
Portrait de Minouche Pastier 1947- BEAUBOURG
Crier serait défaite
Quand la parole fait défaut, crier. Crier mais … La parole , signe d’appartenance à l’humanité. Le cri , un registre, un genre, une espèce, une appartenance, un signal, une alerte, un désespoir, une incapacité … Une échappée sonore où tout le corps résonne dans la douleur, dans l’effroi de ce qui ne peut , autrement, s’exprimer. Un mode de l’urgence. Des images… le vol des corneilles dans le film d’Hitchcock … Happée par une réalité ou par des spectres de scènes , les yeux fermés bien trop tard, l’image s’est fixée dans des limbes mémoriels et resurgit, ravivée par un détail, un souvenir , qui comme un déferlement, submerge. Le cri reste au fond de la gorge, spasmes de tous les muscles du cou, spasme du larynx , spasme du diaphragme , corps tétanisé, dissocié, apnée. Le cri voudrait , le corps ne peut. Aucun son . L’air manque. Cri muet. Souffle absent. De la plante des pieds à la racine des cheveux, tout le corps est un cri muet , hors de soi, mais avec soi.
Crier serait défaite.
Avant. Après. Avant le cri. Apres le cri. Sur place. A l’arrêt. Le corps semble s’être absenté. Une défroque. Un pantin. Un épouvantail, peut-être. Comme une noyade, il faudrait retrouver l’impulsion qui permet de remonter à la surface et prendre un peu d’air. Mair l’air est irrespirable . Ça brule. Ça pique. Ça ne peut se respirer. Le corps n’y consent pas. Panique. Doucement, lâcher. Curieusement, ce sont les mollets qui donnent le signal et lâchent la tension, puis les fessiers, les hanches, le ventre, les épaules et enfin le diaphragme qui semble à nouveau se réajuster, dans un regain de souplesse. La panique semble céder . Mais il faut le vérifier . Réaccorder son corps. Synchroniser ce qui fut, sera, tête , tronc, membres , tout le corps. La glotte mobile à nouveau. Se parler doucement, chuchotis intérieur, son coupé, colloque singulier et bienveillant, pour soi-même. Intérioriser. Se questionner ? A venir, séquelles ? stigmates ? cicatrices ? Traumatisme, syndrome post traumatique, réitératif ? Ou bien banalisation, vivre comme avant, comme si rien…
Crier sera, peut-être, une défaite.
Le souffle, léger comme la pointe du pinceau, calligraphie l’inspir, puis l’expir, et à nouveau, le rythme s’installe. Mouvement vital retrouvé du corps. Apaisement. Le reste est encore à écrire.
Codicille : Pas du tout à l’aise avec Artaud . Je connais très mal et l’homme et ses œuvres. Vu quelques vidéos dans des expos, où il déclamait ses textes. C’était pour moi difficile à supporter. Je ne ressentais que la souffrance de cet homme.
« De la plante des pieds à la racine des cheveux, tout le corps est un cri muet , hors de soi, mais avec soi. » merci pour cette itinérance à travers un corps qui veut, qui pourrait mais ne crie pas. Puis l apaisement après l ‘écriture d’une retenue douloureuse … merci
Merci à vous, merci pour votre lecture. Artaud , c’est bcp de souffrances, alors il me semblait important de donner à voir sur la souffrance et en même temps de pouvoir clore sur autre chose que la souffrance. ( qui, à son époque, était souvent les conséquences des traitements eux mêmes ) Et puis pouvoir considérer Artaud au delà de la souffrance , pour laisser toute la place à ce qui a fait disruption dans le milieu artistique.
Merci pour ce portrait, merci pour ces mots, merci pour le corps et le cri.
Quand on écrit un texte, quelque qu’il soit, on se sent souvent un peu seul. Alors un retour , un commentaire sur le texte remets du lien, de la circularité entre l’acte d’écriture et celui de la lecture, une belle dynamique . Merci pour votre lecture et votre commentaire.
Encore une superbe texte !
Cette tension du corps… on la ressent.
Merci pour la lecture et merci pour ton commentaire . C’est très plaisant d’échanger sur nos textes