Elle faisait, à pas arrondis, le tour de la statue. Comme tout le monde, elle lui avait jeté un coup d’œil de face. Elle atteignit le côté après plusieurs pas, traversant des voix étrangères, des mots mâchonnés dont lui parvenaient des syllabes gluantes. C’était un grand monument autour duquel on marchait lentement. Un bourdonnement s’échappait d’un buisson. Dans l’enchevêtrement des feuilles dures, de leur vert touffu, l’abeille restait prisonnière à la vue, ou le bourdon. De dos le groupe de bronze présentait des formes obtuses, des masses, des aplats penchés vers un faux sommet. Son souffle se fit court, on marchait derrière elle, elle se demandait si on la rattraperait. Vers son front qui continuait d’avancer, un arbre penchait ses branches aux feuilles dentelées, ses petites fleurs en bouquets, avec cinq pétales blancs et une explosion d’étamines. Un parent émit un cri bref, un enfant poussa une trille. Son pas hésitait à ralentir, elle gardait sa main bien serrée autour de la bandoulière, pour lui interdire de pointer en arrière. Sur l’autre côté, la statue redoublait d’agressivité. Ses fusils tendaient à la gloire et la mort, c’était un discours, des paroles abstraites, qui l’indifféraient. Chacune des cellules de son corps était prise du même tremblement qu’aurait l’aile d’un insecte en vol, ou un pétale au vent. Dans ce qui venait la frôler, elle essayait de deviner quel destin se déterminait.
5 commentaires à propos de “#boost #09 | Tournant”
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comme un arrêt sur image autour duquel on tournerait, et comme si de lui tourner autour lui donnait épaisseur, volume, vie — ou comme si c’étaient ses spectateurs qui construisaient la scène, le groupe (regardeur faisant le tableau…) (mais j’imagine que la statue existe en vrai ? c’est avec l’abeille, et les couleurs, que le doute s’installe : comment la statue d’une abeille ?), bluffant
c’est en « elle » en fait , le doute : la spectatrice devenant la statue : ralentissement de son contournement jusqu’à l’arrêt sur image — non ?
Merci Christophe de ces remarques. Je me suis demandé ce qui pouvait faire penser à la statue d’une abeille, peut-être les « feuilles dures ». Comme quoi la description de ce qu’on a dans la tête, pour le rendre perceptible, est tout un art (même si une certaine abstraction était encore requise dans la consigne). Oui la statue existe et cette deuxième interprétation pourrait correspondre. Toujours intéressant le décalage entre l’intention de l’auteur et la lecture du lecteur, qui l’enrichit de sens.
ça j’étais bien à côté de la plaque ! belle expérience de désorientation, merci Laure
« ça j’étais bien à côté de la plaque ! »
C’est que mon texte n’est pas assez clair. Merci pour ces échanges !