BOOST #6# Dé-visagement

Visages absents, regard absent.   Comme des fourmis laborieuses, toute l’attention tournée vers les tâches en cours. Des bras, des mains, comme des pattes d‘insectes s’agitent, vite,   consciencieusement,  mécaniquement.  Sans regards échangés. Mornes , apathiques, des yeux tournés vers le dedans . Ne pas dévisager . Chacun à sa tâche. Dans cet espace, relier le point A au point B, rien d’autre ,  le plus vite possible . Une toute petite trajectoire dans l’immensité des réseaux de possibilités. Alors pas de visage aimable, juste calculer mentalement le temps exact du déplacement, du geste. Regard fixe persistant. Toujours absent à soi et aux autres. N’être que rouage invisible. Lent processus et déshumanisation. Juste des silhouettes. Mais aussi se relier à son autoportrait sur l’écran de démarrage de son mobile, une partie non négligeable de soi- même , semble-t-il. Imaginer vouloir en dire plus, échapper à l’anonymisation, même un bref instant. Un soi même augmenté , furtivement ?  Superficialités inénarrables. Une aliénation orchestrée. Une aliénation volontaire.  Une falsification .

Ballet continu. Toujours des regards qui ne se croisent pas, s’évitent . Des mâchoires serrées . Ne pas laisser échapper une parole. Des épaules tendues, sous le poids du contrôle , de la contrainte. Des silhouettes. Encore des silhouettes. Juste des silhouettes indéfinissables. Les pieds comme identité visuelle. Ne pas décoller le regard du sol. Mais écrans et réalité , reliés , sur les chemins des identités sans visage. Une rumeur circule : une banque de données des visages, des regards, des sourires, des démarches, des expressions grimaçantes, anxieuses, débordées, … tout est en stock. Tous, remplaçables, tous, substituables . Aspirés, et sans retour. Au gré des errements des uns et des autres. Une main invisible . Ne subsistera qu’ empreintes évanescentes. Douter , non. L’essor des technologies, gommer le singulier. La folie des uns et des autres. Et avant l’essor des technologies, la mémoire des conflits , des enfermements, des exécutions, des aliénations.  A l’impossible présence, substituer une foule taguée sur des palissades . Présences substitutives. Mais présence mémorielle.

Témoigner de l’absence de l’autre, de ceux qui n’y sont pas, de ceux qui n’ont pas parole. Convoquer la mémoire par un trait dessiné, répété, une couleur emblématique. Un cercle , un visage. Deux taches, deux yeux. Un trait , une silhouette . Des traits simples, répétitifs, identifiables. Tenir.  Ne pas se décomposer.    

Codicille : 3 artistes en filigranes : Gérard Zlotykamien , Zoran Music et Christine Canetti. NB : Le visuel est un dessin de Gerard Zlotykamien ( actuellement exposé à la Galerie Mathgoth , à coté de la BNF Mitterrand dite Tolbiac aujourd’hui)

white concrete wall and floor

A propos de Annick Nay

Des bords de Loire aux bords de Seine, des paysages, un parcours... A toujours aimé écrire au gré des saisons et de ses pérégrinations … ECRIRE quelquefois, souvent, pas du tout … ECRIRE des brèves, des textes longs, c'est le texte qui décide … ECRIRE quand l’écriture fuit … ECRIRE explorer , persévérer , partager … Publications: texte poétique dans la revue Filigranes (2004) Labo écritures à Vézelay ( 2004), écritures et photos. Catalogues d’artistes, au gré des expositions et des galeries. En ligne «Raconter la vie» avec le pseudo Clotilde N.(2015) Animation ateliers d’écritures çà et là Installation Pavillon de l’Arsenal 5/02 au 17/03/2024 I«Paris en 2050»

17 commentaires à propos de “BOOST #6# Dé-visagement”

  1. Les dessins sont magnifiques et votre texte les magnifient totalement. Beaucoup aimé ces visages absents, ces corps qui semblent sans visage, sans vie, juste de la mécanique, de la technologie, c’est un très beau texte, merci.

  2. Oui merci Annick pour la considération apportée à ces visages anonymes qu’on voit sans prendre le temps de les regarder. Quand va-t-on les entendre ? Merci aussi pour ces dessins. N’est-ce pas à travers eux que les artistes donnent paroles à ceux et celles qui ne l’ont pas ?

    • Merci Marie . Je suis touchée par ce retour. Le visage, la parole , c’est ce qui donne dignité Ca me semblait important de pouvoir déplier les choses Et le travail de Zlotykamien , c’est justement par ses dessins sur des friches, des palissades, des murs abandonnés, de redonner une  » existence » aux ignorés du système social. C’est un artiste qui a à peu pres 80 ans, son travail est considérable. Le texte avec ses dessins s’est presque imposé comme une evidence pour moi.

  3. comme tu écris cette déshumanisation, ça fait froid dans le dos. Effectivement ce qui ce passe sur le visage se prolonge dans le corps, et tout cela vers des silhouettes. J’ai aussi évoqué un visage en quelques traits mais sans lui donner autant de densité que tu ne le fais. merci pour ces visages, cette société même !

  4. ‘N’être que rouage invisible’… ‘Tous, remplaçables, tous, substituables’… ‘Gommer le singulier’… sous ta plume, l’humain ‘déshumanisé’ est mis en forme, en mouvement… j’ai même envie de dire : mis en valeur… pour nous amener à voir cette réalité, à en prendre conscience.
    Encore un texte fort, plein de sens.
    Merci.

  5. ne commente pas.. parce que honte he be lis pas tout.. suis trop lente, parce que mes mains ont un amour entêté pour les fautes de frappe, parce que suis sure de ne pouvoir rien apporter par mon commentaire mais là juste pour une fois vous dire : fort

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