Calme, assise en coulisse, à cour, sur la banquette rouge, confortablement installée.
Ça pulse au dedans de moi, le cri circule à toute allure, il déménage, me fait suer à grosses gouttes, mon odeur m’incommode, mes partenaires vont s’en rendre compte, à l’intérieur le cri affolé ou excité, tourbillonne, soudain il descend du côté du bassin, il presse ma vessie et l’urine ne peut plus attendre, elle est prête à jaillir, je me concentre, le cri remonte dans ma poitrine, sensation d’étouffement, il passe en trombe dans mon cou, contraction, il vrombit dans ma tête, les yeux me piquent, les oreilles bourdonnent, hurlements d’acouphènes invisibles, ça dure comme une éternité et le cri redescend dans la gorge, ça me gratte, ma voix s’enroue, je racle pour m’en débarrasser, je crache discrètement, le cri poursuit sa trajectoire infernale, il tétanise mes muscles, provoque des crampes, je me lève, me rassois, me relève, me rassois, il fonce jusqu’aux extrémités, mes mains, mes pieds, mes paupières tremblent, mon souffle s’accélère, se bloque, alternativement.
Et là, j’ai peur, le cri est dans mon coeur, les battements s’amplifient, cognent sur mes tempes en feu, je suis abasourdie par ce cri, ce cri silencieux ! Et lui, il continue sa route, il torpille ma mémoire, les syllabes s’amalgament, les mots s’emmêlent, les phrases se chevauchent, fusionnent, le texte fuit, s’enfuit, ne reste plus qu’un maelstrom puant, verdâtre, puissant. C’est alors que j’entends la musique qui finit l’acte et la fameuse réplique qui me donne le signal, je me lève de la banquette rouge, je ne suis déjà plus là, j’ai disparu, le cri m’a aspirée. C’est Médée qui entre en scène et moi au dedans d’elle, je lui souffle son cri: « Tu t’abuses, Jason, je suis encor moi-même ».