Je suis en train de parler. Je m’arrête au milieu d’une phrase. Un blanc. Une absence passagère. Entre deux mots. Un trou de mémoire. Je ne sais plus ce que je veux dire. Un gouffre s’ouvre devant moi. Je ne sais plus ce que je disais. Je perds le fil, bredouille. Les mots m’échappent. C’est une voix qui m’appelle que je n’entends pas. Rien que des échos, des accolements, des juxtapositions. Un départ précipité. Un pied dans le vide. Quelque chose de l’ordre de la chute. Le temps tourbillonne. Ce blanc m’assaille, m’envahit de sa blancheur. La peur peut-être qui ne se dit pas. C’est un masque qui cache mon visage. Le recouvre d’un voile blanc. Ce que je ne veux pas voir. Ce que j’occulte c’est mon visage. Je ne le sais pas encore. Je le devine à peine. Tributaires des plis. Des pas de côté. Qu’est-ce que j’entrevois ? Qu’est-ce que je refuse de voir ? Ma pensée se met en mouvement. Elle tourne à vide. État intermédiaire, incertain. Entre un regard et un autre. Bercé par ce lointain. Cette incertitude. Entre silence et parole. Dans le vertige, le vide me tire à lui. Ce qu’il est possible ou impossible d’atteindre. Ce qui se rétracte soudain. Ce qui s’éloigne. Mon visage face au miroir. Le reflet de mon visage qui s’efface en ses reflets. Cette distraction provisoire. Ce flottement. Un moment de doute.
Codicille
Un moment affleurant, sans prise, perdu dans les remous de ce qui ne s’ancre pas en soi. Dans le creux d’une onde, aspiré par ce qui ne peut être nommé. Sans rives, débordé, éclaté en mille éclats d’un même miroir.
Merci Philippe.
« Les mots m’échappent«
Merci Hugo, ça arrive en effet assez souvent !
Merci pour ce moment d’absence,d’ entre deux qui est peut être aussi une respiration.
Merci Hélène, oui en effet ce moment de suspension s’il parvient à ne pas durer trop longtemps, s’il n’est qu’une parenthèse, une attente qui ne se prolonge pas, peut aussi s’aparenter à une respiration.
Par delà la parole qui vient à manquer, cet étrange moment d’un révélation qui n’a pas l’air de se savoir longtemps , qui se résout dans le doute . Etrange lien d’une parole qui s’effondre, à un visage qui se cache, à des pensées qui vont s’affairant. Beauté de l’instant du face à face dans le miroir (beauté qui résout, comme le doute)
Merci Véronique, cette distraction n’a pas de conséquence tant qu’elle est passagère : on bloque sur un mot, un souvenir nous échappe, un mot pour un autre, à cause d’un éclat de lumière, d’un pas de côté, d’un visage apparaissant dans un miroir, mais s’il vient à durer, nous voilà démuni, perdu.
Saisir un fragment de temps avec une pince à épiler et le déposer si délicatement là, devant nos yeux, entier et vivant. J’aime les mots volatils qui tentent de contenir de doute qui flotte. Merci.
Merci beaucoup Jean-Luc pour ce très juste « doute qui flotte » c’est très précisément cela !