
Profiter de sa faim, de son avidité, peut-être de sa faiblesse pour s’approcher doucement. Se pencher, se baisser, se caler sur le sol, déplier bras et mains et plier les genoux qui craquent évidemment et maudire les craquements qui pourraient l’alerter, la faire fuir, l’effacer. Mais s’approcher quand même pour voir mieux, malgré le risque, grand, de détruire toute la scène, de l’obliger à fuir, la perturber, peut-être même la mettre en danger juste pour une image, un souvenir et l’envie de partager l’émotion, prendre le risque de détruire l’équilibre fragile entre la fatigue du vol et l’énergie gagnée à butiner la fleur. Vanité d’une photo. Quelque chose de très lourd suspendu à un fil, un petit fil très fin. Le déclin de l’espèce, son rôle dans la chaîne des vies et des survies. Juste à cause de ce qu’on sait, du travail de la tête qui va charger la barque, qui va faire oublier la musique des oiseaux, la chaleur sur la peau et l’odeur des violettes amenée par le vent, le diaphane de ses ailes, la finesse de ses pattes et son noir sur le jaune. Le très lourd suspendu de l’avenir d’une espèce qui va rendre tragique le repas si tranquille de l’abeille qui profite de l’aubaine du pissenlit fleuri, d’une table de belles fleurs aussi jaunes que dodues.
Codicille : moins de 230 mots, un bloc, donc dans la moyenne pour la forme. Pour le fond, pas sûre, mais suis partie sur le contraste entre ce qu’on voit et ce que notre cerveau en fait, ce qu’il construit à partir de ce qu’on voit et tout ce qu’il projette ensuite sur cette image avec ce qu’il sait, ce qu’il imagine, les émotions, les sentiments, les souvenirs, les lectures… Je ne sais pas trop si c’était ça la proposition, mais ça ne me semble pas trop éloigné de la façon dont fonctionne la peur dans beaucoup de cas (monstres sous le lit, …)
J’aime la sensation d’un temps comme ralenti par les gestes de l’observation, par l’attention
Merci pour ta lecture. Oui, c’est un peu l’idée d’un temps qui n’aurait pas la même densité partout, un peu comme une ficelle plus épaisse à cet endroit là
Tous ces efforts récompensés! Belle décomposition de l’instant.
Oui, juste un instant, alors pour faire durer, décomposer
en arrière de l’odeur du cœur de pissenlit froissé, paraît « le déclin de l’espèce », le vrai sujet qui envahit tous les instants
Toujours en toile de fond ce déclin, il est hélas partout