Je souffle sur la vitre, sale, pleine de stries opaques, de traînées de pluie qui ont séché. L’air projeté forme une buée couvrante, neigeuse, où je piège mes questions sans réponses d’un matin trop froid. L’air s’accumule à la surface en couche fine qu’on ne peut plus respirer. Je reprends dans mes poumons une longue goulée que j’expulse à nouveau pour épaissir le dépôt qui se délite déjà. La vapeur qui émane de ma bouche couvre la vitre d’une nouvelle pellicule opaque, inerte, passive qui attend le coup de torchon, exactement comme le verre de lunettes qu’on nettoie à la peau de chamois. Je visualise l’animal à la robe beige, me dévisageant et que je pourrais dessiner de façon naïve, museau, cornes, barbe. Ce qui importe c’est moins le dessin que l’apparition du paysage derrière la fenêtre. C’est comme dévoiler un secret ou un mystère qu’on aurait longtemps caché. Le doigt qui trace est un souvenir d’enfance. L’index sur la vitre de la cuisine, de la salle à manger, de la voiture, de l’autobus, du train. La vie est pleine de vitres qui nous montrent une réalité bien trop nette, qu’il nous arrive d’opacifier exprès pour le plaisir de dévoiler petit à petit les choses, pour se faire une surprise ou un cadeau. Ce que m’offre mon doigt derrière la paroi, c’est une impression de printemps, les premières fleurs d’abricotier.
4 commentaires à propos de “#boost #09 | derrière la vitre (en 230 mots)”
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.
comme une promenade à travers la vitre et ses minuscules déformations et dépôts
une nouvelle réalité paraît
et ce dernier élan si doux vers les abricotiers…
« La réalité bien trop nette » , merci pour cette buée
La vision derrière la vitre embuée, le regard erre …c’est comme un cadeau.
Superbe texte !
Ces détails, cette précision autour de la description de la fenêtre, dès les premiers mots.
Cette phrase : ‘où je piège mes questions sans réponses d’un matin trop froid’ !
Et puis ‘L’index sur la vitre de la cuisine, de la salle à manger, de la voiture, de l’autobus, du train.’, les souvenirs que ça fait remonter.
J’ai passé un agréable moment à vous lire.
Merci.