C’est ensemble que nous les avions conçues, il fallait qu’elles soient rouges, il fallait qu’elles soient brigades. Nous savions qu’elles étaient révolutionnaires, nous voulions démasquer l’Empire, nous étions quatre mais nous serions dix mille – et bientôt le pays tout entier et pourquoi pas le monde ? Nous les voulions fortes, nous les voulions invincibles. Nous avions l’amour la jeunesse comme disait le poète. Des années durant nous nous étions battus pour des logements sains alors qu’ils étaient pourris, pour éduquer les enfants alors qu’ils étaient laissés livrés à eux-mêmes ou pire réduits en esclavage, pour leur faire obtenir des livres et des cahiers, pour qu’ils s’élèvent et qu’en mains ils prennent leur destin et conduisent le monde vers un avenir meilleur – peut être pas radieux encore pour nous mais pour eux, oui. Pour eux. Et aussi pour leurs parents, pour qu’ils obtiennent une retraite décente et que les patrons y contribuent, des conditions de vie dignes, des salaires suffisants. Pour nous aussi, parce que nous voulions des enfants, nous les voulions libres et instruits, nous étions ambitieux et nous voulions vivre comme nous l’entendions. Nous riions alors. Nous étions quatre mais nous serions cent et bientôt des milliers, nous avions la foi et nous avions raison. Nous nous savions les plus forts parce que nous étions unis et tendus vers un même idéal. Nous voulions tout et nous aurions tout
Nous rêvions
Nous les enlevions, les séquestrions les nourrissions les soignions, nous en occupions et contre eux nous venait de l’argent. Des patrons et des juges. Nous les relâchions. En bonne santé ils arrivaient chez eux et leur famille les embrassaient : des survivants, des otages, mais surtout peut-être des hommes, blancs. Certains allaient même jusqu’à nous remercier. Nous n’avions que faire de cette dimension, nous étions en train de réaliser une révolution, à bas bruit peut-être mais nous savions qu’elle s’amplifierait. Nous en étions convaincus. Nous agissions chaque jour, chaque minute pour qu’elle advînt. Nous achetions des armes. Nous achetions des caches, des lieux, des endroits, des refuges. Des faux papiers et des habits neufs. Nous nous faisions passer les un.es pour les autres, les autres pour les un.es. Il y avait de la joie, de l’assurance et de l’entraide parce que nous savions trouver chez n’importe qui quelque chose comme de la sympathie, du partage et la reconnaissance. Nous ne prenions jamais nos cibles au hasard, en abattre un pour en éduquer cent était une devise à laquelle nous adhérions. Nous n’allions pas encore jusqu’au meurtre, nous mordions et nous enfuyions – nous blessions et nous en riions – nous affaiblissions les fascistes que la guerre n’avait pas réduits : ils étaient toujours là (ils et elles, sans doute) ils vivaient encore et s’entouraient d’armes comme nous, de bombes comme nous, mais les comparer à ce que nous sommes étions a quelque chose de vulgaire, grossier fruste stupide obtus comme ils (et elles) le sont – nous vivions pour un idéal, nous avions pour nous notre propre morale laquelle était vraie, aveugle mais vraie – on ne peut pas savoir : nous ne pouvions pas nous en rendre compte, nous ne savions pas ce que nous étions en train de construire mais nous avancions sur le chemin de la liberté et la joie de vivre, du désir des autres et de l’amour. De la paix, serait trop dire pourtant, mais elle viendrait, nous le savions nous le voulions nous l’attendions. Elle viendrait
Ce n’était pas celle que nous attendions mais elle vint
Nous vous avions fait sortir de prison, nous vous avions cachés dans une ferme dans une espèce de désert et nous avions été trahis – nous avons toujours et de tous temps été trahis, ce n’est pas une nouveauté de l’humanité, ni de l’amitié ni même de l’amour
– donnés ou vendus – nous étions quelques uns et unes, nous étions encore en vie lorsque l’assaut a été donné, l’un de nous réussit à s’enfuir. Nous restions sous le feu, et puis on m’a mise en joue – j’étais à genoux, je ne demandais qu’une grâce, levant les bras en signe de reddition, par deux fois sous mon aisselle gauche des coups terribles
Nous avions foi dans notre pays, nous avions la loi avec nous, ou du moins la nôtre – nous avions été quatre pour créer ce groupe qui bientôt compterait des milliers et des milliers de comités, à travers le monde, des guérrilleros, et puis ce matin-là le jour ne se fit plus
continuant l'exploration des divers acteurs de l'enlèvement (ici prolégomènes 4 : la mort de Mara) - ici Mara qui fut tuée quelques années auparavant (le 5 juin 1975) (le développement antérieur n'est pas terminé mais je le pose quand même pour m'aider (en un sens) à le continuer) (ces temps-ci les difficultés s'amoncellent et l'ampleur du travail m'apparaît encore plus marquée que d'habitude) (toutes choses égales par ailleurs comme il est coutume de dire, il n'y a là (avec mes excuses profondes) ni rêve (encore que) ni nuit (encore que aussi))