La gamine souffla sur les yeux du cheval de bois, fort et maladroite comme on souffle sur les bougies d’un gâteau d’anniversaire pour la première fois. Elle voulait faire grand vent, elle voulait voir la mer s’agiter grande dans les yeux du cheval et retomber, comme quand on agite une boule avec de la fausse neige dedans, la voir retomber lente sur le faux paysage.
Elle voulait voir la mer retomber lente sur son enfance.
La mer lente comme son petit corps qui entre dans le sommeil, aller aller, le lent balancement du hamac sous l’érable, les genoux relâchés, les mains pleines d’ombres, les chasser, les rattraper, aller aller, le lent balancement des paupières, et non loin, le panier avec les premières cerises de l’année, les petites voitures en file indienne le long du grillage, un papillon sur l’épaule de la chemise mouillée du père qui pend sur la corde à linge.
La mer petite comme les fourmis le long du mur de la remise, grimper, grimper encore. Petite comme les pâquerettes, souffler, souffler fort dessus, que reste-t-il des dernières heures de l’hiver ? Petite comme ses pieds, même à la hâte, ils ne vont jamais loin. Mais où va la mer ?
Elle voulait voir le vent tomber dans la mer.
Le vent lent comme la rouille à recouvrir le vélo de la mère. Lent comme attendre son tour au marché, aller aller, les barquettes de framboises, la menthe poivrée, le poulet rôti au four, lente l’odeur à remplir les narines. Lent comme reconstituer la mémoire quand les odeurs disparaissent, se mélangent à la rouille des lents souvenirs.
Le vent petit comme son petit corps qui pousse pour se mettre à hauteur de fenêtre et voir les gamins jouer au football sur la place, et voir le bouleau faire à nouveau peau, chair, et voir encore tourner le manège de chevaux de bois. Aller aller, pousser pousser, à la hâte, tu deviendras femme, alors à la hâte, ton corps, le temps, les souvenirs feront brouillard.
Elle voulait secouer la mer, secouer le vent, encore un peu. Aller aller. Elle savait qu’il serait bientôt temps de passer à autre chose. Comme quand la mer se fait ruisseau. Comme quand le vent se fait brise du soir. Grandir.
Très beau texte ! Et il me semble que ton écriture a évolué dans la forme, il y a plus de liens dans le déroulé du texte, et aussi plus d’expression de sensibilité C’est un texte qui me touche . Bravo à toi
Merci pour ta fidélité, toujours tes mots, ta présence (désolée, je radote un peu, je vieillis
)… ça me touche en retour.
Je lis ton texte courant du week-end.
Heureuse fin de journée.
Je t’embrasse.
la mer relie tes images et permet l’avancée dans le récit
« elle voulait voir le vent tomber dans la mer »
et la soif de grandir (ton dernier mot) nous conduit
je retiens : « voir le bouleau faire à nouveau peau, chair »
cette mer que je partage avec toi….
Merci Françoise… et cette mer qui te va à ravir, ta façon de l’approcher, la dire. Je t’embrasse.
C’est un très beau texte entre le vent, la mer, et ces scènes de l’enfance si bien décrites qu’elles nous invitent à y entrer.
Merci Laure, pour le passage par ici, la lecture, le regard. Ca compte. Je passe vite vous lire.
Ouh là ! c’est bien beau.
Merci Bernard… Je passe vous lire très vite. Belle soirée.
Joie de te retrouver, quand restait le souvenir de comme j’aimais te lire. Et après lecture, joie de n’être pas déçue. Si admirative de ce que tu fait depuis ce lent, ce petit de la petite, ce défilé d’images pour les dire, ce mélange de banal, de quotidien et images fortes comme » Elle voulait faire grand vent, elle voulait voir la mer s’agiter grande dans les yeux du cheval et retombe « . C’est superbe, Annick.
Anne,
Un merci plein de reconnaissance à ton égard. De me lire, tes mots, ton enthousiasme. C’est précieux.
Au plaisir de te lire en retour.
Heureux et doux week-end.
Je t’embrasse.
Erratum, « tu fais »
Pardon, « tu fais »…
Il est très touchant ce texte, et quelle fluidité, les images sont très parlantes et le monde vu à hauteur d’enfant avec ce vent, cette mer, le manège et le marché appesantis de toutes leur lenteur. J’aime beaucoup