Tout part des reins, du haut du creux des lombes. De chaque côté de la colonne vertébrale la chaleur d’une force vive me porte sans cesse vers l’avant. Mais parfois la force gèle, vire au bleu nuit, ne tient plus rien. Devant moi s’ouvre un gouffre. Souvent je tombe.
C’est d’abord un frémissement des eaux vieilles. Des terres spongieuses du marécage émerge le gémissement monocorde des aïeules et aïeux. Une plainte sans timbre, une fondamentale sourde, presque aussi plate que le cardiogramme d’un mourant.
Je pose sur mon nombril une rassurante main mère et de l’autre pétris les muscles du bas de mon dos. J’abreuve de sang neuf les fibres endormies, oxygène les eaux. Elles s’agitent, de petites bulles boueuses bousculent la surface, ponctuent la plainte de tressaillements craintifs. C’est l’effervescence, trop d’agitation et d’un coup la peur surgit, d’un bloc, la peur. Le bourbier redevient bourbier. Les mains tombent, ne peuvent plus rien qu’enserrer le visage atterré entre les paumes tièdes.
J’avale l’eau par bidons. Sans soif je bois. L’eau draine, ma peau suinte je transpire ruisselle des eaux salées lumineuses comme les franges d’écume de l’océan, j’urine je cascade des eaux claires à peine ambrées. L’eau n’emporte rien des boues. Mon corps refuse l’excès de liquide. Mes reins n’en peuvent plus de filtrer sans raison. Ils s’épuisent. Les tissus retiennent l’eau. Des oedèmes déforment mes jambes. Mon visage bouffi s’effondre. Fatigue. Ma bouche s’assèche. Ma langue enfle, gonfle, énorme, occupe bientôt tout l’espace de la bouche, repousse le palais, désarticule les mâchoires. Je cherche mon souffle. J’étouffe. Et soudain, comme un abcès crève, la langue se fissure, un liquide tiède s’en échappe, il emplit la bouche, s’écoule le long du menton, je me penche et ça coule, ça coule et ça dégouline. Ma langue dégorge, se vide. A mes pieds, une flaque d’encre noire.