Nous eûmes à la gorge ce nœud de salive noire, un vent de cendre gagnait la place: le bruit aussi nous alerta, un feu invisible crépitait, il crevait le silence
Il y eut cette détonation suivie d’un jaillissement d’étoiles qui retombèrent en pluie , elles semblèrent fondre
Nous basculâmes dans une boue de bras, de rats, de viscères, d’os ; des lueurs fauves tournoyaient comme des phares éclairant notre abime
Nous vîmes des mains cherchant un corps, des yeux un visage ; des voix fuligineuses imploraient la mort ou simplement mendiaient un nom
Nous redressant nous nous tînmes serrés comme des quilles, grelottant dans nos laines souillées, l’une contrebalançant l’autre
Debout dans cet équilibre instable les jambes baignant dans le bourbier nous aspirâmes la fumée âcre avec ce relent de chair cramant
Nous balançâmes, vacillant sans choir: soudés nous étions, comme un seul corps fractionné
Ce fut sa tête qui partit la première projetées vers le ciel couleur de souffre, comme un ballon au pied ; comme quand nous jouions et nous crûmes deviner un sourire sur ce visage déjà mort, comme un adieu calme
Mais le sang jaillit et il nous aveugla
La pluie nous lava
C’est juste au point du jour que nous surprîmes ce corps renversé sur le dos nu entièrement et d’une pâleur de nacre, le sexe dressé comme un cierge votif préservé de la boue et du sang, avec comme deux ailes décharnées attachées à ses bras
Et ses longs doigts cloniques semblaient battre le temps
Sa beauté nous saisit
Nous attaquions l’autre versant du terrible
Nous exultâmes
Et dévorant sa chair d’une douceur de fruit nous sombrâmes dans un parfait oubli
Voilà! c’est mon rêve dit-il se levant; nous l'applaudîmes. Ceux qui avaient perdu un bras poussèrent des cris. D'autres frappèrent le sol avec leurs béquilles. Son récit nous arrachait à ce couloir où nous allions mourir. Ce n'était pas le plus effroyable : quoi: mourir. Qui prend son tour lança-t-il. De nos nuits ne survivait pas une image, qu’il fut seul dépositaire de notre enfer nous le pensions : nous restâmes sans mots. Alors elle entra, elle dit : je suis Blanche – nous reçûmes son nom comme une consolation. Elle avait les yeux noirs et la taille d'un enfant. Elle pansa le premier sur sa liste sans noms, une odeur d’éther flotta. Nous y plongeâmes...
Tout est faux. Tout est vrai : Blanche c'est nous, Blanche c'est elle qui tape dans le noir. Nous devînmes son histoire.
Elle dit : le passé simple est cette armure traversée d'âmes il rend invulnérable à soi . Elle dit : nous est l'autre nom Elle dit : l'indifférencié n'est pas la désaffection
Elle se souvenait du Radeau, elle se souvenait de ces études de pieds et de mains de la série des fragments de cadavres, de ce bras arraché enlaçant une jambe sans corps ; elle avait vu beaucoup de morts dans le livre
Quelle puissance vous avez. Terribles chocs de tous vos mots. Ils nous mènent à l’indicible, nous y plongent. Et l’on ne ressort pas indemne à vous lire. Il y a un avant et un après l’effroi. Merci Nathalie même si le mot merci n est pas le plus approprié.
Nathalie est-ce un frisson un effroi une déformation on se sent aspiré par votre rêve, que l’on pourrait intégrer voire poursuivre, génial…
C’est hallucinant, tout ce que tu produis, d’une telle perfection et dans tous les domaines. C’est une nouvelle parfaite et tu as dû l’écrire en un rien de temps… C’est tellement abouti. Avec des sous-couches…
C’est vrai incroyable ce texte, charnel, visuel , violent . Et puis ce deuxième texte qui invite à relire le premier. C est vraiment très fort. pourrait dit et joué. Bravo Nathalie
Ugo, Raymonde, Anne, Carole merci beaucoup de vos lectures et retours sur cet exercice
ouh la la c’est d’un violent… mais évidemment l’évocation des tranchées est très réussie. c’est drôle parce qu’en découvrant ce « nous marchions » de Volodine j’ai tout de suite pensé au début du long dimanche de fiançailles de Japrisot. Les 3 pioupious qui marchent vers la mort… Et j’en ai gardé juste le climat de guerre. Bon, et je suis assez d’accord avec Elle sur le passé simple dont on retrouve le goût dans cet exercice. Merci
Merci beaucoup Catherine ! ( je crois avoir entendu cauchemar après – j’ai toujours tendance à noircir)