dessous. J’ai peur de croire cette ville peut-être posée sur un lac sans fond. J’ai peur des fondations des choses. J’ai peur de l’effritement du temps et des choses, de ce qu’il avale de moi sans me le dire sans crier gare de ce qu’il laisse derrière lui, des traces dans la boue. J’ai peur de la boue dans la ville y déceler les indices des monstres qui rôdent et leurs empreintes près des miennes. J’ai peur des crocs qui, étincelles blanches se faisant passer pour étoiles, sourient à leurs proies émerveillées par le ciel de la nuit continue de la ville. J’ai peur de ses mouvements, ne suivent pas les respirations des vents que je sens tout autour, ne se réfugient pas dans les voies sans issues, ne s’engouffrent pas dans les béances, ne caressent pas les matières de la ville, les creusent. J’ai peur de ce qui nourrit la ville elle qui attaque dépèce mâche puis oublie, elle se lèche la périphérie sa salive gluante et moi qui suit gluante comme toute chose ici. J’ai peur. Car j’ai été avalée par la ville et je ne sais pas ce que cela signifie vraiment. J’ai peur de m’endormir ici. J’ai peur de m’allonger. J’ai peur de fermer les yeux, mes paupières devenues ennemies chevauchent le paysage en décomposition les sucs de la ville les sucs de la ville, agissent. J’ai peur des mots qui me viennent ou des images qu’ils portent sur leur dos ou de ce qu’ils approchent de la ville sans réussir à dire. J’ai peur de ce qu’il reste de ma voix. Ici je me tais je ne sais pas si elle existe encore ma bouche est fermée je ne veux pas l’ouvrir je ne peux pas l’ouvrir elle est close tout ce que j’entrevois autour de moi est clos. J’ai peur de l’immense clos autour de moi et je ne bouge pas. J’ai peur des papillons contenus dans le moindre de mes gestes s’ils s’envolent quel pont lointain dans la ville s’écroulerait où s’accrocherait quelque ongle croyant encore la proximité d’un sommet. J’ai peur des montagnes à gravir, cette ville ma montagne et derrière une vallée verdoyante ou, une falaise abrupte. J’ai peur du mot réel. J’ai peur de sa matérialité ici, j’ai peur de son mensonge permanent, j’ai peur de sa consistance, gluante. J’ai peur de ce mot-tout qui se suffit à lui-même. Il englobe tout il englobe tout et la ville et moi et détient tout et l’intérieur des choses que je ne vois pas mais qu’il sait lui et les apparences et les matières celles qui font les choses et la ville et moi et transforme tout à sa guise et nomme les perspectives et la mienne par cette ville dévorée je ne sais plus le sens car j’ai peur. J’ai peur et je me lève. Sur mes deux pieds je me lève.
BOOST#02 | PORTES
La chaleur est dans le dos et pousse la sueur est dans le cou et pousse devant elle est verte sombre elle sent l’humidité feuilles immenses brillantes d’une pluie passée une brume légère monte s’y agrippent des racines comme autant de doigt protégeant la porte et son seuil la poignée est brûlante l’air épais il faut être volontaire il faut vouloir entrer appuyer porter le poids de son corps si petit soit-il vers l’avant contre elle actionner les muscles du bras du poignet ferme la main contre pour que le vert cède qu’il s’ouvre la chaleur s’engouffre et le corps pénétrer. L’escalier tourne son béton brut ses marches enivrées s’enroulent un serpent son sang froid son sifflement compter jusque seize ou plutôt un décompte qui s’avance les secondes sont les marches sont le béton l’arbre à la sève rouge comme cette porte seule qu’il faudrait entailler et la façade qu’elle condamne l’œil est minuscule un noeud dans le grand temps de l’arbre qui ne laisse rien deviner du silence ou des jeux de l’autre côté comme il faut basculer dans cet autre versant du monde ne pas sonner ne pas frapper dans un glissement entrer. Lumière jaune très jaune très faible les sons ricochent se pendent aux rais de lumière que les pas piétinent un à un le parfum de jachère ne se dissipe pas accroché aux murs lisses très lisses ne pas reculer ne pas cueillir les fleurs sauvages du chambranle juste une porte blanche comme les pensées volatiles des oiseaux s’effarouchent du frisson de la serrure un grincement avancer. Des grappes de baies vives odorantes garnissent ses panneaux le miel ou le soleil un reflet un miroir quelque chose qui se traverse translucide une transparence qu’on n’ose du doigt effleurer les gonds vibrent la matière s’étire change on devine le ciel ou l’eau elle est grande devant elle s’épaissit au métronome des pas qui approchent les montants appellent comme appelle la mère l’enfant à l’heure du coucher c’est la nuit un demain possible un fruit défendu qu’est cette porte abaisser les paupières penser en étoiles alors quand le corps s’engourdit passer. D’acier et de verre l’hiver quand le ciel s’appuie aux épaules des vivants les poussant vers deux portes un tri deux files un choix deux solutions elles sont neutres elles ne disent rien de l’amont de l’aval elles coupent couche de glace pour surfaces dessous les profondeurs un océan peut-être un monstre peut-être le chant de la porte divise l’âme de la porte cache un dessein peut-être un paysage peut-être d’acier et de verre l’hiver les mains tremblent les joues rouges et la paume contre le battant le cœur refroidi alors traverser.
BOOST#01 | TERRE
ST1
La terre danse. Elle danse immuable. Elle danse les arbres leur bois ses instruments et les feuilles les mouchoirs agités de nombreux doigts. Elle danse elle gronde de volcans en basse continue. La terre danse parée des couleurs de ses âges les plus profonds. Poudres collantes aux joues du monde honteux explosent au ciel ses éclats de voix en fumerolles, parfumées. La terre danse. Tend les peaux où s’abattent ses rythmes claquements de la terre, partition de la terre qui s’ouvre. Jaillit sa langue, langue de terre syllabes-paysage. La terre danse il faut écouter la poussière.
ST2
Ce qu’il faut de salive pour retrouver la terre cette terre cette terre rouge la salive est épaisse comme la terre après la pluie dense. Ce qu’il faut mâcher les souvenirs pour remodeler la terre lui donner forme. Ce qu’il faut pétrir les rêves les échanger contre, une pièce. D’une monnaie inconnue, troquer les verbes gagner, les images qui manqueront à la terre même évanescentes les planter dans la terre l’embrasser la terre cracher dessus la terre non pas en mépris mais en don de soi à la terre ce qui a été semé germera fleurira donnera à son tour à la terre la vigueur de mots neufs gravés de mémoires vives au fond des bouches les plus sèches.
ST3
J’étale la terre sur mon visage. J’étale la terre sur mes bras. J’étale deviens poussière de la terre. Je m’effrite. Je refuse la pluie préfère les cendres rouges de la terre, le fer vieux disséminé aux vents je suis le fer pur je suis un atome seul j’entre dans la terre j’entame un nouvel âge je parle à la terre je lui dis composte-moi dans ma main une poignée que dans ma bouche j’introduis la terre a le goût du sang des lignées que je reconnais et sa poussière je la retiens chaque grain je l’écoute une idée de la terre se répand sur le monde les pensées de la terre partout submergent qu’on ignore tandis. Qu’elles révèlent les destinations des souffles les plus puissants, leur propagande sédimentaire une invitation au retour à la terre : creuser en soi.
ST4
La terre ferrugineuse est l’horizon flamboyant du jour tombant.
BOOST#00 | BOUT DU MONDE
T’approcher par la ville, c’est d’abord l’océan dont les pêcheurs se défendent d’un long empierrement et leurs pirogues à god first à messi à no one cares, elles ne s’agitent pas elles sont bercées, leur bleu plus soutenu que le ciel, leur blanc plus délavé que les nuages, leurs drapeaux plus fatigués que le vent, t’approcher lorsqu’au loin tu n’es qu’une masse grise signalée de sept palmiers parfaits qu’on croirait plantés dans l’eau – où plongeraient alors leurs racines, sans doute dans tes profondeurs jadis fertiles – et les goélands se détournent de ton ombre on dirait qu’ils savent que tu es une fin en soi, la fin d’un paysage ou de l’histoire, peu importe. C’est toi tu approches tu happes tu attires dans ton silence gris qui, à mesure, pas à pas, à pas, à pas, aspire les distances jusqu’à ce que ton gris lointain révèle l’immaculée, tu voudrais, blancheur de ta façade tournée vers l’horizon et alors tes couleurs livrent un secret bien gardé le blanc, le tien surtout, reste plus sombre que tous les orages qui des siècles durant ont frappé à ta porte mais jamais elle n’a cédé bien gardée, fort tu es. Ainsi tu t’imposes chaînes tendues tu offres ta gueule ouverte blanche ta gueule son haleine de six siècles déversée contre les terres contre l’océan contre l’harmattan contre les sables en fines couches corps après corps et ces canons tendus eux aussi t’entourent, un collier à ton cou, ils sont noirs chantent-ils encore ou sont-ils aphones que racontent-ils leur bouches en rond alignées s’étonnent du silence des eaux tout autour et les pirogues au loin t’ignorent, elles savent pourtant ce que tu as enfoui dans ton ventre et dans l’eau et dans le bateau qui partait voiles gonflées immenses que tu suivais de ton regard sublime et la danse des corps avalés que tu chorégraphiais au petit matin, tout petit matin, chaque petit matin. Tes colonnes. Arrondies ouvertes on entend encore dans le silence qui siffle le long de tes parois les chuchotements avisés, quelques ordres résonnent les entends-tu et dévalent tes escaliers s’épandent dans ta cour intérieure, fumier fumant épais colle les talons on titube encore, encore ici les esprits ivres les vapeurs de l’histoire tu les as emprisonnées et pourtant plus près on voit bien qu’ici, depuis cette perspective l’océan derrière et toi devant, tes murs s’effritent à force de contrer les vagues ou de vomir l’ébène, ton blanc nuptial grouille de vers non-dits et pâlit chaque jour chaque jour, chaque jour car jamais tu n’as répondu à la question que la terre, les corps nus et les ventres vides te posaient Ô Elmina as-tu aimé un jour ?