La cale est mon abri
chair contre chair, sans distinction d’hommes, de femmes ou d’enfants, dans la crasse d’autres corps avant eux, dans le jus des marchandises périmées, la cargaison du navire sans nom
conduit pas des peaux blanches, puantes d’aigreurs et de fièvres, esprits errants, loin de la terre de leurs ancêtres
ils hurlent
j’ouvre la main, ce que j’ai ramassé, j’en avais plein la bouche, ils me l’ont fait cracher, j’en avais plein le corps, mes seins étaient rouges, mes cuisses, mon sexe terreux aussi, ils m’ont lavé à grandes eaux, m’ont ouvert la bouche, tâter ma chair, ma main est restée fermée, de nuit comme de jour, sur les pistes arides, mon poing fermé comme une cosse
elle ouvre sa main, laisse tomber un peu de terre
La cale sera son abri.
La plantation est ma demeure
de la canne, il font du sucre, ils coupent la canne avec la force de nos corps, avec nos corps, ils font du sucre, avec le sucre ils feront des sucreries, de nos corps ils feront des gâteaux, nos corps tranchent la canne, cela fera autant de parts de gâteaux sur leurs tables, ils m’ont enlevé à mes ancêtres parce qu’ils ne peuvent plus se passer de sucre, ils bâtissent en sucre, ils baignent leurs corps dans des lacs sucrés, le sucre brun coule sous leur peau blanche
nos esprits exigeaient le sang, les leurs du sucre
j’ouvre la main, la capsule de ricin est noire et lustrée, elle éclate et ses graines se dispersent
La plantation sera sa demeure
La montagne est mon royaume
la montagne gronde, d’elle s’échappe un gros nuage noir, nous avons invoqué l’esprit de la montagne, bon ou mauvais, il a répondu, ce soir nous fuyons
Sa main s’ouvre, c’est un os d’humain qu’elle enterre au pied du volcan.
La montagne sera son royaume.