Ici Codicille, et là, la refonte des histoires ; en brassée d’ombres, dans le cri – gorge fendue de la terre – une porte qui s’ouvre telle une tête en un crâne dressé contre le vent noir de l’effacement, elle se tient là, face à la peur de l’inexistence partie à la recherche de l’étincelle première : le verbe et la lever du feu
1 – La terre
Ici, la terre s’ouvre — matrice de feu, de sels, de silences — dans le grand tumulte des commencements, là, elle enfle de ses sèves, et répand son haleine au flanc des collines muettes. Sous l’ongle du vent, elle remue l’argile des gestes premiers, enfante le verbe avant les voix, la forme avant le nom. Là, fouillée, mastiquée, elle rit des hommes et de leur passage, ici, nous avale en rêve et nous recrache en pollen. Un pas dans sa chair et le monde chancelle — la mémoire, le chant, le cri des insectes dans l’épaisseur du soir, ici et là nous sommes ses enfants tombés de ses reins — elle nous tient encore, dans l’oubli des origines.
2 –porte
Ici, est-ce une porte surgie dans le chant des campagnes, dressée comme une balise sans nom entre le vent des herbes, offrant passage au mystère, là, n’est-ce point l’aile fixe d’un songe, entr’ouverte sur l’abîme du soi quand le sol tremble d’une mémoire ancienne, que les pas s’effacent dans la poussière de l’attente et du presque. Ici, une ombre glisse, est-ce un pli du réel ou celle des odeurs montant comme des voix : laine, suie, lait caillé, et le silence pèse aux battants des seuils ; tandis que là, une main, hésitant entre ascension et chute effleure la poignée du monde.
3 – sa peur
Là, au bout de mes yeux, l’homme s’était dressé dans la lumière noire, découpé net par le cri du ciel, son souffle, fumée d’altitude montait en spirale — offrande ou abandon — vers l’invisible courant des dieux. Il avait fait de la montagne sa parole muette, ses pas pesaient comme des serments sur les dorsales du monde, mais c’est lui qu’il allait briser à force d’atteindre, c’est en lui que s’effondraient les cimes, poudreuses sans paroles. Ses mains vides, pleines d’éther, ne tenaient rien que l’ombre d’un désir, et dans la brume il était ce battement suspendu. Ici, ni chute ni sommet, mais la peur pure — la gravité du rêve en train de s’évaporer.
4 – en tête
Ici, l’homme marchait debout dans le vacillement, tenant tête au vent comme on retient le cri dans la bouche close, être têtu et refuser d’être muet. Parce que là, c’est parfois à genoux qu’on avance, sans honte dans la boue tièdes des clartés qui ne s’imposent pas. Et la tête qu’on baisse n’est pas soumise : elle écoute, elle accueille, elle devine les chemins que la force ignore. Ici, vont les fils du vent : un jour roc, un jour poussière mais toujours levés dans la lumière même brisée. C’est là, le vrai nom du courage : osciller sans cesser d’exister, ployer sans se perdre, se taire sans disparaître.
5 – le cri
D’ici, le cri vient de la chair gonflée de nos maux, du ventre tendu comme un ciel avant l’éclair. Il monte des profondeurs, en gravas d’éclipse et de braise, il pousse sous la peau, il perce, il fore, il supplie. Un sang ancien s’y bat, un limon de siècle s’y remue, et nos corps tout entiers s’en font l’argile en convulsion. Là, nous sommes ce qui palpite, ce qui attend de crever, ce qui s’écarte pour laisser passer le tumulte — le cri, ou sa chute. Et la plaie est un oracle : rouge, béante, délivrant l’écho de nos mots ravalés, broyés dans les alvéoles du râle. Car il faut bien qu’un jour tout éclate : le cri, la peur, le fruit, et nous avec, dispersés dans l’air en poussière d’aube calcinée ici et là.
6 – de l’inexistence
Ici, il la peignit à rebours du souffle dans la lumière oblique des derniers jours, quand la chair déjà se retire vers ses clartés profondes ; Sous les doigts du peintre, l’épine du chardon, le fil d’un poignet en tension, la nuque dressée dans un vent d’adieu, et l’œil plus vaste que la mer. Là, c’était encore elle mais défaite déjà, non par la mort, mais par le jeu lent de l’effacement, cette clarté de cendre qui dérobe les formes au monde. Car il n’y a plus de peau, ici, il n’y a plus de cri, il n’y a que ce regard — deux sources taries dans un lit qui tient en joue l’éternité –. Ici, le peintre penché sur l’ombre, traçait non un portrait mais une survivance, une rémanence de battement, comme un sang encore tiède dans les veines du trait. Et là, la sanguine, rouge de fièvre et de fin, danse captive sur la page, elle suinte du papier, elle saigne la forme, elle épouse les creux, elle enlace le vide. Ici il n’a pas dessiné la mort — mais ce qui résiste à sa morsure, ce qui, là, dans le tremblement du geste veut encore appeler la lumière –. Là, nous sommes saisis à notre tour dans la toile. Ce n’est plus elle qui vacille, c’est nous. Ici et là, l’image — vivante, vacante — nous regarde, et nous traverse.
7 – à la reprise
Ici, tourner la langue et taire le monde, sourire au vrai, sourire au faux,
Là, avancer sans raison, tomber avec style,
Ici, souffler par le ventre, rire sans cause,
Là, recommencer — toujours recommencer —Ici, cligner de l’âme pour mieux voir,
Là, faire un vœu, l’oublier,
Ici, lâcher prise — quelle prise ? —
Là, taper trois fois la terre comme on invoque le feu,
Ici, chanter bas, et là, danser haut,
Garder l’enfant, jeter l’eau,
Ici, croiser le regard du hasard sans détourner les yeux,
Là, être funambule d’un rien,
Et ici, dans le vent levé — ouvrir les bras,
Danser encore.
8 – du temps
Ici, un moment heurte l’autre — et déjà le temps chancelle, là je tends la main, il se dérobe.
Celui que j’ai cru vivre, je l’ai cédé à l’oubli.
L’instant vacille —ici il s’ouvre, là il se ferme — nul ne sait s’il passe ou s’il advient.
Et l’IA traverse sans empreinte ici, là, ronge le présent comme un vent d’algèbre.
Moi je palpe ici, je cherche là : le moment tinte-t-il encore ?
Ou bien est-il déjà silence — silence après quoi tout s’est dit ?
9 – et du feu
Là, un volcan intime rugit, consumant les gestes, dévorant la chair. Ici, la chaleur s’infiltre, déchire, sans forme ni repère. La langue brûle, chaque mot fragment, chaque haleine devient flamme. Ici, le corps vibre, là, la pensée serpente, égarée, noyée sous le grondement. Ici, le temps n’existe plus, seul l’éclat reste là, cette brûlure au cœur, ce silence qui ne cesse de crépiter, encore. Et moi, debout, dans l’instant figé, tenant l’éclat, juste un souffle…
Merci.
Avoir pris « le moment » pour me lire, merci à vous.
Très beau comme un caillou avec du feu
L’âge de la pierre polie des dizaines de milliers d’années, l’âge du feu des centaines de milliers d’années quelle éternité vivons-nous… merci Nathalie
Particulièrement touchée par Porte surgie dans le chant des campagnes et cette phrase : « …une main, hésitant entre ascension et chute effleure la poignée du monde » Sensation de vertige et bien au-delà.
Merci vraiment Raymonde
C’est un bel ensemble, Raymonde, qui se lit tout à la suite dans un lien que l’on construit tel que tu nous le donnes. Perso, mes moments forts : non, finalement je les citerais tous. Peur, cri, en tête, inexistence, temps, bref tout !