
Tout devant ils sont trois – trois comme aimantés – entre eux – par les yeux – Deux aux globes exorbités – sans paupières – hallucinés – Exultant de violence – de rage- comme un flux – s’abreuvant l’un à l’ autre – de haine – comme d’une source – une fontaine – ivresse – extase dans l’anéantissement – Le troisième plus posé -figé – comme pétrifié – Mâchoire – front – ailes du nez – tout qui dit Pas de pitié – hostile à la moindre pensée – appliqué – profondément absorbé – concentré sur sa propre bêtise – péremptoire – buté – sans issue – Puis derrière – de côté – barbe d’un homme presque âgé – le regard pointé – vissé sur le coupable – qui pourtant parvient à s’échapper – échappe par le dedans car dehors la foule – l’enserre – le hais – le fixe – le cloue – le crucifix – Au dessus gueule grande ouverte un autre qui hurle – quoi ? Il ne sait pas – juste hurler – tandis qu’inexorable le convoi des faces sans pensée – désertées – hypnotisées – mène le convoi jusqu’au lieu de supplice – Le coupable donc a fermé les yeux et ainsi échappé – Il avance poussé – tapé – secoué – heurté – projeté – par la terrible marée – emporté – soulevé – submergé – par l’immense maelstrom de l’imbécillité – Il a fermé les yeux – s’en est allé – a trouvé au fond de lui un lieu où ils ne sont pas et son visage est concentré – sur cela – sur ce lieu où ils ne sont pas – Et c’est là ce qu’il dit : il peut – malgré tout – y avoir un lieu où il ne sont pas – Il est tant parti qu’à présent on dirait qu’ils l’ont presque oublié – Ils avancent propulsés par la seule force de leur haine – sans plus d’objet précis – Masques figés – ils marchent le cœur battant vers leur propre gouffre où sombre leur intériorité – leur humanité – Ils ne sont plus que destruction – suicide – abolition de l’homme dans le bourreau – poussés dans le grand précipice – Assassins de leur humanité.
Codicille : D’après « Le Christ portant la croix. » de Jérôme Bosch