La vie des premières fois , qui nous a ému, effrayé, fait grandir, les grandes étapes dont nous ne nous rappellerons probablement pas , ou alors trop bien… qui resurgiront peut-être, cryptées, douloureuses, énigmatiques… Comme une caisse de résonnance, le tempo d’une existence, souhaiter les effacer, réinventer, jouer à nouveau . Faire palimpseste. Comme on dit « faire relation ».
Dent de lait et petites souris : et si la petite souris oubliait ?
L’entrée dans la « grande « classe, fini la maternelle et ses coloriages. Il s’agit désormais, assis sagement de lire, de compter . Pour certains, une épreuve de force , pour d’autres, une joyeuse gymnastique . Se rappeler toujours du dernier rang, peu sollicité, trop lent, hésitant, bafouillant, la machine de guerre sociale en marche. Aujourd’hui, je souhaiterai tellement les serrer dans mes bras , et leur dire que « oui, c’est possible » avec vous, avec nous, tous rangs confondus, joyeusement mélangés . Juste donner un peu plus de temps. Juste mieux expliquer. Juste répéter tranquillement ce qui n’a pas fait sens. Juste ne pas soupirer d’agacements . Juste ne pas, ne pas, ne surtout pas… Ne pas priver d’avenir les futurs poètes , les « saute ruisseaux » qui chaque jour inventent , en différé , ou qui choisissent leur moment , qui réfutent les assignations à dire au bon moment une évidence .
Et la peur des recommencements … qui paralyse l’action. Comment faire pour sembler oublier, oublier semble impossible, et malgré tout , conjuguer un oubli pratiquement impossible et faire comme si … Comme si, acteur en somme de tout ce qui échappe.
Ainsi l’enfant cheminait, l’enfant grandissait et l’enfant hébétait . Sa marâtre de mère lui avait confié, sans gêne et sans remord, comme si c’était possible, « si sa génération avait pu disposer de la pilule contraceptive, il ne serait pas né » . Vivre dans le non désir. Être une fille dans une fratrie de garçons. Être le garçon dans une fratrie de filles. Être le garçon que personne n’attendait. Et vivre comment, si vivre est bien une option. Ou bien vivre en modèle réduit , moins bien que … un rabougrissement invisible aux autres, un ratatinement de l’ existence , ne pas faire d’ombre . Le vrai enjeu, ne pas faire d’ombre. L’ombre est juste à l’intérieur de toi et tu ne peux l’exposer. Un dialogue intérieur impossible à élaborer. Car la compréhension du monde vient des mots, des phrases, des intonations, des sourires qui les accompagnent, d’une tendresse partagée. Et là, tu ne disposes pas de ce registre d’expressions, qui ajoutent au registre heureux des uns et des autres. Et dont tu ne disposes pas .
Choisir sa vie. Choisir la trame de sa vie . Choisir c’est certes renoncer mais comment renoncer à quelque chose jamais donné ? Partir, voyager, expérimenter , comme un nouveau-né, se redonner toutes les chances. Le mot chance reste coincé dans la glotte. Et chances au pluriel, si ce n’est pas une faute de frappe, fait franchement injure.
Alors il y eu un premier travail, puis un deuxième plus valorisant Était-ce le bon chemin ? Il ne savait pas. Il ne se sentait jamais à sa place . Il y avait une discordance fondamentale. La peur des fausses notes, la peur de ne pas être dans le bon rythme, la peur de ne pouvoir s’exprimer avec justesse , la peur de ne susciter aucun intérêt, la peur contre laquelle il se battait , toujours incontrôlable, pernicieuse, fourbe, autant qu’elle le pouvait .
Parfois juste une petite peur, un doute, une hésitation. Parfois une peur invalidante, impossible à gérer. Les autres retenaient alors son incapacité à être présent dans la situation .
La peur mine. Il faut tant d’efforts pour faire comme si. Comme si , pour de si maigres résultats . Non pas ce que les autres perçoivent, mais ce que toi, tu ressens profondément .
Ne pas affronter de nouvelles situations, faire retour en arrière, cultiver, espérer , retourner dans le lieu où il naquit et les paysages qu’il chérissait.
Mais là aussi tout avait changé. Sauf lui qui ne changeait pas, ou presque pas, un lent rétrécissement.
Il y eu des bonheurs, des aventures, des heurts, des douleurs, des incompréhensions, des ruptures , des deuils inconsolables . Tant de douleurs. Et tant …
Un constat d’impossibilité le laissa au bord du chemin. A jamais.
Codicille Je voulais juste donner à voir comment la peur, les peurs s’arriment au personnage. Donner à voir sur le processus possible , processus singulier pour chacun, et les impacts.
Alors c’est réussi ! On comprend les tourments de ce personnage ses questionnements, ses incompréhensions. qui le mènent à une certaine désespérance Merci Annick
Effectivement j’ai opté pour ce personnage pour une peur envahissante. Et j’ai déroulé ce fil. On pourrait imaginer aussi raconter des personnages avec des variations différentes , des plus légères aux plus lourdes, comme une palette de peintre avec tous les dégradés possibles de la couleur. Merci Marie pour ta lecture et ton commentaire encourageant.
Annick,
J’ai une affection particulière pour ce texte. Je m’y retrouve en tant que femme. Ces premières fois, l’école, choisir sa vie, vouloir trouver sa place, avancer reculer…
Et cette impression que dans un premier temps tu t’adresses à tes lecteurs, les invite à s’identifier à ce que tu écris pour ensuite glisser vers le personnage. Belle performance !
Et, j’adore le passage autour de ceux du dernier rang. C’est tellement juste !
Et, ‘ L’ombre est juste à l’intérieur de toi et tu ne peux l’exposer’, ‘comme un nouveau-né, se redonner toutes les chances’, oui !
Au plaisir de te lire à nouveau (avec moins de retard, et encore une fois mes excuses).
Je t’embrasse.
Merci pour ton commentaire J’avais en fait des choses assez précises en tête, c’est venu comme ça, un déroulé implacable. J’espère te lire prochainement Des bises