# Boost 4 # Tenir tête à

Tenir tête à l’annonce – du cancer – « J’ai une mauvaise nouvelle Monsieur mais la médecine à fait de gros progrès et on peut espérer aujourd’hui une échéance à cinq ans » – « Cinq ans avant d’être guéri donc ? » – « Non » – Silence – Une distance infinie se creuse instantanément entre lui et moi – D’un côté du bureau la vie – la sienne – de l’autre la mort – la mienne – Le choc ne laisse de moi aucune particule indemne – Mon attention s’est d’un coup resserrée dans un état d’ extrême concentration – C’est un saisissement – une agression démesurée – Et pourtant je la reçois calmement – presque avec politesse – C’est que mon être au delà de ma conscience a pris le relais – Il tient tête à la déflagration – Il me maintient debout – On vient de mettre dans mes mains une bombe – il faut que je la pose hors de moi – sans paniquer – que j’arrive a créer une distance – Ma respiration, alternativement, se bloque puis s’étire – lente et très profonde – J ‘écoute les étapes à venir que le médecin énonce : Ablation du rein droit dans la semaine puis enclenchement d’un protocole oncologique contre les métastases dans mes poumons – « La médecine a fait de gros progrès » me redit il comme on passe doucement sa main sur l’épaule d’un condamné pour qui on éprouve de la peine – Je suis en état de choc mais je ne le sais pas – Me voilà sorti du bâtiment –J ‘ai besoin d’arrêter de marcher un instant – je m’arrête – Je suis immobile dans l’allée – C’est la fin février – le ciel est clair – d’un bleu joyeux et l’air est doux – C’est un de ces jours de fin d’hiver où l’on sent vibrer l’impatience du printemps qui se faufile – L’air frais empli délicieusement mes poumons – L’émotion me submerge – Des larmes me montent aux yeux en même temps qu’ un élan de vie extraordinaire – Il faut maintenant prévenir ma femme – C’est tellement étrange de saisir son téléphone et de dire à la voix aimée qui décroche : « Mon cœur j’ai une nouvelle pas formidable – un cancer de stade quatre – on me donne cinq ans max à vivre » – Mais elle est forte ma femme – j’entends le choc en elle là bas de l’autre côté du téléphone – j’entends aussi qu’elle mesure l’ampleur de ce qui nous tombe dessus et qu’elle aussi tiendra tête – « Rentre vite – on se retrouve à la maison » dit elle – L’angoisse est une douleur diffuse – un envahissement sans objet précis – un fantôme qui nous dévore sans se laisser saisir – elle use – épuise – nous écrase de l’impuissance dans laquelle elle nous plonge – Le cancer est d’une autre nature – Je le sens – Là sous ce ciel de printemps une révolte colossale est en train de naître – Les bushmen d’Australie – je l’apprendrais plus tard – ont une coutume nommée « Le pointage de l’os » – Lorsqu’une personne du clan est condamnée à mort par la justice du groupe la communauté se réunie – Le chef tend le bras et pointe vers le coupable sa main au bout de laquelle il tient un os de poulet – Ce geste vaut sentence de mort – Et systématiquement dans les jours les mois qui suivent le condamné meurt – Je repenserais plus tard à ce médecin qui me fait face le comparant à ce sorcier pointant son os sur moi – Et – tout en suivant scrupuleusement les soins oncologiques – nourrirai en moi la force de le lui arracher cet os – malgré tout le respect que je dois à la médecine.

A propos de Laurent Peyronnet

Depuis une vingtaine d’années, je partage mon temps entre le nord de la Scandinavie et la région lyonnaise où je réside. Je passe environ cinq mois sur douze sur les routes de Laponie ou j’exerce le métier de guide touristique et le reste du temps, j’essaye d’écrire. J’ai publié trois romans jeunesse, quelques nouvelles et contes. Je fais aussi un peu de musique et de dessin. Je n’ai pas de site internet mais vous trouverez l’actualité de mes romans jeunesse sur la page Facebook : "Magnus saga" J'anime également de façon intermittente la chaine Youtube « Quelque chose à vous lire » ; vous y trouverez actuellement une soixantaine de lectures vidéos dont : Raymond Carver ; Bob Dylan ; Joyce Carol Oates ; Selma Lagerlöf... et plus modestement, quelques uns de mes textes.

7 commentaires à propos de “# Boost 4 # Tenir tête à”

  1. suis sans voix, (heureusement j’écris) ton texte est puissant, simple et limpide, merci pour cette lecture, ce moment chargé d’émotion, de force, d’angoisse et de noblesse. émue et Impressionnée, chapeau, Bravo !

    • Merci à toi Clarence. Un petit message pour dire que tu ne sais que dire c’est déjà dire et ça me touche sincèrement. Pour te rassurer et les autres ami.es qui liront mon texte, depuis l’annonce, il y a quatre ans, j’ai réussi à reprendre l’os des mains du médecin : je suis en rémission et même si pas guéri, j’ai beaucoup repoussé le diagnostique initial. 🙂

  2. …J’imaginai qu’avec une proposition pareille c’est à dire si potentiellement profonde, ce sujet, si grave et mystérieux pour qui ne l’a pas vécu dans sa chair, ferait jour au milieu de tous ces textes magnifiques. Voilà à quoi sert pour moi entre autres la littérature, se mettre très très près dans la peau de l’autre pour en ressentir les palpitations… merci pour ce texte fort et percutant au coeur.

  3. Merci à toi Eve et oui, entièrement d’accord avec toi : « se mettre de très près dans la peau de l’autre », c’est beaucoup à cela que sert la littérature. Pour comprendre, ressentir, tracer des canaux d’empathie et se donner, les uns aux autres, des armes pour affronter les épreuves de vie.

  4. Enoncer cette sinistre rencontre à la première personne est un exploit. Merci Laurent pour cette approche chirurgicale de l’annonce impossible à « encaisser » et pourtant reçue en pleine conscience. Il n’existe aucun manuel de conduite à tenir devant un sorcier, sinon l’instinct de lui retirer son pouvoir maléfique… « Il y a un os  » dans cette relation asymétrique que tout le monde subit un jour ou l’autre… C’est là que l’alliance thérapeutique prend tout son sens et son utilité. Lui sait , ce que l’on ne savait pas… Lui interprète les signes et les assigne à résidence dans un esprit qui veut fuir la sentence. La récuser semble la seule chose saine à faire dans un premier mouvement de révolte. Pourquoi moi et pas lui ? Ce texte est une antidote à la résignation. Tenir tête… haute devant les sournoiseries du destin , un os volé au passage, comme témoin d’une course de relais entre la médecine et soi. Merci !

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