#Boost #8 | Qui nous exile du centre ? *

LE TEMPS N’EXISTE PAS. Le moment serait-il une construction mémorielle ? Une fois que ceci est écrit, tout peut se dire.

Un jour le temps s’est arrêté. Net, sans prévenir. Devant la Grand ’Porte du temps passé, des centaines de secondes, pressées de s’écouler, se sont trouvées bloquées, agglutinées. Derrière elles, des millions d’heures ont accouru suivies de loin par des années-lumière qui éclairaient le chemin pour cette nuée de temporalités bousculées, contraintes d’attendre, de se poser. Toutes ont supplié le temps de revenir comme avant. Il a résisté à toutes les sollicitations de remise en mouvement. Un grand silence a alors envahi l’espace-temps. Il fallait s’y résoudre. C’en était fini de courir après lui. On lui avait trop souvent dit qu’on voulait qu’il ralentisse, qu’il s’arrête même. Le temps s’est effacé. La danse de l’éternité a pu commencer.

Le trou de mémoire est une crevasse aux parois glissantes. Une fois tombé dedans, pour y chercher, tout au fond, on ne sait qui, on ne sait quoi, tu ne remontes jamais.

La procrastination est un pied de nez aux rythmes du temps conventionnellement imposés, aux siècles arbitrairement décrétés avant et après J.C., aux années rétroactivement légiférées, aux dépassements d’heures pénalement sanctionnés, aux délais de consommation étiquetés, à nos morts programmées.

Le trop tard est un acte manqué à l’échelle incertaine d’une destinée.

Pourquoi partir à la recherche du temps perdu quand on sait qu’on a aucune chance de le retrouver intact ? Exactement comme avant, au détail près, avec les mêmes odeurs, les mêmes grains de voix, les mêmes couleurs. Quand les souvenirs affluent, l’instant présent s’efface.

« Bonjour les prisonniers du changement d’horaire ! Si on faisait ça en prison, changer l’heure à volonté, les bienpensants crieraient à la torture. Mais quand on ennuie pour rien les gens qui n’ont rien fait ni rien demandé ça doit être normal… » **

Le temps est l’affaire de ton corps. Ton âme n’a que faire de ce moment-là. Un trompe-l’œil. Un amuse-gueule. Avec un début daté et une fin obligée. Un entre deux fluctuant. Une cadence cadenassée. Ton âme a mieux à faire, hors de ce temps. De ce temps-là.

Koan pour insomniaques. Au minuit de la nuit des temps, la lune a-t-elle lui ? Combien de temps faut-il être dans le noir pour y voir clair ?

Ne pleure plus, s’il te plaît, nounou. Allons, ma vieille bonne pomme rouge. Tu sais quand je te frottais pour que tu brilles ? Ma vieille pomme toute ridée. Ne laisse pas couler tes larmes dans toutes les petites rigoles, pour des bêtises comme cela -pour rien. […] Quand tu pleures comme cela, je redeviens petite…***

Le moment. Le mot ment. Et meurt. Puis un autre moment se meut. Et meurt.
Ce n’est pas le moment d’en parler. De qui ? Ce n’est pas le moment de parler. De quoi ? Ce n’est pas le moment. Ce n’est pas le…. Ce n’est pas… Ce n’est… Ce…Trop tard.

Les rides du temps sur le mur. La peinture craquelée d’un jaune délavé laisse à voir quelques pierres, vieilles comme l’éternité.

Le moment M d’une force F appliquée en A par rapport à un point O s’écrit en langage vectoriel : M = OA ^ F. Cette grandeur qui s’exprime en newton.mètre (Nm) définit l’aptitude de la force F à tourner autour du point O et son sens indique le sens de la rotation. Par moments on a l’impression de tourner en rond. Serait-ce cette force newtonienne qui donnerait au corps l’énergie d’une toupie ?

Le moment de déposer les armes, toutes les armes viendra. Nul ne sait quand ni comment. Il viendra par surprise, quand personne ne s’y attendra. S’il y a encore quelque humain pour témoigner de ce moment, inoubliable. La mémoire de ce temps inconnu ruissellera dans toutes les rivières, se gravera sur toutes les pierres, s’attachera aux racines de tous les arbres, soufflera dans les cœurs éprouvés de tous les animaux. Le moindre brin d’herbe se souviendra et cette pacifique génétique aura force de loi naturelle et universelle. Le plus vite sera le mieux.

Je ne sais qui je suis. Je sais juste : « je suis ». Mon père est le soleil, ma mère est la terre. Ils dansent une ronde de leur temps. Mon temps ? Un instant ? Un battement de cœur.

*Le poète comme un boxeur, Kateb Yacine
**Sms de L.R. un 30 mars 2025 à 12h01
***Antigone, Jean Anouilh

A propos de Eve F.

Rédige des assignations et des conclusions, défend le veuf et l'orpheline, écrit sur le Droit et son envers, la Justice et ses travers, le bien-être et son contraire, les hommes et pas que, le bruit du monde et ses silences, aussi.

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