Il y a sur la table de nuit une bougie. Quand elle s’éveille, elle s’assied sur le bord du lit, puis elle craque une allumette et l’allume. Elle regarde un moment la flamme, yeux encore pleins de nuit. Elle balaie le bureau devenu autel. Elle prend la poupée Pachamama en tissu, lui murmure quelques mots à l’oreille et la dépose sur l’oreiller. Elle a un geste en direction des ours, du loup, de la baleine qui encerclent la boule de cristal devant l’aloe vera. Elle sait qu’en bas il a déjà allumé une autre bougie sur la table de la cuisine. Il a pressé quelques oranges pour elle, taillé deux tranches de pain, sorti le beurre du réfrigérateur, mis de l’eau à chauffer avant de partir. L’eau est encore chaude quand elle se lève lentement, après avoir basculé le buste au-dessus des pieds et posé ses deux mains à plat sur le lit. Elle va à la salle de bain aussi lentement qu’elle s’est levée. Après avoir pissé, elle se pèse. Le rituel de la balance n’a rien à voir avec l’angoisse de la lutteuse avant la compétition. Il est un fil qui la tire vers la vie. Prendre du poids, ne plus en perdre. Reprendre des muscles, des fesses. Elle fait cinq squats au-dessus de la baignoire, descendant jusqu’à ce que ses fesses touchent le rebord, remontant en soufflant, bras tendus devant elle. C’est bien peu comme exercice. C’est déjà bien. Surtout au réveil. Elle se regarde dans le miroir (elle ne regarde pas ses cheveux aux racines grises qui s’éclaircissent, elle se regarde dans les yeux, les plissant légèrement). Elle se sourit. Chaque matin, quand elle se voit, elle se sourit. Le moindre geste prend son sens dans la guérison à venir. Se sourire en est un. Elle prend un verre d’eau pétillante avant de descendre à la cuisine. Elle ouvre tous les volets, fait entrer la lumière du jour dans la maison, accueille la vie du dehors. Quand elle ouvre la fenêtre de la cuisine, la flamme de la bougie vacille. Elle reste un moment devant la fenêtre ouverte à regarder l’horizon, vers l’Est où le soleil est déjà haut. Elle regarde le couple de tourterelles sur le fil électrique. Puis elle referme la fenêtre. Le froid commence à lui picoter les mains. Elle glisse les deux tranches de pain dans le grille-pain. Le beurre est juste assez mou pour être tartiné. Elle prépare les médicaments. Elle regarde la bougie jusqu’à ce que les toasts sautent. Elle les prend, les tartine, boit du jus d’orange, presque tout le verre, en laisse pour plus tard. Elle prend son téléphone, lit le mot qu’il lui a envoyé. Après avoir bu le jus d’orange, son ventre gargouille. Elle ne souffre pas. Elle ferme les yeux, dit une prière de reconnaissance, de remerciements, une prière que personne ne lui a apprise. Elle note sur son carnet quelques intentions, quelques adresses aux aimés.
Et c’est ainsi qu’elle commence ses journées, en attendant que cela cesse.
je cherche comment dire comment je suis touchée (ce n’est pas beau, ni juste, ni, c’est un peu tout ça sûrement ). C’est qu’elle est là, dans chacun des gestes de ce matin recommencé, et je la rejoins en te lisant .
La vie dans tout son poids et se sourire quand même et dire une prière inventée, comme tout cela sonne juste!
tous ces gestes de rien qui maintiennent en vie
on la suit dans cette mise en branle matinale, dans sa difficulté, et on a tellement envie de l’aider, de lui préparer son petit déjeuner… pour qu’elle en souffre pas…
(merci Philippe)
le sourire, oui, le sourire (qui a bu boira et l’aloe vera) – tous nos soutiens…
Tellement beau, on la suit. Très inspirant. Merci.
Les gestes d’un quotidien et une vraie présence. Et l’émotion.